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Ducarme : « trop peu de musulmans belges s’élèvent contre la radicalisation »

Ce lundi, vous avez posé vos questions à Denis Ducarme, député MR, qui réclame du gouvernement belge un rapport sur le radicalisme dans nos prisons. Le thème du débat était : « Nos prisons sont-elles des fabriques de djihadistes ? ». Résumé.

[Le Tille] Quel est le pourcentage d’islamistes détenus dans nos prisons ? Y a-t-il une réponse ?

Denis Ducarme : Il n’y a pas de réponse à cette question aujourd’hui, c’est un des objets de ma proposition : objectiver la situation à cet égard. Comme d’autres pays ont pu le faire avant nous.

[Gabi] Vous réclamez un rapport du gouvernement, sur le radicalisme dans nos prisons, mais en 2005, le gouvernement, déjà, en avait commandé (au professeur Peterman, de l’Université de Liège) et il a fait long feu. Pourquoi cette fois-ci ça marcherait ?

Ma proposition couvre un champ plus large. Le rapport de 2005 était par ailleurs à mon sens incomplet et n’a été suivi d’aucune adaptation concrète de notre organisation carcérale visant à contrer le phénomène.

[Coppi] Que ferait-on avec les détenus qui tentent de radicaliser les autres ? On les isole dans des quartiers sécurisés ? On les met tous dans une même prison ?

La proposition suggère en effet d’isoler les personnes identifiées comme prosélytes radicales des autres détenus.

[Fred] Concrètement, comment faut-il contrer le prosélytisme en prison ?

Aujourd’hui et depuis plusieurs années, on rencontre en milieu carcéral des « conversions de confort » et « conversions de pressions », dans les deux cas, la liberté religieuse des détenus est parfois remise en question. Une forme de nouvel ordre, clanique et religieux s’est mis en place. II faut isoler les « muftis carcéraux » usant de pressions sur d’autres détenus, il faut par ailleurs permettre aux aumôniers musulmans de prendre une place plus centrale pour contrer ce phénomène.

[Jeff] Peut-on lutter contre le radicalisme en prison alors que la surpopulation carcérale atteint des sommets insupportables ? La surpopulation carcérale et le vieillissement de certaines infrastructures carcérales ne facilitent pas le traitement de la problématique lié au prosélytisme religieux et au radicalisme en prison. Néanmoins, les investissements (4 nouvelles prisons en 2014) et d’autres mesures sur lesquels nous travaillons devront nous voir diminuer le niveau de surpopulation en prison. Une meilleure organisation visant à isoler certains leaders radicaux des autres détenus reste possible, même dans la situation actuelle, c’est ce que je requiers dans ma proposition.

[Marie-France] La loi belge existante proposant de purger la peine de prison dans le pays d’origine du détenu sur départ volontaire de ce dernier devrait être revue et corrigée. Obligation de purger la peine dans le pays d’origine, d’où moins de frais pour l’État et donc pour le contribuable, moins de récidive et plus de problèmes de prosélytisme dans nos prisons.

Pas dans le pays d’origine. Dans le pays dont le détenu est un national, un ressortissant. 40% des détenus sont de nationalités étrangères, c’est en effet une piste sérieuse qui, aujourd’hui, rencontre la résistance de bon nombre d’États qui rechignent à accueillir leurs nationaux condamnés à des peines de prison dans notre pays.

[Sacha] Les aumôniers de prison musulmans sont-ils suffisamment formés pour assumer leurs fonctions ? Y a-t-il des critères de sélection ?

Non, en effet, à ce stade et à mon sens, les aumôniers musulmans ne sont pas assez nombreux et pas assez formés. Un pan de ma proposition requiert ces formations adaptées. Ces aumôniers peuvent consister en un barrage au radicalisme.

