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Ducarme, Jambon et la « danse des musulmans »

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

La « danse des musulmans » après les attentats ? « C’est plus qu’une exception », martèle le ministre de l’Intérieur Jan Jambon (N-VA). L’arrestation du président de la Ligue des droits de l’Homme, le 2 avril dernier ? Légitime, selon Denis Ducarme (MR). Lundi soir, à l’Université de Namur, le curseur sécuritaire était résolument placé vers la droite. Récit.

En ce lundi 18 avril, au soir, on n’entre certainement pas dans le grand auditoire Pedro Arrupe comme dans un moulin. Des agents de sécurité ont bloqué l’accès principal à l’amphithéâtre namurois. Devant l’entrée secondaire, contrôle des cartes d’étudiant, ou à défaut des pièces d’identité, ainsi que du contenu des sacs. Vu la thématique de la soirée et le profil des deux invités, la tension semble inévitable. Invités par l’Assemblée générale des étudiants (AGE) et par la Fédération des étudiants libéraux (FEL), le ministre de l’Intérieur, Jan Jambon (N-VA), et le chef de groupe MR à la Chambre, Denis Ducarme, s’apprêtent à évoquer les mesures pour lutter contre le terrorisme en Belgique et en Europe. Ils sont entourés par deux professeurs de l’Université de Namur : Laurent De Briey, le modérateur, et Thierry Braspenning, de la faculté des sciences politiques.

Succès écrasant pour cette conférence, vis-à-vis de laquelle les étudiants n’ont pourtant reçu aucun ordre de présence. Le Pedro Arrupe étant comble, l’université a ouvert l’accès à un auditoire annexe, où le débat est retransmis en vidéo. Au total, plus de 700 étudiants ont fait le déplacement pour entendre les deux orateurs politiques. En l’absence de voies contradictoires, le discours s’annonce musclé, de droite, sans concessions et plutôt populiste. Il le sera.

« On a trop longtemps été dans la naïveté »

C’est Jan Jambon qui ouvre le bal, pour énumérer quelques-unes des 30 mesures prises par ce gouvernement en réponse au terrorisme et aux défis actuels en matière de sécurité. « Trop longtemps, on a été dans la naïveté, enchaîne Denis Ducarme neuf minutes plus tard. Trop longtemps, on a été accusé d’excès quand on affirmait que le communautarisme nourrissait le radicalisme, puis le terrorisme. Aujourd’hui, on peut enfin le dire. » Sans citer de noms, le libéral pointe la « lâcheté » des responsables politiques, que l’on devine socialistes (surtout), molenbeekois (notamment) et bourgmestres (anciennement). Avant de clôturer sa première intervention par une promesse aux allures de mise en garde : « Dans la commission d’enquête, nous reviendrons sur ces politiques qui auraient dû être prises plus tôt et qui nous ont exposé davantage à certains dangers. »

De son côté, Jan Jambon affiche une retenue insoupçonnée au regard des sorties médiatiques agitées dont il a l’instinct, plus encore que le secret. Est-ce l’assemblée, dépourvue d’électeurs potentiels dans le cas présent, qui conditionnerait la dureté des propos du ministre de l’Intérieur ? Tout au plus déplore-t-il le manque de moyens alloués jadis à la sécurité et à la défense, tandis que les budgets en matière de soins de santé et d’affaires sociales ont explosé ces dernières années.

A ce stade, c’est donc Denis Ducarme qui se livre plus facilement à quelques considérations. Notamment sur l’arrestation controversée du président de la Ligue des droits de l’homme, le 2 avril dernier, sur la place de la Bourse à Bruxelles. « Le ministre de l’Intérieur ne peut pas dire ce genre de choses, mais moi je peux, annonce-t-il en guise de teaser faussement confidentiel. Promettez-moi que ça ne sortira pas d’ici. Le bourgmestre (NDLR : de Bruxelles, Yvan Mayeur) avait pris un arrêté pour interdire tout rassemblement ce jour-là. Le président de la Ligue des droits de l’homme en avait été informé. Or, il avait malgré tout fait appel à des rassemblements. Dans le cas présent, on n’est donc pas dans un système policier où l’on arrête impunément les gens. »

Jan Jambon vs Jan Jambon

Après une heure de discussion, il est question des éventuelles discriminations ou stigmatisations que les mesures sécuritaires risquent de générer dans la société. L’audience assiste alors à un débat contradictoire d’un genre nouveau : ce sera Jan Jambon contre lui-même. Devant ce public d’académiques et d’étudiants, un orateur pourrait difficilement admettre qu’il alimente lui-même des amalgames qu’on lui suggère, au bout du compte, de condamner. Dans un premier temps, Jambon dit donc le contraire de ce qu’il a dit deux jours plus tôt, quand il avait déclaré au Standaard qu’un « nombre significatif de musulmans » avaient dansé après les attentats du 22 mars. « Si on veut gagner le combat contre les extrémismes violents, on doit le faire avec le monde musulman, et pas contre lui », affirme-t-il avec aplomb, espérant ainsi esquiver des questions sur ses derniers propos polémiques.

Raté. La question, bien que formulée de manière un peu trop brutale par un intervenant du public, survient quelques minutes plus tard. Jan Jambon répète d’abord ce qu’il a déjà dit : ces faits ont été rapportés dans le cadre du conseil national de sécurité. Puis, il évoque une confusion dans la traduction et dans la portée en français du mot « significant » (significatif), oubliant un peu vite que l’ensemble de la presse flamande a elle-même fermement condamné ses propos tenus en néerlandais. Finalement, parce qu’il finit toujours par dire ce qu’il pense, Jan Jambon décide de dire le contraire de ce qu’il vient de dire. Et répète, en d’autres mots, ce qu’il a dit au Standaard deux jours plus tôt : « Plus qu’une exception, il y avait des gens qui fêtaient les attentats. » Sans passer en revue les faits (marginaux) sur lesquels il assure se baser pour « nommer les choses comme elles sont ».

Mais, en vérité, Jan Jambon accorde peu d’intérêt à tout cela. Parce qu’il a réussi sa soirée à Namur, au même titre que Denis Ducarme. Parce que sa prochaine polémique finira bien par éteindre celle-ci. Parce que le Premier ministre, Charles Michel, le soutient. La N-VA aussi. Comme bien d’autres, d’ailleurs. Et donc, avant même de livrer de nouvelles explications en commission de l’Intérieur, ce mercredi à 14h30, Jan Jambon s’en fout déjà. Significativement, bien sûr.

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