Walter Pauli

Di Rupo et Vanvelthoven: les politiciens avancent, endeuillés

Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Le chagrin unit. Le premier ministre Elio Di Rupo et le bourgmestre de Lommel, Peter Vanvelthoven, ont bien réagi à l’accident de car en Suisse. Pour des hommes politiques, cela ne passe pas inaperçu.

Certains sujets sont sensibles. Ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas les décrire. La réaction de certains politiciens face à l’accident de bus qui a tué des enfants d’Heverlee et de Lommel a par exemple été ‘bien’ – et non ‘très bien’ – reçue. Mais il se dit également qu’ils en tireront profit d’une manière ou d’une autre sur le plan politique, même si cela n’a jamais été leur intention ou leur souhait au départ. Voilà qui vaut sans aucun doute pour Peter Vanvelthoven à l’échelle limbourgeoise et pour Elio Di Rupo à l’échelle de la Flandre.

A la base de tout cela, un accident atroce. La coïncidence veut que des enfants belges soient à bord et qu’ils habitent Louvain et à Lommel. Logiquement, le premier ministre belge fait alors une apparition, tout comme les bourgmestres de Louvain et de Lommel. Peut-être n’en avaient-ils pas envie, peut-être n’ont-ils rien demandé, peut-être ne voulaient-ils pas en tirer de profit politique. Ils ont fait cette apparition parce qu’ils devaient la faire.

Les premières décisions ont été prises rapidement et spontanément. Quand Peter Vanvelthoven a décidé d’accompagner les parents affligés à Melsbroek en tant que bourgmestre, l’étendue de la catastrophe n’était pas encore connue. La moitié des parents vivait alors dans « l’espoir du désespoir », tandis qu’à chaque kilomètre parcouru, grandissait la conscience que tout cela pourrait connaître une fin très malheureuse.

Vanvelthoven était présent, et si cela avait été de son ressort, il aurait sauvé les enfants et par là même, évité un cérémonial d’enterrement surmédiatisé à Lommel.

Mais les politiciens ne sont pas des Dieux : ils subissent les drames et doivent faire pour ‘le mieux’. Aussi incorrect que ce vocabulaire puisse paraître dans de telles circonstances, c’est ainsi que vont les choses. Et pour Elio Di Rupo, c’est pareil. Tout ce qu’il peut faire reste « marginal » : face aux drames tels que celui-ci, un premier ministre est aussi impuissant qu’un secouriste, un urgentiste ou une équipe soignante. Et s’il est bien en son pouvoir de se charger de certaines ‘conditions secondaires organisationnelles’, il sera surtout apte à témoigner de compassion.

Car c’est également là, la tâche d’un politicien au pouvoir : représenter « la nation », la communauté. S’il accompagne un deuil collectif, la communauté – c’est-à-dire : nous tous – entrera alors en deuil. Il s’agit donc d’une apparition particulièrement visible et délicate. Si le politicien ne gère pas bien la situation, il aura échoué. Pour réussir, il devra donc maîtriser son langage corporel, ne pas donner l’impression d’une compassion peu sincère, n’être ni trop envahissant ni trop absent. Le cas échéant, les citoyens le remarqueront, en prendront bonne note, et le politicien en paiera les conséquences.

Ces règles sont valables aujourd’hui autant qu’hier. Lors des obsèques des fillettes enlevées par Dutroux en aout 1996, le premier ministre d’alors Jean-Luc Dehaene est resté en vacances, tandis que le roi Albert avait reçu la consigne politique de ne pas en revenir. Le Ministre de la Justice Stefaan De Clerck était alors allé rendre visite aux parents de Julie et Melissa. L’image d’un ministre laissant derrière lui sa voiture et se joignant au deuil à pied: voilà qui avait alors élevé l’autorité morale de Stefaan De Clerck.

A dater de ce moment, il était devenu la star politique de son parti. Lors d’un congrès du PSC à Gent, il avait eu droit à une ovation et fut nommé nouveau numéro un du parti au cours d’un aparté avec Jean-Luc Dehaene, Herman Van Rompuy et le président sortant Marc Van Peel. A la base de toute cette effervescence: un unique, un seul moment émotionnel.

De Clerck s’est-il rendu à Grâce-Hollogne parce qu’il était avide de donner un coup de pouce à sa carrière? Non. Mais il y aura toujours des cyniques qui prétendront le contraire.

Que cela se produise lors de grandes catastrophes ou lors d’accidents mineurs, au cours de témoignages privés de chagrin ou lors de gestes clairement collectifs, de tels gestes symboliques sont susceptibles de marquer un politicien. Voilà ce qui « arrive » ces jours-ci à Peter Vanvelthoven et à Elio Di Rupo.

Juste avant le drame de Sierre, le quotidien flamand De Morgen avait publié les résultats d’un sondage d’où il ressortait qu’Elio Di Rupo n’était pas au goût du flamand moyen. Nous n’avons pas de boule de cristal, mais quelque chose nous dit que deux semaines plus tard, un nouveau sondage aurait donné des chiffres tout différents, et pas au désavantage d’Elio Di Rupo. En tant que premier ministre, Di Rupo détient évidemment déjà le pouvoir du pays. Mais un élément lui faisait défaut : l’autorité morale en Flandre. L’accident aura permis à de nombreux Flamands de prendre conscience que Di Rupo était ému et bouleversé, tout comme eux. Le chagrin unit : il permet de nous émouvoir ensemble.

Di Rupo et Vanvelthoven ont eu de bons réflexes et cela ne passe pas inaperçu. En soi, ce n’est pas suffisant pour devenir un grand politicien. Mais c’en est tout de même une condition essentielle, remplie lors de ces dernières semaines.

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