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Duel au sommet de la FGTB

La FGTB vient de se choisir un nouveau secrétaire fédéral. Métallo dans l’âme, Jean-François Tamellini passe pour un radical. Sa rivalité avec un homme de l’appareil syndical a donné lieu à une campagne pour le moins virile. Qui pourrait laisser quelques traces.

Il s’appelle Jean-François Tamellini. Ce presque quadra au crâne de Kojak, issu de la centrale des métallos Wallonie-Bruxelles, est, depuis ce 18 décembre, le nouveau secrétaire fédéral francophone de la FGTB. A partir du 1er janvier, il occupera l’un des quatre postes les plus élevés dans la hiérarchie du syndicat socialiste, au côté de la francophone Anne Demelenne, secrétaire générale, et des néerlandophones Rudy De Leeuw, président, et Eddy Van Lancker, secrétaire fédéral néerlandophone.

Cette nomination, qui aurait pu s’opérer discrètement, a donné lieu à une âpre lutte non seulement entre les deux candidats déclarés, Jean-François Tamellini et Philippe Borsu, administrateur, mais aussi entre et dans les centrales et régionales qui ont été appelées à soutenir l’un ou l’autre.

La campagne s’est ouverte dès lors que le départ de Daniel Van Daele, secrétaire fédéral du syndicat, en charge de 38 mandats différents à ce titre, s’est confirmé. Agé de 60 ans, celui-ci tire sa révérence. Il est en effet issu des rangs de la CGSP, dont les statuts prévoient un départ en pension dès les six décennies atteintes.

Réélu lors du congrès de 2010, Daniel Van Daele savait donc qu’il n’accomplirait qu’un demi-mandat. L’homme étant hennuyer, il était tacitement convenu que le poste reviendrait à l’un des siens. « Nous essayons toujours de garantir un certain équilibre au secrétariat fédéral, précise Anne Demelenne, secrétaire générale. Thierry Bodson, qui dirige l’Interrégionale wallonne, est liégeois et je viens de Namur. Il était donc cohérent que le remplaçant de Daniel Van Daele vienne du Hainaut. »

Pour obtenir un tel poste, les candidats doivent avoir été parrainés par une majorité à l’interrégionale wallonne et parmi les francophones de l’interrégionale bruxelloise avant d’être adoubés par le Comité fédéral. « L’attribution de ce poste cachait des enjeux très forts pour l’organisation dans la mesure où elle pouvait donner lieu, ou non, à un repositionnement de la FGTB plus à gauche », estime Nico Cué, patron de la FGTB Métal Wallonie-Bruxelles.

Le Hennuyer Philippe Borsu, administrateur de la FGTB fédérale et ancien responsable de la FGTB régionale de Mons, se présente d’emblée comme candidat. Officiellement, les candidatures ne sont ouvertes que du 15 octobre 2012 au 10 novembre mais, en coulisses, les uns et les autres se positionnent depuis des mois. Guy Fayt, secrétaire régional de la FGTB Namur, envisage aussi un moment de se présenter, mais renonce après n’avoir pas été soutenu par sa propre régionale.

Très vite, la régionale du Centre approche Jean-François Tamellini et l’invite à se présenter pour le poste. Cet économiste de 38 ans est alors chef de cabinet de Nico Cué, à la centrale des métallos francophones. Ce dernier s’assure d’abord du soutien de sa propre centrale sur sa personne et sur quelques point clés de son programme : il s’agit pour lui que la FGTB se recentre sur ses principes fondamentaux, dans le cadre d’un renforcement des compétences régionales et d’un ancrage bétonné des compétences fédérales en matière de fiscalité, de sécurité sociale et de concertation sociale. Son programme est explicite : « Renforcer notre projet de gauche, parvenir à consolider ce qui unit l’ensemble des travailleurs, à savoir notre appartenance à une seule classe sociale, une classe qui se fait exploiter par une autre, une classe qui doit redevenir le moteur de notre société. »

