Entramie, en quête de récits qui transportent. © PHOTOS : HATIM KAGHAT

Dix projets pour réenchanter Bruxelles

Meurtrie, paralysée, boycottée, la capitale souffre d’une désaffection jamais atteinte. L’opération Make.Brussels, promue par la Région, avec le soutien de la Ville, vise à entreprendre des actions porteuses de sens pour les dix quartiers désertés du centre-ville. Sur 373 projets, voici les dix nominés. Ils sont censés redonner des couleurs au coeur de Bruxelles.

Rue Neuve, connecter commerçants et clients

La gazette en ligne ou le réseau social à vocation commerciale.

Stryty, réseau social de la rue Neuve.
Stryty, réseau social de la rue Neuve.© PHOTOS : HATIM KAGHAT

Trois ans que Nicolas Rogovsky travaille sur son concept.  » Le tournant a eu lieu en mars 2015, lorsque j’ai trouvé un coach qui m’a formé à la méthodologie américaine Agile. Le temps de concevoir un prototype et je recevais l’e-mail de Make. Brussels. Mon avantage, c’est que mon projet était déjà bien avancé.  » Son projet, c’est Stryty. Une application compilant toutes les informations relatives aux commerces de la rue Neuve. Derniers articles arrivés en magasin, événements mis sur pied par les commerçants, ristournes… La  » gazette online  » est un véritable réseau social axé autour de la vie de la plus grande artère commerçante de Bruxelles.  » Les abonnés ont un fil d’actualité, comme sur Facebook, où ils peuvent voir les best-sellers de chaque boutique, les articles les plus achetés par leurs amis, ce qu’ils aiment… Ils peuvent réagir à du contenu, en partager sur WhatsApp, Facebook ou Twitter, ce qui incite les utilisateurs à découvrir d’autres adresses.  »

Stryty ambitionne de remplacer l’ensemble des newsletters émises habituellement par les enseignes. Un service d’autant plus crucial qu’après les attentats de mars, les commerces de la rue Neuve ont enregistré une baisse importante de leur chiffre d’affaires.  » C’est la première plate-forme de publicité locale pour commerçants, centres culturels et institutions, ajoute Nicolas. Elle a été conçue pour les professionnels, qui n’ont ni le temps ni l’expertise pour faire de la publicité, et ce de manière simple et gratuite. Il n’y a donc plus d’excuse valable pour ne pas communiquer sur sa propre enseigne.  »

« Je suis sur Stryty »

Pour être fin prêts, Nicolas et ses trois coéquipiers ont pensé à tout : un logo  » Je suis sur Stryty  » pour les vitrines des magasins, des flyers explicatifs pour les caisses des boutiques participantes, le lancement d’un blog… La plate-forme disposera des chiffres utiles pour formuler des prédictions justes et programmer, si tout va bien, une première levée de fonds durant le premier quadrimestre 2017.

Midi Lemonnier, les trames du tram

Quand un trajet en transport en commun se partage comme une oeuvre d’art.

Pour Dilay Samanli et son compagnon, Jasper Flikschuh, le tram n’est pas qu’un moyen de transport ; c’est un lieu où s’écrivent de nombreuses histoires.  » Nous avions très souvent des anecdotes à partager sur nos trajets respectifs. Ces histoires étaient si nombreuses qu’on s’est dit que nous n’étions sans doute pas les seuls à en avoir…  » Dilay et Jasper ont donc imaginé de rassembler celles de plusieurs usagers du tram pour en transformer huit en oeuvres artistiques et huit en films d’animation. Les peintures, fresques et autres seront réalisées par de jeunes artistes et étudiants bruxellois, puis exposées dans les différents arrêts de tram du quartier au cours des deux dernières semaines de décembre. Les films d’animation seront diffusés sur les écrans de différentes stations et seront réalisés par Jasper, cinéaste de métier. Le projet, baptisé Entramie, bénéficie du soutien de la Stib mais les objectifs du couple ne visent pas spécifiquement la promotion des transports en commun.  » En demandant aux usagers de nous raconter leurs histoires de tram, on veut surtout les inciter à lever le nez de leur smartphone et à regarder ce qu’il se passe autour d’eux pendant leurs trajets, explique Dilay Samanli. Et puis, avec les oeuvres d’art et les films d’animation, nous espérons attirer les gens dans le quartier Midi Lemonnier, l’un des endroits les plus chaleureux de Bruxelles malgré son image guère positive.  »

Les histoires sont récoltées via le site Internet du projet – où les internautes peuvent directement les lire – et dans des urnes en forme de tram installées dans divers commerces du secteur.

www.entramie.be/fr

Marolles, zwanzez !

