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Dix clés pour mieux connaître Philippe

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Un guide, un facilitateur adepte du Renouveau charismatique mais qui n’aime pas l’improvisation et a du mal à se protéger des coups… Le portrait du nouveau roi par ses proches.

« J’ai trouvé Philippe très serein ces dernières semaines, confie Paul Buysse. Il savait que son père était physiquement à bout et il attendait simplement que soit confirmée la date de l’abdication. » Administrateur de sociétés (Bekaert…), le baron Buysse a rencontré Philippe lors d’une visite princière à Anvers en 1990 et est devenu un habitué du château de Laeken. Ami intime du prince héritier, l’ex-président du Fonds Prince Philippe créé en 1998 pour encourager les échanges entre communautés a accepté d’évoquer les compétences et les convictions du nouveau roi des Belges. Même exercice pour le comte Georges Jacobs de Hagen, ancien patron d’UCB. Lui aussi ami fidèle de la famille royale, cet ex-président de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB) a été le mentor de Philippe quand le prince a dû remplacer au pied levé son père à la tête de l’Office belge du commerce extérieur. D’autres témoignages de proches permettent de mieux cerner les atouts et faiblesses du successeur d’Albert II.

Ses ambitions

Son entourage le confirme : Philippe, qui a si souvent répété qu’il était « prêt » à monter sur le trône, attend son heure avec impatience et est persuadé d’être à la hauteur de la tâche. « Très clairement, il voulait être roi, indique Georges Jacobs. Cette ambition remonte à l’époque où Baudouin l’avait pris sous son aile protectrice. Etre, depuis vingt ans déjà, une sorte de  »numéro 2 » de son père a été, pour Philippe, une situation ambiguë et très inconfortable. » En 1996, Philippe avait déjà affiché ses intentions devant une brochette de rédacteurs en chef flamands, convoqués dans un restaurant du Bois de la Cambre : « Je veux devenir roi, je veux diriger ce pays. »

Son voeu réalisé, Philippe n’aura que quelques mois pour trouver ses marques avant un scrutin de tous les dangers, en mai 2014, et de nouveaux écueils politiques. Est-il conscient des limites des prérogatives royales ? « Philippe se voit comme un guide et un facilitateur, estime Paul Buysse. Il voudra faire émerger des solutions politiques équilibrées. Néanmoins, il connaît ses responsabilités et le cadre dans lequel s’exerceront ses nouvelles fonctions. Cela fait partie de son ADN. »

Ses compétences

Qualifié naguère dans le milieu politique de « prince sans qualité », Philippe est, depuis plus de vingt ans, critiqué pour sa gaucherie, son immaturité et la platitude de ses propos. Un professeur d’université qui lui a donné des cours particuliers à la fin des années 1980 déplore les erreurs commises dans la formation du prince : « Le roi Baudouin, qui voulait que son neveu comprenne la structure de l’Etat, a cru bien faire en faisant défiler de grands spécialistes à Laeken. Mais le prince était largué. Il aurait fallu lui enseigner le b.a.-ba du droit et de l’économie plutôt que lui inculquer des notions très pointues. A l’époque, Philippe a aussi visité les institutions du pays. Il a été bombardé d’informations techniques qui le dépassaient complètement. »

Le comte Jacobs revient, lui, sur la décennie suivante : « Quand son père est monté sur le trône, en 1993, Philippe n’était pas du tout préparé à présider les missions économiques à l’étranger, raconte l’ex-patron de la FEB. Il a fallu lui indiquer la route à suivre. Son inexpérience totale ne l’a pas empêché d’accomplir sa tâche avec application et conscience professionnelle. »

Sa volonté de bien faire « Pendant trente ans, Philippe a eu d’innombrables contacts lors de visites, voyages ou colloques, remarque Paul Buysse. Il s’est entretenu avec des économistes, des scientifiques, des artistes… Dans le monde politique, il a surtout des relations avec des responsables de sa génération. Certains jours, il a trois ou quatre audiences. Les tête-à-tête durent parfois près de deux heures. Il pose beaucoup de questions à ses interlocuteurs, essaie de comprendre. Il prépare beaucoup ces entretiens et s’efforce de mémoriser les noms des personnes qu’il doit rencontrer. »

