Herman Matthijs

« Dix leçons à tirer des attentats de Paris »

Herman Matthijs Professeur en Finances publiques

« Après les attentats sanglants de Paris et les conséquences pour notre pays, il est temps de tirer quelques leçons » écrit le professeur Herman Matthijs (VUB et Université de Gand). Selon lui, certaines décisions auraient dû être prises depuis des années, alors que d’autres modifieront notre façon de vivre.

Les leçons

1. La Belgique a un problème avec le terrorisme lié à l’islam radical. Le gouvernement a décidé de participer au combat contre le groupe terroriste EI. Nous assistons directement la France, qui a déclaré la guerre à l’EI. La frégate belge Léopold Ier accompagne, en effet, le porte-avions français Charles de Gaulle vers le Golfe Persique. Depuis ce navire, on va directement attaquer la Syrie, ce qui est inédit jusqu’à présent. Nous faisons donc un choix clair dans ce conflit et le gouvernement doit bien évaluer les conséquences de cet acte.

2. Le gouvernement a relevé le niveau d’alerte terroriste à 4 pour la Région de Bruxelles-Capitale et pour le reste du royaume, il est maintenu à 3. Il ne fait pas de doute que le Conseil de sécurité national a de bonnes raisons. Mais il aurait mieux valu décréter l’alerte terroriste pour tout le pays. Sur ce point, la logique du gouvernement français est plus claire : il a décrété « l’état d’urgence » pour tout le territoire. Une scission du niveau de menace ne fait que semer la confusion et le calcul de la disponibilité du personnel ne peut être une raison à cette décision.

3. Le problème Molenbeek, la partie de Bruxelles, désormais « renommée » dans le monde entier. Évidemment, il y a également d’autres communes dans ce pays où règnent ces groupes salafistes. Il faut admettre que tous les moyens investis dans les programmes et l’enseignement n’ont pas pu éviter l’accroissement du nombre d’adeptes à ces tendances radicales. Molenbeek nous fait entrer aussi dans la discussion sur les 19 baronnies bruxelloises. Même aujourd’hui, il n’est pas possible de fusionner les six zones de police bruxelloises en une seule.

4. Le gouvernement a déjà pris une série de mesures logiques, telle que l’arrestation de djihadistes syriens et le démantèlement de lieux de culte non reconnus qui propagent le jihadisme. On peut cependant se demander pourquoi ces mesures n’ont pas été prises beaucoup plus tôt ? En outre, il y a une série de mesures déjà annoncées dans le passé, mais qui n’ont jamais été réalisées.

5. Le dossier politique de compétences entre les ministres. Ne vaudrait-il pas mieux, comme aux Pays-Bas, réunir la Police (Intérieur) et la Justice auprès d’un seul membre du gouvernement ?

6. La problématique du terrorisme et de son financement. Si on était capable de résoudre cette problématique, on serait beaucoup plus loin dans la lutte contre le terrorisme. Sur ce plan, la Belgique doit encore fournir des efforts supplémentaires.

7. L’approche antiterroriste coûte cher au budget. Lors de l’établissement du budget 2013, on a supprimé 200 millions pour la sécurité, mais cette provision pour la sécurité a été utilisée en 2015. À présent, le gouvernement annonce 400 millions d’euros de moyens supplémentaires même si on ignore totalement d’où doit venir cet argent. Cependant, au lieu d’attendre le contrôle budgétaire de mars 2016, le gouvernement ferait mieux de se servir de l’article 70 de la loi du 22 mai 2003 qui permet au gouvernement d’inscrire des moyens supplémentaires en cas de circonstances urgentes et exceptionnelles.

8. Les normes budgétaires de l’UE: la France souhaite exclure les dépenses budgétaires supplémentaires en matière de sécurité et d’armée du calcul de l’UE relatif à la dette et au déficit. Cela arrangerait bien la République française, qui de toute façon n’atteindrait pas les normes. Cependant, d’autres pays y auraient également intérêt. Il est également possible d’exclure les frais d’asile de ces calculs. En d’autres termes, les frais budgétaires décrits ci-dessus pourraient exercer un effet néfaste sur l’opportunité de maintenir les règles budgétaires de l’UE.

9. L’opportunité d’une étude de l’approche belge par le comité I. Il est en effet flagrant que des erreurs ont été commises dans le suivi des terroristes suspects. C’est aux politiques responsables d’en tirer des leçons par le biais de la Commission de la Chambre des Représentants. Notez bien qu’il y a eu des erreurs en Belgique, mais très certainement aussi dans la cinquième République française.

10. Il faut répéter qu’il y a un problème gigantesque de contrôle aux frontières extérieures de la zone Schengen. On a déjà beaucoup raconté et promis à ce sujet, mais à certains endroits ces frontières extérieures sont de vraies passoires. Il faudrait mieux réfléchir à un nouveau mini-Schengen avec les pays du Benelux par exemple, l’Allemagne, la France, l’Autriche et les pays ibériques. En outre, il faut renforcer les contrôles pour les départs depuis la zone Schengen.

Conclusion

Imaginez-vous qu’il n’y a pas de nouvelles mesures et qu’il y ait tout de même un attentat, les politiques ne sauraient plus où se cacher

On ne peut qu’apprécier que le gouvernement prenne des mesures supplémentaires. S’il n’y avait pas de mesures de sécurité supplémentaires, les terroristes auraient tout à fait les coudées franches. Imaginez-vous qu’il n’y a pas de nouvelles mesures et qu’il y ait tout de même un attentat, les politiques ne sauraient plus où se cacher. Il est certain qu’après les attentats de Paris nous nous sommes éveillés dans un monde nouveau. Le maintien de nos libertés devra être mieux défendu, et cela demandera une attitude différente des gouvernements et des citoyens. Ne serait-ce que parce que la sécurité deviendra un élément de plus en plus important de notre économie.

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