« Alors on zwanze », pour que le coeur des Marolles continue à battre.© PHOTOS : HATIM KAGHAT

Le parcours photo qui revigore l’image du quartier populaire.

Des personnages sur fond urbain et des visages qui vous fixent. Le patchwork de portraits de Marolliens photographiés cette année tapisse tout le mur droit de l’ex-Skieven Architek, place du Jeu de balle. Et annonce les couleurs de  » Alors on zwanze  » : une expo-parcours-découverte  » évolutive, vivante et protéiforme  » qui s’emploie à faire bouger les Marolles et (re)dynamiser le quartier auprès de tous les publics. Aux commandes de l’initiative, le pragmatique Thomas Villanueva, de l’asbl Kodjo, et l’enthousiaste Emilie Vervust, du collectif Les Bruxelloises. Leur projet vise surtout à valoriser et mettre en avant  » ceux qui vivent et font vivre les Marolles « , résume Thomas. Donc : ses habitants, ses commerçants, ses initiatives, ses contrastes, son goût des mélanges ancré dans son identité. Fil rouge de la célébration de leur farouche nature : la photographie, omniprésente depuis début novembre du marché aux puces à la rue des Minimes et des Brigittines à la Porte de Hal.

Il y a deux séries de 80 photos. La première a été tirée en 1966 par Daniel Storz saisissant, en noir et blanc, les Marolliens dans leur quotidien. L’autre est l’oeuvre de Vincent Peal, cinquante ans plus tard. C’est une galerie de portraits que le parcours déroule et une invitation à flâner à la (re)découverte du quartier.

Le duo promoteur de  » Alors on zwanze  » sourit d’avoir relevé le défi.  » On a toujours adoré ce quartier pour son caractère authentique, mélangé, populaire et culturellement effervescent, s’enthousiasme Emilie Vervust. Notre but est de mettre en avant les gens d’ici, leur savoir-faire, qu’ils soient nouveaux ou anciens dans le quartier. On a cherché à associer et inclure tout le monde.  »

Des commerçants se sont intégrés au parcours et organisent des activités ou des dégustations comme le sorbetier Droeshout (le 25 novembre), le fromager-charcutier Saint-Octave ou la microbrasserie En Stoemelinckx.  » On a visé un public large et familial, précise Thomas, pour qu’il redécouvre ce quartier qui a beaucoup évolué. L’image des Marolles doit être redynamisée et son activité reboostée.  » Emilie prolonge :  » Tous les commerçants nous ont dit encaisser pêle-mêle l’impact des attentats, les répercussions des travaux de la place Louise, de la fermeture du tunnel et de la création du piétonnier, sources de nouveaux problèmes de mobilité dans le quartier.  » Sans oublier les assauts répétés des promoteurs immobiliers  » épaulés  » par certains pouvoirs publics, décidés à défigurer ce havre de l’âme bruxelloise pour le doter de parkings souterrains, notamment sous la place du Jeu de balle. Perspective qu’une fronde typiquement marollienne a fait capoter en 2015.

L’art du mélange

Du côté des habitants de souche de ce quartier aux 40 % de logements sociaux, c’est surtout sur la  » gentrification « , la  » sablonisation  » de la zone, que le doigt est pointé. Avec, en tête, la crainte d’un syndrome de boboïsation,  » façon rue Dansaert  » où tout est mis au service du commerce branché ciblant un public de riches touristes et de clients huppés. Au détriment de l’ADN historique du quartier.  » Alors on zwanze  » a capté ces humeurs :  » Nous avons récolté des témoignages audio et photographié les résidents et le personnel du home Sainte-Gertrude et de la Maison de la philanthropie qui accueille seniors, aveugles et gens démunis. Et là, ça zwanze vachement et franchement ! « ,sourit Emilie.