Un parlementaire réputé proche du Palais ajoute : « On a tendance, aujourd’hui, à parer Albert II de toutes les vertus, ce qui accentue le contraste avec son fils. Peut-on dire pour autant que le père est doté d’une brillante intelligence ? Albert a terminé ses humanités avec des résultats très moyens. Son discours de 1993, lors de sa prestation de serment, était d’une affligeante banalité. »

Sa timidité

« On ne changera pas Philippe, prévient le baron Buysse. Il a sa personnalité et il ne faut pas se faire d’illusion : son accession au trône ne le rendra pas jovial et extraverti. S’il se comportait ainsi, ce serait complètement artificiel et cela ne servirait à rien. »

Ami d’enfance du prince Philippe, dont il est resté proche, Philippe de Broqueville, reconnaît, dans une interview publiée ce mois-ci dans le magazine Royals, que le nouveau roi des Belges n’est pas un homme spontané : « Il aime que tout soit préparé. Contrairement au roi Albert, il n’aime pas l’improvisation… Il reste un peu incertain face aux caméras, mais tente chaque jour de s’améliorer. »

Kristine De Vriese, la rédactrice en chef de Royals, a eu l’occasion de discuter à bâtons rompus avec Philippe lors de périples outre-mer. « Ses moindres faits et gestes étant épiés, il a terriblement peur de dire un mot susceptible d’être mal interprété, raconte-t-elle. Lors d’un séjour en Inde, il s’est assis à notre table et a pris une bière. Je ne l’avais jamais vu si décontracté. Il a dit aux trois ou quatre journalistes présents qu’il était relax parce qu’il nous connaissait bien et pouvait nous faire confiance. »

Ses maladresses

Georges Jacobs considère Philippe comme « un homme consciencieux, soucieux d’être à la hauteur. Philippe a une volonté farouche de réussir ce qu’il entreprend, mais il faudra le prévenir contre lui-même. Homme de devoir, il veut être performant, mais cela ne doit pas virer à l’entêtement. Il doit aussi améliorer sa communication. Il ne s’exprime pas toujours de manière idéale. » Paul Buysse, lui, assure que « Philippe ne sait pas se défendre. Il reçoit les coups et ne peut répliquer ou même se protéger. » Philippe de Broqueville, l’ami d’enfance, estime qu' »une fonction protocolaire lui donnerait l’occasion de communiquer de manière plus franche ».

Sa rancune

Philippe peine à digérer les attaques personnelles dont il est victime. Ainsi, en janvier 2007, au cours de la traditionnelle réception de Nouvel an, il s’en prend à deux rédacteurs en chef flamands dont les journaux l’ont violemment critiqué. Du jamais vu. Le prince n’a pas supporté la mise en cause de ses compétences suite à la mission économique calamiteuse de mars 2006 en Afrique du Sud. Un Philippe blessé ne peut ni ne veut relativiser les événements passés, juge un confident du couple princier. Et cela malgré les conseils ou mises en garde de son père, de son épouse et de confidents comme le baron Buysse ou Ghislain d’Hoop, son bras droit de l’époque. Son altercation avec la presse sera à l’origine d’un vif émoi politique. Dans tous les partis, on laisse entendre que le successeur au trône « pose un réel problème ».

Ses relations avec son père

A la mort du roi Baudouin, Albert, qui n’a jamais eu beaucoup d’égards pour son fils aîné, a tardé à informer Philippe des décisions prises pour la succession. Le prince, déçu et amer, a alors traversé une grave crise d’identité. Cette humiliation s’est ajoutée aux traumatismes de l’enfance liés aux déboires conjugaux de ses parents, trop souvent absents. « Ces dernières années, Albert et Philippe ont eu peu de contacts, constate Kristine De Vriese, rédactrice en chef de Royals. Ils se parlent rarement, même au sujet de la famille. On est loin des relations étroites qui unissent l’ex-reine Beatrix et son fils Willem-Alexander. Les photos officielles de la famille royale de Belgique sont diffusées pour présenter une image non conforme à la réalité. »

Un intime du Palais avance qu’ « une certaine concurrence entre Paola, qui fut ravissante, et Mathilde, actuelle star de la famille royale, a accentué le fossé entre Albert et Philippe. Paola s’est d’ailleurs ostensiblement rapprochée de la princesse Claire, épouse du turbulent prince Laurent ».

