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Dix erreurs politiques que les francophones paient toujours : Bruxelles-National

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Vieux d’un siècle, l’aéroport n’a jamais quitté les communes de l’est de la capitale. Ce qui contraint les avions à décoller vers la ville, face aux vents dominants. A cette erreur de base s’ajoutent des querelles politiques et communautaires qui empoisonnent le dossier depuis des décennies. Et une totale absence de vision de long terme.

Ceci n’est pas un réquisitoire. C’est un constat. Dans plusieurs secteurs, depuis des années, et parfois plus que ça, la réalité belge (surtout francophone) est au pire désolante au mieux problématique. De grands projets jamais aboutis, des difficultés budgétaires récurrentes, des modernisations inexistantes, des querelles de clocher, des communautés hermétiques les unes aux autres, des pléthores qui se transforment en manques, des politiques de mobilité catastrophiques, des stratégies énergétiques qui tournent au fiasco… Beaucoup de choses se réalisent, des progrès ont lieu, des initiatives positives se révèlent des succès mais, ne nous mentons pas, les raisons de s’arracher les cheveux sont nombreuses.

Ces situations sont souvent typiquement belges. Parce qu’elles résultent de décisions prises dans un contexte qui nous était tout particulier. Le Vif/L’Express en épingle dix. Dix décisions politiques, récentes ou lointaines, qu’on est en droit, aujourd’hui, de considérer comme mauvaises. Comme ayant provoqué les blocages, les échecs, les faillites, les casse-tête auxquels nous sommes confrontés au quotidien.

Nous les énumérons. Nous rappelons le contexte qui y a présidé. Nous en décryptons les conséquences. Et nous proposons la ou les solutions qui permettraient de ne plus en payer le prix.

Le contexte

La localisation de l’aéroport de Bruxelles-National ne constitue pas une erreur historique mais une accumulation d’erreurs, de faiblesses politiques, d’occasions manquées. Et une absence criante de vision, dont on paie aujourd’hui le prix. Le conflit qui oppose actuellement la Région bruxelloise, légitimement arc-boutée sur le respect des normes de bruit dans son ciel, à la Flandre, totalement opposée au détournement des avions vers son territoire, n’en est qu’une triste illustration.

L’histoire démarre de façon boiteuse. Au début de la Première Guerre mondiale, les Allemands installent un terrain d’aviation à Haren, au nord-est de Bruxelles. A la fin du conflit, l’Etat belge récupère le lieu. Première erreur. Car, pour décoller, les avions doivent faire face aux vents dominants, qui viennent de l’ouest. Afin de ne pas survoler Bruxelles, il aurait donc fallu choisir d’établir un aéroport ailleurs qu’à l’est de la ville. Soit.

Survient la Deuxième Guerre mondiale. Les Allemands choisissent cette fois Melsbroek, au nord de la commune de Zaventem, mais toujours à l’est de Bruxelles, pour construire leur nouvel aérodrome militaire. La guerre finie, le gouvernement belge reprend la structure, qu’il modifie pour le trafic civil en allongeant les pistes. L’ancien aérodrome de Haren est abandonné.  » Les pouvoirs publics ont toujours choisi, par facilité, de construire un nouvel aéroport à côté de l’ancien, souligne un spécialiste du droit aérien.

Pour l’exposition universelle de 1958, qui se tient à Bruxelles, deux nouveaux terminaux sont construits à Zaventem. Le site de Melsbroek est à son tour abandonné.  » On aurait pu et dû, à ce moment-là, installer l’aéroport quelque part entre Bruxelles et Malines, non loin d’une ligne ferroviaire « , estime le géographe de l’ULB Frédéric Dobruszkes. Vingt ans après, c’était trop tard : tout était déjà construit.  »

 » A l’époque, la question environnementale ne se posait pas, rappelle Antoine Wilhelmi, qui dirige le mouvement citoyen « Pas question ! ». On ne savait pas non plus ce qu’il adviendrait du développement de l’aéroport ni de l’aéronautique en général.  » En 1950, 240 000 passagers par an utilisaient l’aéroport de Melsbroek. Aujourd’hui, un peu plus de deux millions de voyageurs passent, chaque mois, par l’aéroport de Bruxelles-National. Au mitan du siècle, donc, on ne pouvait pas savoir. Mais l’excuse ne vaut plus pour la suite.

Pourtant, dans les années 1970, les pistes de l’aéroport sont allongées et élargies. Les anciens terminaux sont rénovés ; d’autres, flambant neufs, s’y ajoutent, pour le fret puis l’accueil des compagnies low cost. De nouvelles jetées sont construites. Toujours plus grand. Au point qu’aujourd’hui, l’aéroport est coincé de toutes parts et ne peut plus se développer.

