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Di Rupo, si près du 16…

Elio Di Rupo n’a peut-être jamais été aussi près de devenir Premier ministre. Mais la course à la succession d’Yves Leterme constitue pour lui un piège autant qu’un enjeu.

En sport comme en politique, il est de ces exploits qui ont la peau dure, de ces records qui mettent longtemps à être effacés des tablettes. Il a fallu vingt-deux ans avant que Mike Powell n’améliore le record du monde de saut en longueur établi par Bob Beamon en 1968. Lucien Van Impe, dernier vainqueur belge du Tour de France, en 1976, n’a toujours pas trouvé de successeur… Et on dirait bien que, pour un Belge francophone, devenir Premier ministre soit devenu un rêve aussi inaccessible que de remporter la Grande Boucle.

Le dernier à avoir accompli cette authentique prouesse ? Paul Vande Boeynants, en 1978. Mais il n’avait tenu que quelques mois – et encore, à la tête d’un gouvernement de transition. Récemment, Louis Michel, Elio Di Rupo et Didier Reynders ont à tour de rôle caressé l’espoir d’occuper la place. Sans jamais y parvenir. La Belgique fédérale est ainsi faite, en ce début du xxie siècle : la plus haute fonction politique s’apparente à une chasse gardée flamande. Une anomalie du système belge ? Dans la Suisse quadrilingue, en tout cas, il n’est pas exceptionnel qu’un francophone accède à la présidence de la Confédération. Le constat vaut aussi pour le Canada bilingue, où le Premier ministre est régulièrement originaire du Québec.

Or voilà qu’Elio Di Rupo serait à nouveau « premier-ministrable ». Ce n’est ni une certitude, ni l’enjeu premier des élections. Mais l’hypothèse mérite d’être auscultée, tant elle représenterait une révolution symbolique.

Alors, Di Rupo successeur d’Yves Leterme ? Au PS, tous insistent : ce n’est pas le débat du moment. N’empêche, le peuple socialiste croit dans les chances de son président. « Si, effectivement, le PS se comporte très bien le 13 juin, si le SP.A en Flandre se redresse, c’est une éventualité qu’on peut envisager », souligne le député européen Marc Tarabella. « Qui que ce soit, le prochain Premier ministre devra avoir la carrure d’un homme d’Etat, abonde le ministre wallon Paul Furlan. Des personnalités de cette trempe-là, il n’y en a pas cinq en Belgique. Elio Di Rupo est l’un d’entre eux. »

Un président de fédération va plus loin : « Elio n’a jamais été aussi près du but. » En dehors du PS aussi, on prend au sérieux la possibilité qu’Elio Di Rupo pose ses pénates au 16, rue de la Loi. « C’est même un cas de figure très probable », soutient un parlementaire SP.A. « Cette fois, Di Rupo se trouve en pole position pour devenir Premier ministre », redoute un jeune élu MR.

Le PS pourrait devenir le premier parti en nombre de sièges à la Chambre

Deux éléments gonflent les chances d’Elio Di Rupo. Primo : vu l’émiettement du paysage politique en Flandre, le PS pourrait devenir le premier parti en nombre de sièges à la Chambre, devant le CD&V. Secundo : aussi bien le PS que le SP.A devraient améliorer leur score de 2007. Ensemble, socialistes francophones et néerlandophones pourraient dès lors constituer la plus importante famille politique du pays. A l’inverse, les chrétiens-démocrates du CD&V risquent d’enregistrer un sérieux recul par rapport aux 30 sièges conquis voici trois ans, en cartel avec la N-VA.

Loin d’être farfelu, le scénario « Elio Premier » reste dépendant de cette condition : que la présidente du CD&V, Marianne Thyssen, laisse filer le poste. Exclu ? Pas forcément. L’imminence d’une réforme de l’Etat pourrait paradoxalement jouer en faveur d’Elio Di Rupo. Pour le nord du pays, concéder la direction du gouvernement au PS serait une façon de rendre les francophones garants de la bonne marche des négociations.

L’opinion publique flamande et la montée en puissance des partis nationalistes sont bien davantage susceptibles de barrer la route d’Elio Di Rupo. Dans une Flandre radicalisée à droite, la perspective d’un Premier ministre francophone de gauche a des relents explosifs. Que le sujet devienne un thème de campagne compliquerait la tâche de Di Rupo. La N-VA aurait beau jeu de crier au scandale, et d’entraîner les autres partis flamands dans un front du refus. Poser le problème du Premier ministre reviendrait donc à faire le jeu des nationalistes, raison pour laquelle les mandataires PS s’expriment peu sur le sujet.

Quant à Elio Di Rupo lui-même, il a déjà tout été, il a tout conquis : député en 1987, député européen en 1989, sénateur en 1991, ministre de l’Enseignement de la Communauté française en 1992, vice-Premier ministre au gouvernement fédéral en 1994, ministre-président wallon en 1999, président du PS la même année, bourgmestre de Mons en 2000… Premier ministre, c’est la cerise qui manque à son gâteau. Déjà, en 2003, il avait transformé la mission d’information que lui avait confiée le roi en un grand show, clôturé par une note ambitieuse, « Pour une Belgique créative et solidaire ».

Beaucoup, dans l’entourage d’Elio Di Rupo, ont alors cru que les portes du 16, rue de la Loi s’ouvriraient bientôt devant lui. Le changement d’alliance, dans la foulée du scrutin régional de 2004, ne s’inscrivait-il pas dans cette perspective ? En faisant monter le CDH au gouvernement wallon, et en renvoyant le MR dans l’opposition, Di Rupo s’érigeait en maître du jeu.

Les scandales du PS carolo ne lui feront pas renoncer à son ambition. « Ce n’est ni un crime ni une grossièreté de dire qu’il y a 40 % de francophones en Belgique et qu’il est normal, après trente-trois ans, que l’un des leurs soit Premier ministre », déclare-t-il dans Le Soir, en 2007. Quelques semaines avant les élections fédérales, des militants zélés imprimeront même des tee-shirts « Elio Premier ministre »… Espoirs déçus.

Aujourd’hui, une fenêtre s’ouvre à nouveau, et voilà que le PS se pose en parti raisonnable, prêt au compromis, au-dessus de la mêlée. Un hasard ? Lors du bureau du parti, le vendredi 30 avril, à Nivelles, Elio Di Rupo a transmis à ses troupes le mot d’ordre explicite de bannir toute attaque personnelle dans les discours du 1er Mai.

Reste le contexte, périlleux. En homme prudent, le Montois n’entraînera pas son parti dans une aventure trop hasardeuse. Or l’homme politique francophone qui acceptera le poste de Premier ministre s’engagera dans un jeu extrêmement serré. Certains Flamands pourraient être tentés par ce calcul : faire en sorte que ce soit un francophone qui incarne l’échec, en cas de nouveau fiasco dans la négociation d’une réforme de l’Etat. Di Rupo ne peut l’ignorer. Pour lui, la succession d’Yves Leterme constitue un piège autant qu’un enjeu.

FRANCOIS BRABANT

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