Les interviews audio proposées (avec quelques vidéos) au Skieven Architek sont la touche la plus folklorique de l’événement.  » C’est volontaire et assumé, explique Thomas. On veut que l’atmosphère de notre événement résonne à l’image des Marolles d’aujourd’hui. Certes dans un environnement patiné et authentique, certes gagné par une certaine gentrification, mais où on fait du neuf, du contemporain, du vivant, du dynamique selon un art du mélange typiquement marollien. C’est pourquoi, lors de nos nocturnes du jeudi, il y a toujours un DJ aux platines, il y a une place laissée au street art et tout le monde est le bienvenu, gratuitement. C’est notre façon de conjurer cette sale époque et de continuer à zwanzer, quoi !  »

Jusqu’au 26 novembre, du jeudi au dimanche, de 14 h à 20 h 30. Point de départ : Skieven Architek, place du Jeu de balle. www.alorsonzwanze.com

Dansaert, café vélo

Kring Café Vélo, la nouvelle culture du deux-roues.
Kring Café Vélo, la nouvelle culture du deux-roues.© PHOTOS : HATIM KAGHAT

Le premier coffee shop et cyclo-passion.

L’an dernier, à Bruxelles, le nombre de cyclistes a augmenté de 5 % par rapport à 2014. Et l’objectif de Pascal Smet, ministre bruxellois de la Mobilité, est d’atteindre jusqu’à 20 % de cyclistes en plus d’ici à 2020. Reste que si cette vélorution – un peu pieuse face à des métropoles cyclistes comme Copenhague, Amsterdam ou Londres – a ses militants, ses codes, ses enseignes et ses tribus, il lui manquait à Bruxelles un lieu de rendez-vous… C’est le vide que veut combler Kring Café Vélo, de Charles Cachelou et Boris Terlet. C’est sur la place du Jardin aux fleurs que s’est installé le premier  » vélo-café  » de la capitale.  » Un lieu hybride où on peut acheter, faire réparer ou louer un vélo, trouver un casque, une selle ou un antivol, tout en profitant d’un coffee shop raffiné « , explique Charles, ancien directeur financier de la librairie Filigranes.

Dans ce temple aux murs recouverts de roues vintage et de photos de coureurs, les vélos, suspendus aux murs ou trônant sur le bar, ont presque valeur de totems.  » A côté des enseignes de mode et de design, c’est resté un quartier très familial. Et très flamand : ce sont eux qui, les premiers, ont introduit la culture du vélo à Bruxelles. Avec Kring, notre objectif, c’est de la démocratiser. Pour que les familles qui vivent aussi de l’autre côté du canal puissent s’offrir un vélo.  »

Depuis son ouverture, mi-octobre, l’endroit, 100 m2 de  » cyclo-passion « , est devenu le lieu de rendez-vous favori des livreurs à vélo de Deliveroo, des coursiers de Hush Rush ou de Dioxyde de gambettes qui, à leur manière, propagent une nouvelle culture du deux-roues. A mi-chemin entre le concept store et le café, Kring veut en devenir le label.  » La communauté cycliste bruxelloise a doublé au cours de ces dix dernières années. Et pourtant, le vélo continue de souffrir d’une image tellement peu sécurisante… Nous voulons inverser la tendance et montrer qu’aujourd’hui, ce n’est pas seulement un objet de mode ou un culte bobo, mais le moyen de transport le plus raisonné pour la ville « , explique Charles. Et donc,  » on tiendra des conférences avec des stars du cyclisme, des constructeurs, des associations, les responsables mobilité des entreprises bruxelloises… Le ministre Pascal Smet nous soutient et veut créer ici des tables rondes avec le public, notamment pour informer les différentes communautés cyclistes des nouveautés et discuter des idées d’aménagement du territoire pour les usagers.  »

Prévus aussi, des dimanches de randonnée dans Bruxelles, au départ du quartier Dansaert. Et, nouveauté dans la capitale, un service de location, à la journée et en leasing, pour des particuliers et des entreprises.  » Un vélo de course en carbone ou avec une assistance électrique de bonne qualité peut vite coûter jusqu’à 3 000 euros. Grâce au leasing, les gens pourront se permettre d’enfourcher un modèle de bonne qualité pour 70 à 80 euros par mois. Et pourquoi pas, l’inclure dans leur package mobilité, via leur employeur « , sourit Boris.