Albert aurait-il dû mieux préparer son fils aîné à ses futures fonctions ? « En Belgique, la fonction de Roi ne se partage pas, rappelle Georges Jacobs. Il n’était pas possible, pour le souverain, de mêler le prince héritier à ses échanges avec le Premier ministre et les responsables politiques. »

Ses passions

« Philippe nous parle beaucoup de son amour pour son pays, note Paul Buysse. En outre, il lit énormément, chez lui ou en mission. » Dans la bibliothèque de Laeken, les auteurs classiques – Rainer Maria Rilke, le poète des « méandres de l’âme », est l’un de ses préférés, avec Dostoïevski – côtoient surtout les philosophes. « Il essaie d’assimiler, avec une patience de bénédictin, ses auteurs favoris, révèle Philippe prince héritier, une biographie parue en 2008. Même pendant les vacances, il lit des ouvrages d’Avishai Margalit, de John Rawls et de Will Kymlicka. » Le premier est l’auteur de La Société décente, une société dont les institutions n’humilient pas les citoyens.

Le sénateur MR Armand De Decker, ardent défenseur de la famille royale, ne peut s’empêcher de soupirer quand on évoque la passion dévorante de Philippe pour la philosophie. Autant le ministre d’Etat ne manque pas une occasion de vanter les qualités de pilote de chasse du prince, autant son attrait pour des essais philosophiques « incompréhensibles » le laisse pantois.

Ses convictions religieuses

« Philippe a des convictions religieuses très arrêtées, mais pratique sa foi dans la plus grande discrétion », indique Georges Jacobs. D’autres sources, cléricales, précisent que Philippe et Mathilde, elle-même très dévote, se sont trouvés dans la foi. « Ce sont de fervents adeptes de la Communauté de l’Emmanuel, une des branches du Renouveau charismatique », précisent les auteurs flamands de Philippe prince héritier. La prière, la lecture de la Bible à leurs enfants et les journées de récollection – en particulier à Paray-le-Monial (Saône-et-Loire), centre spirituel où, dans les années 1980, Albert et Paola ont scellé leur réconciliation – tiennent une grande place dans la famille.

« Depuis que j’ai l’honneur de connaître Philippe, nous n’avons jamais abordé la question de la foi, glisse toutefois Paul Buysse. Il n’y a même jamais fait allusion. Lors de dîners chez lui, je n’ai jamais croisé de prêtres ou d’évêques. L’époque actuelle n’a rien à voir avec celle de Baudouin, qui était très à l’écoute du cardinal Suenens. »

Son entourage

« J’ai un jour qualifié les conseillers du prince Philippe d »’équipe de 2e division », avoue Georges Jacobs. Des propos mal ressentis au Palais. C’était une erreur de ma part. J’aurais dû parler d »’équipe de réserve ». John Cornet d’Elzius, aujourd’hui ambassadeur de Belgique en Israël, a été excellent et le colonel Noël de Bruyne, qui dirige la Maison du duc de Brabant depuis des années, est un conseiller remarquable. L’équipe de Philippe doit être renforcée. Il lui faut des gens motivés. »

Pas de grands bouleversements attendus pour autant lors du renouvellement des cadres : les conseillers resteront largement issus des milieux diplomatiques et militaires et le CD&V devrait rester aux avant-postes, avec l’arrivée de Frans Van Daele, diplomate chevronné, comme chef cab’, et le maintien probable de Pierre Cartuyvels comme conseiller. « C’est un peu décevant de constater que l’homme qui remplacera Jacques van Ypersele de Strihou au poste de chef de cabinet du roi est un retraité de 65 ans, commente Kristine De Vriese. Il y a pourtant eu un effort de rajeunissement depuis l’arrivée de Cartuyvels, qui s’est efforcé de donner une image plus humaine de Philippe. »

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