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Di Rupo, les ficelles de l’effet papillon

L’Europe ! La Flandre ! La droite ! « Ce serait pire, sans nous » : le PS ressert sa formule favorite, éprouvée en vingt-cinq ans de pouvoir. Cette fois, il fournit le Premier ministre pour lui donner un nouveau souffle. Elio Di Rupo a commencé à dérouler ses trucs et astuces.

Fichu temps. Ce froid sibérien qui a saisi le gouvernement fédéral à la gorge, en projetant sans crier gare ces images de familles laissées à la rue par des températures polaires : l’effet a été dévastateur. Les morsures du gel effacent les nuances. SDF et demandeurs d’asile se sont retrouvés logés à la même enseigne, associés un peu vite dans la même crise de l’accueil. Une idée-force a émergé de la confusion : cafouillage, improvisation, réaction tardive du gouvernement. Un visage a pu être collé sur la défaillance : Maggie De Block. La nouvelle secrétaire d’Etat Open VLD, qui cumule la gestion de l’Asile, de la Migration et de l’Intégration sociale a pris tous les coups, y compris pour son parti. Une aubaine, politiquement. Le Premier ministre issu des rangs de la gauche n’a pas tremblé.

Méchant coup de froid sur Di Rupo Ier, qui vient s’ajouter à la tempête économique, au cataclysme budgétaire, à la bourrasque sociale. C’est au milieu des éléments déchaînés qu’Elio Di Rupo est entré dans son nouveau personnage, contraint de plonger directement les mains dans le cambouis. Une horreur, pour ce tempérament très peu fonceur. Parole de Johan Vande Lanotte, une vieille connaissance :  » Elio Di Rupo travaille avec diplomatie et ruse. Il a toujours été ainsi. Di Rupo n’a pas le besoin d’agir d’un Dehaene. Il est très réfléchi, d’une extrême prudence, pèse minutieusement tous les pour et les contre.  » (1)

Le nom Di Rupo devient une référence

Le partenaire CD&V avait d’ailleurs apprécié ce trait de caractère, au fil de la crise politique. Il en redemande :  » Le Premier ministre s’est avéré être un fin diplomate. Il doit à présent faire ses preuves en tant que chef de gouvernement « , lançait en décembre Raf Terwingen, chef de groupe CD&V à la Chambre. Di Rupo tient parole. Les talents qu’on lui prête, il les déploie beaucoup sur la scène… européenne. Luxembourg, La Haye, Berlin : tour des capitales, rencontre à Bruxelles avec le Premier ministre italien Mario Monti. Di Rupo travaille à se faire un nom dans le concert des chefs de gouvernement européens.  » Sa démarche s’inscrit dans l’affirmation de l’axe beneluxien et sa communication est surtout présente sur cette dimension européenne « , relève Pascal Delwit, politologue à l’ULB.

Vanter à la face de l’Europe le modèle de rigueur à la belge, chercher des alliés à l’alternative à l’austérité aveugle : Di Rupo espère un retour sur investissement. Le voisin français se met à tendre l’oreille. Martine Aubry et le Premier ministre Fillon s’envoient du Di Rupo à la tête sur un plateau de télé ; le candidat PS à la présidence, François Hollande, compte sur le socialiste wallon pour un grand colloque sur l’Europe à Paris ; Di Rupo en cover du Nouvel Obs. Le nom devient une référence. Il faut néanmoins rentrer au pays. Il y a tant d’impatiences à contenir ou à satisfaire, en un temps record.

La Commission européenne réclame à la Belgique une trajectoire budgétaire conforme aux canons de l’orthodoxie ? Di Rupo Ier s’exécute. Il programme un nouveau tour de vis, après le lourd tribut de 11,3 milliards d’euros à l’assainissement budgétaire.
La remuante aile droite flamande du gouvernement trépignait ? Di Rupo Ier a répondu au quart de tour. Réforme des pensions enclenchée à la hussarde, remise au pas de la politique du chômage. Mais les libéraux, y compris francophones, ont encore les crocs. Lorgnent à nouveau le train de vie de l’Etat en croyant y déceler encore du gras.

La Flandre reste aussi sur des charbons ardents, sous le charme de la vague nationaliste flamande. La meute N-VA cherche avec un talent certain la faute sur des points jusqu’ici anecdotiques, mais qui ont le don de frapper les esprits. Ainsi ce doute jeté sur la réduction réelle des salaires des ministres, qui a pris Di Rupo en défaut sur son propre terrain.  » La communication du Premier ministre, qui s’est contenté de répondre par communiqué, a été clairement déficiente. Il était le seul à pouvoir mettre fin à la polémique de manière autoritaire, en prenant lui-même la parole « , considère Marc Hooghe, politologue de la KUL.