Conseils en customisation et équipements, vente de vêtements de cycliste en édition limitée, le concept store agit aussi en curateur et présente une sélection de produits spécialisés. Souvent avec un look vintage assumé.  » Nous voulons travailler principalement avec de petites marques, européennes si possible, et proposer des choses qui n’existent pas encore en Belgique, avance Charles. Nous venons de signer un partenariat avec Vélofabrik, une coopérative qui assemble des vélos ici même, à Bruxelles, avec 80 % de pièces made in Europe.  »

Kring Café Vélo, place du Jardin aux fleurs, 1000 Bruxelles.

Sainte-Catherine, haut les voiles

Quand Sainte-Catherine met les voiles...
Quand Sainte-Catherine met les voiles…© PHOTOS : HATIM KAGHAT

Ou comment renouer avec l’histoire portuaire du quartier.

 » Jusqu’au XIXe siècle, des bateaux venaient de toute l’Europe à Sainte-Catherine pour larguer et charger des marchandises comme du bois à brûler, des briques ou du poisson « , raconte Rafaël Knops, historien de l’art et l’un des instigateurs de Sainte-Catherine-sur-Mer.  » Lorsque le port a été déplacé vers le canal, le quai a été remplacé par une église et un marché aux poissons couvert. Notre projet veut relier le quartier à son passé en mettant gratuitement à disposition des bateaux en modèles réduits avec lesquels les passants et les riverains peuvent se réapproprier le grand bassin. Une façon aussi de mieux connecter les quartiers Dansaert, Anspach et du Canal, dont les populations ne se mélangent habituellement que très peu. Nous allons essayer de proposer l’activité sur plusieurs mois : du printemps jusqu’à la mi-novembre, tous les mercredis, samedis et dimanches après-midi, lorsque le temps le permet.  »

Expérimentée pour la première fois à la mi-octobre, Sainte-Catherine-sur-Mer a eu son petit succès,  » même si nous espérons une plus grande mixité sociale pour les prochaines éditions « , concède Rafaël Knops, qui a fondé, avec deux compères, l’association Urban Foxes. Quant aux bateaux, ils ont été préférés à voile.  » Parce qu’ils sont plus costauds que les motorisés, qu’ils font nettement moins de bruit et qu’ils évoquent une certaine époque… Notre objectif est d’amener au maximum le jeu et la convivialité au coeur de l’espace public.  »

Mont des Arts, l’art en vie

Bruxelles,
Bruxelles, « hell hole » ? Adeline et Leopoldo veulent démentir Donald Trump.© PHOTOS : HATIM KAGHAT

La rencontre directe avec les artistes pour animer le quartier.

Début 2016, Donald Trump traitait Bruxelles de  » hell hole « , soit de  » trou de l’enfer « . Il n’en fallait pas plus pour titiller l’orgueil et l’humour d’Adeline d’Ursel et Léopoldo Profili, à l’origine de l’asbl Nation(a)al. Le trou de Bruxelles, ils l’ont littéralement trouvé place du Musée et ont décidé de l’exploiter pour y livrer leur version de la capitale : un trou à talents. Courant décembre, cette cavité sera comblée par un pavillon cubique et translucide qui accueillera un espace de restauration et une résidence d’artistes ouverte au public.  » Ce trou était une belle métaphore de notre message « , souligne Adeline d’Ursel. La cavité était prévue pour être un puits de lumière dans le Musée fin de siècle, qui va rouvrir prochainement. Nous espérons que cette réouverture et notre pavillon contribueront à faire de cette place un peu oubliée un vrai lieu de passage.  »

Le duo poursuit un objectif plus large : faire connaître les talents belges.  » Pas besoin d’aller à Paris ou Berlin pour trouver une activité artistique digne d’intérêt, précise Léopoldo Profili. Bruxelles a largement ce qu’il faut et témoigne d’une renaissance créative depuis plusieurs années. Nous avons de bonnes écoles et possédons ce « petit truc » qui fait que nos artistes sortent du commun. « Les comparses ont donc lancé, il y a quatre ans, Nationa(a)l pour mettre en avant un potentiel inexploité et favoriser les rencontres entre artistes et public.  » Peu de gens ont accès aux lieux de création et les artistes n’ont pas toujours les capacités ni la possibilité de s’occuper de leur promotion en plus de leurs activités.  » Ils ont dès lors imaginé une plateforme de développement économique et culturel qui a pris la forme d’une exposition annuelle vivante, multidisciplinaire et dans laquelle tout est à vendre. Soit une réunion d’une centaine d’artistes, en un même lieu, avec concerts, défilés de mode, performances artistiques, séances de dédicaces.  » Nous nous assurons chaque année de sélectionner les meilleurs et les plus novateurs, notamment en nous entourant d’ambassadeurs – c’est-à-dire d’artistes confirmés – qui participent à la sélection des talents, exposent et partagent leur expérience avec les participants.  » Girls In Hawaii, Tim Van Steenbergen, Elvis Pompilio, An Pierlé, Bilall Fallah et Adil el Arbi ou Jean-François d’Or ont ainsi pris part aux expositions de Nationa(a)l.