En 1985, les premiers vols de nuit, opérés par DHL, s’envolent de Bruxelles-National. A partir de là, la question des nuisances sonores ne fera que s’amplifier. Pour autant, aucune réflexion politique, économique ou stratégique ne semble menée sur l’emplacement de cet aéroport, son développement futur, ni les risques éventuels en termes de sécurité et de santé publique.

Au début des années 1990 toutefois, l’implantation d’un nouvel aéroport à Chièvres, dans le Hainaut, est évoquée. L’infrastructure serait installée sur une ancienne base militaire, à environ 55 kilomètres de Bruxelles, en Région wallonne certes, mais à quelques kilomètres seulement de la Région flamande. Les lieux sont peu peuplés. Le projet n’aboutira pas. Guy Verhofstadt, Premier ministre en 2003, tente de le relancer. En vain.

En 2004, l’Etat se sépare de l’aéroport en revendant 70 % des parts au groupe australien Macquarie. Aujourd’hui, ils sont nombreux à considérer que cette vente constitue une lourde erreur. Car dès lors que l’Etat ne dispose plus de la majorité dans cette infrastructure, il n’a plus rien à y dire. Le nouveau propriétaire des lieux, lui, n’a qu’un objectif : développer au maximum ses activités afin de rémunérer ses actionnaires. L’aéroport est vendu à l’époque pour environ un milliard d’euros. Le contrat de vente ne sera jamais rendu public.

Pendant ce temps, les constructions aux alentours ne sont pas gelées. A Grimbergen, par exemple, commune voisine de l’aéroport, on comptait 11 927 logements en 1981 et 16 430 en 2015, soit 38 % de plus. Wezembeek-Oppem, largement survolée par les avions, comptait 4 274 logements en 1995, et 5 713 en 2015, soit 21 % de plus.

Depuis trente ans maintenant, la saga sur le choix des pistes de décollage et d’atterrissage, donc le choix des quartiers survolés, n’a cessé de rebondir de ministre en ministre, selon sa sensibilité politique et son appartenance communautaire, de démission en chantage, d’élection perdue en menaces sur l’emploi à l’aéroport. Mais à aucun moment, le critère du plus grand nombre d’habitants survolés n’est retenu comme principal pour déterminer les routes aériennes.

Le constat

Aujourd’hui, le dossier de l’aéroport est totalement bloqué. Les problèmes environnementaux et de santé publique qui y sont liés sont avérés. Flamands et francophones se livrent une lutte sans merci pour obtenir que  » leurs  » concitoyens ne soient pas survolés. Les associations de riverains mènent, pour l’essentiel, le même combat, selon la zone de Bruxelles d’où elles proviennent. Les Régions s’opposent désormais, dès lors que les normes de bruit ont été régionalisées. Les tribunaux sont appelés en renfort pour donner raison à l’un ou à l’autre. Le patronat prédit un coup de frein catastrophique pour l’économie si des contraintes sont imposées aux compagnies aériennes. Les syndicats se déchirent sur la meilleure façon de défendre l’emploi à l’aéroport, essentiellement flamand. Et certaines compagnies aériennes menacent de voler vers d’autres cieux si des amendes pour dépassement des normes de bruit leur sont imposées. Au gouvernement fédéral, enfin, un ministre libéral francophone bien esseulé, François Bellot, doit faire face à ses collègues du nord du pays et à Belgocontrol, gestionnaire du trafic aérien, largement dominé par des Flamands.

Les solutions

Il n’y en a pas une qui s’impose mais plusieurs qui devraient s’appliquer de concert. Déménager l’aéroport paraît désormais exclu. Les pistes pourraient être allongées, de manière à ce que les atterrissages et les décollages ne se produisent plus au-dessus de la capitale. D’autres communes et d’autres habitants seraient touchés par la pollution sonore mais ils seraient moins nombreux à en souffrir. Les routes aériennes pourraient être revues, en fonction des zones les plus densément peuplées. L’activité de l’aéroport n’en serait pas affectée.

Les vols de fret, voire de passagers, pourraient être répartis dans d’autres aéroports belges. Parallèlement, les infrastructures de transport entre ceux-ci et Bruxelles devraient être développées. Les vols de nuit pourraient être interdits de 22 h à 7 h et non de 23 h à 6 h, comme actuellement.

Une politique d’insonorisation des bâtiments, voire d’expropriations dans les lieux les plus exposés, pourrait être décidée et mise en oeuvre.

Toutes ces pistes sont connues depuis longtemps. Elles resteront voeux pieux tant qu’il n’y aura pas d’accord politique sur une vision commune. Et chaque mot a son importance.

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