Danger :  » Le fait que ces attaques soient lancées le week-end souligne la volonté de semer le trouble : il est à ce moment difficile pour le gouvernement de répliquer, chiffres à l’appui. Di Rupo doit apprendre à vivre avec ce style d’opposition.  » Sous peine de voir ce genre de couacs dépasser le stade de l’erreur de jeunesse.
Quand trouver encore le temps de perfectionner son néerlandais, dans ce flot d’urgences ? Question vitale, tant elle obsède la Flandre et colle aux basques de Di Rupo dès qu’il ouvre la bouche : il y va de la réussite de son offensive de charme lancée dans le nord du pays. Pourtant, bien géré, le handicap pourrait devenir atout, selon un politologue flamand :  » Si les gens voient que son néerlandais s’améliore, et qu’il fait de son mieux, il peut susciter la sympathie. « 

Transformer une apparente faiblesse en une force redoutable : cette prouesse-là est dans les cordes de Di Rupo. Elle en a même fait cet  » incroyable survivor  » en politique qui laisse Vande Lanotte admiratif. Un  » survivor  » au sein même du peuple de gauche, que le Montois a pris par la main il y a douze ans déjà. Mais qui se sent aujourd’hui, délaissé, voire trahi.

Discours de gauche, politique de droite

Le noeud pap’ en a perdu sa couleur rouge, jugée trop voyante pour un Premier ministre au- dessus de la mêlée. Fonction oblige, Di Rupo prend ses distances avec les camarades. Sans avoir rien d’autre à leur offrir qu’une politique fondamentalement de droite. Et ces quelques mots de consolation : qu’ils se persuadent d’échapper au pire. La formule a fait ses preuves. Elle explique largement un quart de siècle de présence socialiste au pouvoir. Rigueur, austérité : le temps des vaches maigres ne réussit pas trop mal au PS. Il a su trouver le ton juste pour cela.

 » Par pudeur, par désespoir, par manque d’analyse ou par cynisme électoral, le PS a maintenu la rhétorique du « sans nous, ce serait pire ». […] Que veut-il faire de ce pouvoir qu’il détient ? Aujourd’hui, il ne semble plus guère faire autre chose que d’appliquer, de manière plus ou moins édulcorée, les « bonnes pratiques néolibérales », tout en tentant localement d’essuyer les plâtres de la situation sociale et d’assortir sa pratique d’un discours de gauche.  » (2)

L’analyse remonte à décembre 2009. Elle n’a pas pris une ride. Son auteur ne craint pas d’être désavoué : « La stratégie du PS reste globalement la même : être au pouvoir tout en clamant qu’il y est pour défendre les droits des travailleurs « , confirme Jean Faniel, politologue au Crisp. Aucune poussée populaire n’a jamais fait reculer le PS aux affaires. Novembre 1993, grève générale contre le Plan global d’austérité : Dehaene Ier, avec les socialistes à bord, ne plie pas. 2005, deux jours de grève générale déclenchée par la FGTB contre le Pacte de solidarité entre les générations : l’équipe Verhofstadt-Onkelinx garde le cap.

La dernière paralysie générale du pays, le 30 janvier, ne fera pas dévier Di Rupo Ier de sa trajectoire. Sauf à la marge, comme sur les pensions. Après le traitement de choc, vient le temps des assouplissements. Ils seront présentés comme autant d’acquis sociaux sauvés de haute lutte. Une part du mérite pourra même être attribuée à la pression des syndicats, ramenés dans le parcours après avoir été laissés sur la touche.

Une forme supérieure de communication

Magie de la com’, qui embrouille et désarme le citoyen. Di Rupo y excelle depuis toujours. Vande Lanotte a vu l’ex-ministre des Télécoms à l’oeuvre :  » Un stratège hors pair. La pression en faveur de la privatisation de Belgacom était forte. Di Rupo disait : je ne vais pas privatiser. L’Etat garde 51 % des parts. Ce n’est donc pas une privatisation mais une « consolidation stratégique ». De telles astuces sont typiques de Di Rupo. Une forme supérieure de communication.  »

Sûr que Di Rupo n’a pas oublié d’emporter son sac à malices au 16, rue de la Loi. Le tam-tam médiatique fait partie de la panoplie. La presse s’agace de sa discrétion. Quand le Premier ministre sort de sa réserve, c’est pour livrer aux médias ce message fort :  » Il faudra faire des efforts pour sauver la Belgique.  » Car la crise est là, ajoute-t-il, et  » le monde de la finance a un peu perdu le sens de la mesure « .  » Un peu  » : elle est là, l’info. Le président du PS est déjà loin.

La montée aux barricades, les accents de la gauche virile pour entretenir la flamme vacillante du militant, c’est désormais aux proches à jouer. Qu’ils soient en service commandé ou non, allez savoir. Une cacophonie, cela peut aussi s’orchestrer.
Paul Magnette, ministre des Entreprises publiques, a eu droit à un premier rôle. Une charge bien sentie contre la Commission européenne et son ultralibéralisme, et c’est le tollé. Le rappel à l’ordre exigé des partenaires libéraux du gouvernement. Sourire aux lèvres, le Premier ministre monte à la tribune de la Chambre pour clore l’incident :  » En tant que chef du gouvernement, je suis extrêmement attaché à l’entretien de relations constructives avec la Commission européenne. Voilà quelle est la position du gouvernement. Ai-je été suffisamment clair ?  » Pas vraiment. C’est ça, l’effet papillon.

PIERRE HAVAUX

(1) Johan Vande Lanotte, dagboek van een politieke crisis, de Jörgen Oosterwaal, 2011. (2) « Le PS est-il populaire ? », de J. Faniel, Revue Politique, 12/2009.

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