Les deux candidats font campagne, chacun avec leur profil spécifique, leur projet et leurs soutiens. « Jean-François présentait un projet politique tandis que Philippe avait davantage une vision du fonctionnement futur de la FGTB », précise un chef de file du syndicat socialiste. Il se dit que Philippe Borsu incarne davantage la candidature de l’appareil et qu’il bénéficiait à ce titre du plein soutien d’Anne Demelenne. Celle-ci dément : « Je ne soutenais personne en particulier. Les deux candidats avaient un profil intéressant. » La secrétaire générale assure ne pas s’être mêlée de ce débat, laissant se dérouler le processus démocratique prévu dans les statuts. « Philippe est un proche collaborateur d’Anne Demelenne, nuance toutefois un cacique du syndicat. Il est clair qu’il ne s’est pas présenté sans son aval. »

Pas tendre, la campagne « Anne Demelenne savait que Jean-François Tamellini représente un des courants les plus à gauche de la FGTB, réplique Nico Cué. Or elle est, elle, de plus en plus proche des thèses du PS et ne veut pas d’un affrontement avec le parti. » « Nous sommes tous de gauche », répond l’intéressée. Ambiance.

Au fil de la campagne, les centrales et régionales prennent peu à peu position. Avec des changements d’avis parfois, interprétés par d’aucuns comme des retournements de veste. « A ma connaissance, la campagne n’a pas donné lieu à des bassesses », assure un fgtbiste wallon. Elle n’en était pas tendre pour autant. La CGSP puis la Centrale générale apportent leur appui à Jean-François Tamellini. Des appuis de poids : les métallurgistes francophones ne comptent que 75 000 membres, soit 6 % des membres de la FGTB et environ le double dans la seule Région wallonne. Cette candidature récoltera finalement 83 % des voix en Région wallonne et 53 % chez les Bruxellois francophones.

Le 29 novembre, avant la réunion du comité régional wallon, Philippe Borsu jette le gant. « C’est une grande victoire pour une petite centrale ouvrière », se réjouit Nico Cué. Mais cette victoire n’est pas qu’une histoire d’hommes qui s’affrontent. « L’arrivée de Tamellini renforce Thierry Bodson, patron de l’Interrégionale wallonne, au détriment d’Anne Demelenne », analyse un baron wallon de la FGTB. Ledit Bodson confirme d’ailleurs que Tamellini a une vision régionaliste proche de la sienne.

Entre Thierry Bodson et Anne Demelenne, le climat est loin d’être au beau fixe. « A deux occasions, Thierry a pris la parole au bureau national pour repréciser la position wallonne, estimant qu’Anne n’avait pas rapporté sa juste sensibilité, raconte un participant wallon du Bureau. Ce n’est jamais arrivé. Les consensus fédéraux conviennent de moins en moins à l’interrégionale wallonne. Mais entendons-nous bien : c’est sur le plan syndical et sur la méthode pour faire aboutir nos objectifs qu’il y a un hiatus, pas sur le plan communautaire. »

Jean-François Tamellini en place, la FGTB pourrait donc se radicaliser. « Il va vite se calmer, tempère un de ses camarades. Son boulot ne consistera pas, dans les dizaines d’instances où il siégera, à sortir des kalachnikovs. Ce n’est pas là qu’on peut mettre en oeuvre la révolution mondiale », ironise-t-il.

Le nouveau secrétaire fédéral, qui a le sentiment d’en avoir gêné certains aux entournures, se dit, lui, fédéraliste de gauche. « En 1945, on était partenaires sociaux ; on est ensuite devenus interlocuteurs sociaux. Et maintenant, on n’est plus rien », résume-t-il.

L’ascension de Jean-François Tamellini pourrait rebattre les cartes à quelques mois de 2014. Les mandats de Rudy De Leeuw et de Anne Demelenne viendront alors à échéance. La seconde assure qu’elle n’a pas encore décidé, ou non, de rempiler. Certains la voient pourtant déjà quitter la FGTB pour se présenter sur les listes du PS aux prochaines élections…

Laurence Van Ruymbeke

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