Cette année, l’événement prend une forme différente pour se greffer à Make.Brussels.  » Le mont des Arts nous semblait le choix le plus judicieux vu sa richesse culturelle.  » Le quartier abrite en effet Bozar, le Musée des instruments de musique, la Cinematek, le musée Magritte… Nationa(a)l a choisi d’implanter sur la place du Musée un pavillon conçu par la plate-forme belge Arko studio. Les passants pourront y boire un café, travailler ou rencontrer les artistes. La formule, baptisée  » Talent Hole « , est amenée à évoluer dans l’espace et dans le temps.  » Nous n’excluons pas que le pavillon garde son rôle et soit déplacé dans d’autres endroits de Bruxelles. Même en pleine forêt !  »

Grand-Place, un arbre à palabres

Les passants passent, les paroles poussent.
Les passants passent, les paroles poussent.© PHOTOS : HATIM KAGHAT

Un lieu où s’asseoir, se rassembler et qui invite à parler entre citoyens.

L’idée s’est imposée après les attentats du 22 mars. Utilisateur quotidien du métro, Mehdi Beduin a raté le sien. Celui qui a explosé.  » Ces gens, je les voyais tous les matins à la même heure dans le même wagon. Ce n’est qu’un hasard si jen’étais pas dedans.  » Depuis, Mehdi, coordinateur du festival Bruxelles Babel, rêve d’un geste solidaire pour Bruxelles. D’un site de rencontres  » dévirtualisé « . D’un  » parloir collectif « , inspiré par les grands manguiers d’Afrique sous lesquels la parole est libre. Depuis les attentats,  » les gens se sont rapprochés et se sont mis à parler à des inconnus auxquels, avant, ils disaient à peine bonjour : dans le métro, dans l’ascenseur, au magasin… Comme s’il y avait toujours eu un besoin d’expression qui ne demandait qu’à exister.  »

Terrasses de café, bancs construits en hémicycle, escaliers avec zones de confort… Autant de parloirs potentiels à Bruxelles, selon Mehdi, mais inusités.  » C’est là qu’interviennent les « arbres à palabres » : il suffit de revitaliser un peu de mobilier urbain, avec des tables et des chaises, pour créer des ZUC. Des zones urbaines de communication.  » Son arbre à palabres, Mehdi l’a imaginé entre la Grand-Place et la Bourse. L’épicentre touristique de la capitale et le lieu de tous les mélanges. L’agora publique, la place de tous les rassemblements…  » L’idée, c’était de faire une bascule d’éducation. Cet arbre devait avoir pour objectif principal de créer et maintenir le dialogue sur ce lieu de recueillement post-attentats qu’est devenu la Bourse. Ce devait être un projet participatif. Un arbre citoyen.  »

Devait ?  » Dès qu’on a remporté le prix, on a senti le vent tourner : on nous a imposé une installation en fer forgé, qui se voulait monumentale… « De réunions en encombrements administratifs, en passant par des demandes d’autorisations jamais abouties, le projet a pris l’eau. Et la Ville a refusé le permis d’urbanisme.  » Ce qui au départ devait être un concours citoyen, s’est avéré une campagne de sponsoring pour entreprises avec des projets prêts à être livrés clé en main. Et surtout, une campagne de com politique pour certains.  »

Mehdi Beduin a donc préféré passer le flambeau à Gaëtan Wild, fraîchement diplômé en arts du spectacle. Assis sur un banc public, à deux pas de la Grand-Place, il fait la promotion d’un arbre à palabres version allégée : autour du banc, deux chaises, une pile de flyers et quelques banderoles invitent à la discussion. A ses côtés, un SDF et une touriste font un brin de causette.  » Des passants de toutes origines s’arrêtent et se mettent à discuter assez spontanément. Je leur explique le projet et, en retour, je leur demande de me laisser un mot dans mon journal de bord, explique Gaëtan. En ce moment, j’essaie de créer des synergies avec des associations qui sont dans la même démarche de dialogue citoyen. Dans quelques jours, on prévoit d’organiser une série d’événements avec des animations pour présenter le projet.  » En guise d’arbre, une palme protectrice doit être dressée chaque semaine, dès cette deuxième quinzaine de novembre, à trois endroits de la ville : place de la Bourse, place Agora et carrefour de l’Europe.

