Thierry Denoël

Dumping social : ne tirez pas sur le plombier polonais !

Thierry Denoël Journaliste au Vif

Difficile de concurrencer un routier ou un plafonneur venant de l’Est lorsqu’il offre ses services trois fois moins chers qu’un Belge. Comment lutter contre ce dumping social toléré par l’Europe ? Les 27 ministres européens de l’Emploi s’arrachent les cheveux…

L’Europe ne s’est jamais construite sans heurts. Le « dumping social » en est une preuve supplémentaire. Aujourd’hui, certains secteurs économiques belges, comme le transport, la construction ou l’horeca, sont confrontés à une concurrence déloyale sans précédent. En cause : la directive UE 96/71. Cette législation européenne, adoptée en 1996, facilite la libre circulation de la main-d’oeuvre au sein de l’Union. C’est l’esprit même de la construction du grand marché européen. La directive permet ainsi à une entreprise européenne d’employer temporairement du personnel détaché d’un autre Etat membre. Le hic : depuis le 1er mai 2004, quand l’UE est passée de 15 à 25 membres, et surtout, depuis le 1er janvier 2007, lorsque la Bulgarie et la Roumanie, ont rejoint le cercle étoilé, ce « détachement » de main d’oeuvre a donné lieu à des abus.

Selon les règles européennes, les travailleurs qui viennent d’un autre pays de l’UE doivent bénéficier des mêmes conditions de travail et salariales que les travailleurs du pays qui les accueille. Or c’est loin d’être le cas. Ce qui fait dire, par exemple, à l’Union des transporteurs belges (UPTR) que les chauffeurs de certains pays étrangers ont cannibalisé le transport international, et même une partie de notre transport national. On tient le même discours dans le secteur de la construction. Dans une Europe où les différents Etats proposaient à peu près les mêmes standards en matière d’emploi, c’était jouable. A 27, avec des disparités énormes entre pays occidentaux et certains pays de l’Est, c’est devenu infernal.

D’où la nécessité de revoir la directive 96/71. Celle-ci est sur la table de la Commission européenne depuis plus d’un an. Mais les négociations coincent durablement entre le camp occidental (Belgique, France, Allemagne, Italie, pays scandinaves…) et la plupart des derniers arrivés du bloc de l’Est. Un antagonisme, somme toute, logique, qui s’est durci avec la crise, mais qu’il faut résoudre sans plus attendre. L’idée des Occidentaux n’est pas de remettre en cause le principe du détachement, mais de renforcer les contrôles et la coordination administrative entre pays pour s’assurer que les règles soient respectées. En particulier concernant les salaires.

En effet, la législation européenne veut que le salaire d’un transporteur roumain (par exemple) qui roule temporairement pour un transporteur belge soit payé en Roumanie aux mêmes conditions que le travailleur belge. Or certains chauffeurs roumains ne voient même pas la couleur de leur salaire. Des sociétés boîtes-aux-lettres ont également vu le jour dans certains pays pour brader les services d’ouvriers sous-qualifiés à des entreprises belges (par exemple) qui s’en accommodent évidemment sans problème. Sans contrôle strict ni collaboration entre pays, ces abus deviennent légion. Il ne faut donc pas tirer sur le plombier polonais. Car celui-ci n’en peut rien. Il subit la situation au même titre que le plombier belge. Mieux vaut tirer sur l’Union européenne pour que celle-ci s’accorde sur un meilleur respect des règles. Au risque, sinon, de laisser se développer un racisme intra-européen qui, en période de récession et à six mois des élections, peut très vite déraper et faire le jeu des populistes…

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