[Jo] Comment peut-on attirer de bons aumôniers musulmans dans les prisons ? Je ne pense qu’il y ait beaucoup de « mauvais » aumôniers musulmans, la qualité de la formation fait néanmoins défaut. Ceux-ci ne sont pas amenés à une formation les aidant à lutter contre la radicalisation. Le problème réside dans le fait que les leaders prosélyte s’improvisent « mufti » au sein des murs de la prison et deviennent les leaders religieux carcéraux d’un nouveau genre…, phénomène constaté dans d’autres pays que le nôtre ou les formations des agents ont été adaptés en fonction du développement flagrant du phénomène.

[Franki] Comment réagit le monde musulman face à cette radicalisation ? Est-il collaborant ou cela reste-t-il un sujet tabou au sein de la communauté musulmane de Belgique ? La vie des musulmans de notre pays est évidemment compliquée par le radicalisme d’une minorité. Ceux-ci souffrent de certains amalgames avec les seconds. Je regrette néanmoins que peu de musulmans de notre pays ne s’élèvent pas avec plus de force à l’encontre de cette minorité radicale. Je sais qu’une des raisons en est la peur.

[Arnaud] Disposez-vous d’un interlocuteur du côté de la communauté musulmane ? Quand vous dites qu’une meilleure formation des aumôniers musulmans est à envisager, avez-vous déjà à ce stade une idée de l’institution qui pourrait évaluer une telle formation ?

Je travaille en direct avec bon nombre de responsables musulmans.L’EMB (Exécutif musulman de Belgique) et la représentation du culte musulman dans notre pays sont au point mort. On assiste à une guerre de tranchées entre différentes fractions. Cela ne facilite en rien les initiatives concrètes qui pourraient être prises à ce niveau. C’est un problème important que les représentants musulmans ne sont pas prêts malheureusement de régler. Incapables à ce stade de faire l’unité autour d’un projet pourtant nécessaire à la relation de ce culte à l’État et à ce qui en découle, reconnaissance des mosquées et Imams, formation prof de religion, aumôniers, etc..

[Arnaud] Envisagez-vous donc de traiter la radicalisation opérant dans nos prisons en partenariat avec le monde musulman ou plutôt d’envisager cette dernière comme une déviance à prévenir par des mesures structurelles et d’organisation interne des établissements carcéraux, cette « déviance » étant à mon sens surévaluée (en termes quantitatifs) en raison du grand impact émotionnel causé par des actes terroristes ?

Le taux de conversion portant à 60, 70,80 % le niveau de repas halal dans nos prisons est à mon sens la traduction d’un prosélytisme en milieu carcéral, ce qui est confirmé par les acteurs de terrains. Pas de mauvais fantasme à cet égard, donc. Pour ce qui concerne le radicalisme, d’autres pays ont évalué le phénomène chez eux pour relever parfois plusieurs centaines de cas de radicalisation dans leurs prisons. Il s’agit à cet égard d’objectiver la situation, de l’évaluer. C’est une des propositions que je requiers dans mon texte.

[Doris] Présenter la nourriture halal comme un facteur de prosélytisme est, à mon sens, un risque de faire un amalgame classique de l’islam qui entre autres prescrit la nourriture halal et l’extrémisme. On pourrait également se dire que cette fameuse conversion de repas halal signifierait peut-être une meilleure information des détenues par des coreligionnaires.

100% de repas halal dans la prison de Forest, pose problème du point de vue du respect de la liberté religieuse des détenus. 70% dans d’autres, cela pose questions quant à l’ampleur des conversions en milieu carcéral. Pas d’amalgame en mon chef. Admettez quand même que ces chiffres soient interpellant !

[Chris] Pensez-vous que le cas « Merah » pourrait se présenter chez nous ? Ou en Belgique la situation de la radicalisation est moins avancée qu’en France ?

Ce qui s’est passé en France peut se passer partout en Europe. Le rôle du pouvoir politique et des services compétents est de mettre tout en oeuvre pour contrôler au mieux le radicalisme et prévenir toutes menaces. Nos services en Belgique travaillent bien. Ils méritent d’être renforcés. Car aujourd’hui, ils ont à faire face à un radicalisme bien ancré, bien actif, adversaire de notre société, mais également des musulmans de notre pays.

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