De son côté, Mehdi élabore, en solo, une nouvelle version de son projet de  » zones urbaines de communication « .  » Nous développons aussi une application qui permettra de géolocaliser toutes les ZUC de la Région.  » Plusieurs communes, associations et entreprises privées se montrent intéressées. La preuve, selon lui, que la parole démange les Bruxellois.

Notre-Dame-aux-Neiges, plein pot

Le restaurant Ah non peut-être !, partenaire de Melting Pots.
Le restaurant Ah non peut-être !, partenaire de Melting Pots.© PHOTOS : HATIM KAGHAT

Un partage culinaire moderne façon street food.

Prenez un quartier de Bruxelles à  » revitaminer « . Mobilisez une belle brochette de bars et restaurateurs du coin autour d’un nouveau concept de street food composé de plats savoureux en pots à emporter. Créez une plate-forme digitale et une appli pour renseigner et faire vivre cette offre inédite de partage culinaire. Secouez, et vous obtenez Melting Pots, le projet retenu pour revivifier le quartier de Notre-Dame-aux-Neiges devenu celui des Libertés, lové entre Madou, la colonne du Congrès et le Parlement. Derrière l’initiative, Greg Malcause, jeune trentenaire, bio-ingénieur de formation passé ensuite au marketing. Sa marotte : associer commerces de proximité et clientèle potentielle grâce au digital. Il s’y était essayé sur Auderghem en 2015 avec Gling (du bruit de clochette des portes de petits magasins).

Le concept de Melting Pots est simple : chaque restaurant partenaire choisit dans sa carte deux plats  » cartes de visite  » dont il adapte les proportions à un packaging d’une contenance de 720 ml, pour des prix oscillant entre 6 et 10 euros. A ce prix plancher, le resto Ah non peut-être ! dégaine ainsi sa boulette du même nom, tandis que le resto thaï Citron vert empote ses currys de viandes autour de 9 euros. Mais l’idée va au-delà puisque la plate-forme numérique et l’appli mobile, outre donner une vue d’ensemble des menus sur toute la zone, renseigneront des lieux pour les déguster à l’aise : bancs, parcs, monuments, endroits verts et  » melting cafés  » partenaires qui acceptent les  » melting poteurs  » à condition qu’ils y prennent un verre. C’est le cas du bar à vins Wine Shack, ouvert il y a un an par deux Français, dont Sylvain :  » Je ne propose que des planches fromages – charcuterie. Melting Pots donne à mes clients l’opportunité de varier les plaisirs tout en restant chez moi. Et peut aussi m’attirer une nouvelle clientèle.  »

Le quartier des Libertés est une équation urbaine difficile à résoudre pour ses restaurateurs.  » Un quartier vivant mais souvent seulement les soirs de Cirque royal, analyse Greg Malcause. La salle de spectacles draine une clientèle changeante et pressée qui connaît peu ou mal les possibilités de restauration alentours. Melting Pots leur apporte une solution. En journée, il y a l’autre clientèle : employés, fonctionnaires, navetteurs. Nos pots présentent l’alternative idéale à un sandwich ou un hamburger. Ce sont de bons plats, à manger plus rapidement qu’au resto, à l’extérieur ou au bureau, moins chers, et représentatifs du large choix culinaire du quartier.  »

Mais au-delà de l’offre alimentaire, le but est d’augmenter l’attractivité du quartier :  » Depuis quelques années, la fréquentation a encore chuté après les lourds travaux de la rue Croix-de-fer et du chantier Madou, peste Quentin, patron du Ah non peut-être !. Pour redynamiser le quartier, toutes les initiatives sont bienvenues.  » Greg, lui, insiste :  » J’encourage à sortir, à découvrir des gens, des lieux et des saveurs. A mixer les expériences, à tout mélanger : les consommateurs, les commerçants, les plats, les habitants, les navetteurs, les spectateurs du Cirque royal et les employés. On veut maintenir tous ces publics plus longtemps sur place. Et leur donner envie d’y revenir régulièrement. C’est un quartier à vivre le midi comme le soir.  »

