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Di Rupo, maestro ? Paroles d’experts

Le coup de chapeau décerné par deux politologues au formateur PS est aussi justifié par le coup de pouce de Charles Michel, Wouter Beke et Kris Peeters.

Le Vif/L’Express : Le rôle d’Elio Di Rupo (PS) est-il déterminant dans la sortie de crise politique qui se profile ?

Pierre Verjans, politologue à l’ULg. Bien entendu. Elio Di Rupo s’est investi, non seulement avec son poids politique mais aussi avec sa manière de fonctionner, son mode de relation à l’autre, son entregent. Avec ce mélange particulier de séduction, de charme, de charisme que chaque individu possède et développe peu ou prou, et de rapport de force, d’assertivité, voire de volonté de domination qui habitent chacun. Mais avec des doses différentes, qui sont fonction du passé et de la relation entre les personnes, à un moment donné et dans un contexte donné. Il a cette manière particulière de montrer qu’il écoute et prend au sérieux le discours de l’autre, et en même temps de montrer que son écoute est conditionnée par la prise en compte de ses propres objections, par la reconnaissance de sa propre autorité…

Dave Sinardet, politologue à l’université d’Anvers et à la VUB. Le rôle du formateur est bien sûr crucial dans des négociations de gouvernement en Belgique. S’il n’arrive pas à créer un consensus entre les différents partis, rien n’est possible. Elio Di Rupo a donc certainement joué un rôle important. Cependant, ce n’est pas le seul élément qui explique pourquoi les négociations réussissent maintenant. Charles Michel, président du MR, a aussi joué un rôle très important, en risquant une scission quasi certaine de son parti pour avoir un accord sur BHV. Il a clairement montré les cinq minutes de courage politique dont certains ont tellement parlé. Si Didier Reynders avait toujours été président du MR, les choses se seraient très probablement passées différemment, car il dépendait beaucoup plus fortement du FDF. Et avec le FDF, un accord aurait probablement été impossible. Même chose pour un accord avec la N-VA : le rôle du CD&V, et notamment de Wouter Beke et surtout de Kris Peeters, a donc été aussi essentiel, puisqu’ils ont finalement décidé en juillet dernier de négocier sans la N-VA. Les deux partis aux positions les plus extrêmes ne sont donc plus autour de la table et il y a un contexte où tous les autres ont intérêt à trouver un accord, ce qui n’était pas toujours le cas dans le passé. En plus, les dossiers communautaires ont déjà été discutés longuement, et beaucoup de propositions communautaires sur lesquelles il y a accord maintenant, se trouvaient déjà en grandes lignes dans les notes successives de l’année écoulée.

Di Rupo dans la cour des grands ? Quelle est la « magic touch » du formateur PS, qui a pu provoquer l’impensable « déclic » ?

Pierre Verjans. Fondamentalement, l’évolution enregistrée – et qui, à l’heure où je vous parle, n’a pas encore abouti – est politique : c’est en réussissant à découpler le CD&V et la N-VA que l’accord a été rendu possible. Pour ce faire, il a fallu écrire des concessions importantes aux demandes flamandes : rendre public le fait que les francophones étaient éloignés des positions « demandeurs de rien » de décembre 2006 sur le plan communautaire, concéder fortement aussi sur le plan social (limitation dans le temps des allocations de chômage, etc.). La publication de la note du formateur, début juillet, a permis l’obtention d’un accord sur BHV, puis l’ambiance s’est améliorée momentanément, permettant d’engranger un accord sur la loi de financement. Les concessions francophones sont considérables et conditionnent l’acceptation par les partis flamands de l’abandon d’une partie de leurs exigences. Notamment à propos de la constitutionnalisation du droit de vote « au choix » dans les communes à facilités, et du refinancement de la Région de Bruxelles-Capitale.

Dave Sinardet. Elio Di Rupo a surtout joué avec verve le rôle classique de formateur. Un formateur doit se mettre au-dessus des partis, garder une vue globale sur tous les dossiers, connaître les points de vue de tous les partis, et surtout comprendre pourquoi des partis défendent de tels points de vue, quelles sont leurs logiques. C’est notamment sur la base de cette compréhension qu’il doit essayer de trouver des pistes créatives de consensus entre les points de vue et les logiques des différents partis. Bien sûr, pour cela, il compte surtout sur des collaborateurs qui connaissent bien tous les détails techniques des dossiers. A côté de cela, il doit aussi créer un climat de confiance et un esprit de groupe. Clairement, sur ces points, Elio Di Rupo a bien réussi ces dernières semaines. En plus, il sait aussi comment créer une certaine dramatisation, comme on l’a vu le jour de l’accord sur BHV, qui est parfois nécessaire pour forcer tous les partis à se positionner clairement et pour vraiment conclure l’accord.

PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE HAVAUX

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