Pour accélérer le mélange, Greg et ses partenaires ont prévu une première semaine (du 23 novembre au 2 décembre prochain) riche de  » melting pots aperos  » dans les bars et restos participants. Outre ses afterworks  » Tomorrow is another day  » du jeudi, le Ah non peut-être ! tiendra, le premier jour, un  » Melting Beer workshop « .  » On va fabriquer notre propre bière qu’on dégustera lors du dernier apéro de la période « , se réjouit Quentin. Entretemps, tous les styles musicaux auront été de la fête. Le Charla Barsera passé du tango à la salsa for dummies, La Table, de l’impro à la folk jam session, alterné avec des nearly winter apéros. De Bruxelles et d’ailleurs aura accueilli des sessions de blues et de reggae. Le vernissage d’un artiste local aura eu lieu au bar Wine Shack. Une soirée entre filles sera organisée par le salon de coiffure tout proche…

Et après ?  » On verra, avance Greg Malcause. La vraie réussite, si elle survient, sera avant tout sociale : avoir été un outil de découverte d’un quartier qui en a besoin. Avoir fédéré autour d’une nouvelle forme de street food de qualité. En toute liberté.  »

www.meltingpotsaperos.be

Sablon, le son du chocolat

Dis-moi ce que tu écoutes, je te dirai ce que tu manges (ou l'inverse).
Dis-moi ce que tu écoutes, je te dirai ce que tu manges (ou l’inverse).© PHOTOS : HATIM KAGHAT

L’expérience scientifique et artistique prouve que le chocolat se déguste aussi avec les oreilles.

Neuf personnes sur dix aiment le chocolat. La dixième ment… ou le savoure peut-être différemment.  » Parce qu’il est scientifiquement établi que l’ouïe peut influencer le goût, explique Felipe Reinoso Carvalho, ingénieur du son et chercheur en experience design à la VUB. Lorsqu’on lit en écoutant de la musique, la perception de la lecture est différente. Lorsqu’on visite un musée en mangeant, on voit les choses autrement. En fait, les environnements multisensoriels sont capables d’influencer le comportement et les sensations. Y compris le goût du chocolat.  » C’est de là que sont partis Felipe et ses deux comparses, Elien Haentjens et Peter Oliveira Passos, pour réaliser The Sound of Chocolate, expérience auditive et gustative, ouverte au public, dans le quartier du Sablon.

L’âme du coin, ce sont les antiquaires et quelques chocolatiers. En Belgique comme à l’étranger, certains n’hésitent plus à le surnommer  » la place Vendôme du chocolat « . A côté des grandes enseignes comme Neuhaus, Wittamer ou Godiva, c’est tout un savoir-faire artisanal qui fait l’identité de cette place. S’y côtoient les grands classiques et les nouveaux venus avec leurs vitrines rivalisant de prouesses.

Fourrées au gingembre ou à la lavande, alignées dans des emballages signés Delvaux, salées, poivrées, ganache, acides et fruitées… le catalogue des saveurs chocolatées n’a plus de limites. Dans certaines boutiques, on titille même les papilles avec du chocolat au curry de Madras, au wasabi ou au poivre de Cayenne.  » Aujourd’hui, le label « Belgian chocolates » ne suffit plus, affirme Elien Haentjens, historienne de l’art et journaliste spécialisée dans le design. Il faut jouer sur l’authenticité, l’audace et le style. Et c’est exactement la touche qu’on veut relever à travers notre projet. « 

Concrètement, The Sound of Chocolate propose aux consommateurs de goûter différents types de chocolats en écoutant certains sons, afin d’expérimenter l’association des notes et des saveurs.  » Le projet invite à ralentir et à se laisser immerger par les sens, confie Peter Oliveira Passos. L’expérience ouvre le champ des possibles en termes d’appréciation sensorielle. Le goût renforce le son, et inversement. Mais chacun vivra l’expérience différemment…  » Felipe Reinoso Carvalho est déjà parvenu à donner une identité sonore tropicale au chocolat, via la musique brésilienne :  » La musique peut rajouter du plaisir à la dégustation. Elle crée un lien émotionnel avec la nourriture qu’on met en bouche. Il a notamment été prouvé que les fréquences hautes (aigus) augmentent la perception du sucré, et les basses fréquences (graves) celle de l’amertume.  »

L’année dernière, ce chercheur fou s’est associé avec le groupe rock The Editors pour créer Salvation, la première bière qui traduit la musique d’un disque en goût. Brassée par le Brussels Beer Project, une microbrasserie participative du centre-ville, la Salvation est une stout sombre et intense infusée au thé Earl Grey.  » Avec des notes de cacao amer, légèrement rôties et grillées, comme la voix du chanteur.  »

Pour transposer ce concept au Sablon, le trio s’est associé à trois chocolatiers : un industriel, Leonidas, et deux artisans, Passion Chocolat et Frederic Blondeel. La capitale compte 32 entreprises spécialisées dans le travail du cacao, la production de chocolat et de produits de confiserie. Mais face aux industriels, les vrais artisans praliniers n’occupent qu’une petite partie du marché belge. C’est aussi à ce patrimoine que nous voulons rendre hommage et sensibiliser les Bruxellois.  »

A chacune des saveurs développées par ces boutiques, des musiciens, designers et scientifiques ont donc associé des instruments, des sons ou des chansons. Et dans chaque boutique, des tablettes munies d’écouteurs devraient offrir une expérience directe et personnalisée.  » Tout le processus créatif consiste à créer identité entre le chocolatier, les saveurs qu’il propose et l’environnement musical qui lui correspond, explique Felipe. Sachant qu’on n’associe pas n’importe quel son avec n’importe quel chocolat.  » En partenariat avec ces boutiques, le trio a donc créé des  » chocolate boxes  » : des ballotins en édition limitée, accompagnés d’un CD ou d’un code Internet pour écouter des chansons présélectionnées. Du 24 au 27 novembre, dans le cadre des nocturnes du Sablon, quatre soirées de dégustation sont prévues chez les trois chocolatiers sélectionnés. Avec des concerts de Baïkonour chez Passion Chocolat, de Duo Aert chez Frederic Blondeel et de Zap Mama chez Leonidas.  » Une immense chocolate party.  »

Bourse, Subway Art Project

Christophe Bertelli, le
Christophe Bertelli, le  » David Copperfield des nightclubs « .© PHOTOS : HATIM KAGHAT

Un détonant cocktail d’art et d’électro dans les entrailles du métro.

Avec ses comparses de Bamboola Prod, et son ami Teïva Bayeux, Christophe Bertelli s’est taillé une réputation de David Copperfield des nightclubs, capable de faire danser dans les endroits les plus inédits de Bruxelles. Sa marque de fabrique : un cocktail de performances artistiques et de clubbing agité. Après avoir assuré la programmation electro-chill du Fontainas, célèbre bar gay friendly bruxellois, il crée, en 2007, avec ses associés, les soirées  » Plastic « , l’un des musts de l’événementiel nocturne bruxellois.

A l’annonce du concours Make.Brussels, Christophe pense immédiatement à la station de la Bourse.  » Le quartier Saint-Jacques, c’est un peu le Marais parisien, où le branché côtoie le vintage, les tatoueurs, les disquaires… Mais en moins snob. Or, depuis que le piétonnier a investi le boulevard du Centre, la station de la Bourse est complètement défigurée. Alors, avec Teïva, on s’est dit que le meilleur moyen d’agir, c’était de faire appel à des artistes bruxellois pour redonner du prestige à ces lieux.  »

La Ligne-Subway Art Project est née.  » Nous avions envie de proposer quelque chose de différent et de réellement attractif. Une expo faite par des artistes locaux pour les habitants de Bruxelles. Accessible gratuitement, en permanence, sans le côté élitiste des galeries…  » Mot d’ordre pour les artistes : être contemporains, interactifs et ludiques.  » Nous voulons juste donner du rêve aux usagers des transports en commun, le temps d’un vernissage et d’une party sous les pavés, estime Christophe Bertelli. Parce qu’en ce moment, à Bruxelles, ça manque un peu de folie…  »

Un dossier coordonné par Philippe Berkenbaum, avec Anabelle Duaut, Fernand Letist, Dorian Peck et Marie-Eve Rebts.

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