Laurence Van Ruymbeke

Dexia : faut-il s’inspirer de l’exemple islandais?

Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Comparaison n’est pas raison. Mais à l’heure où la Belgique vient de décider de recapitaliser Dexia à hauteur de 2,9 milliards d’euros, on ne peut s’empêcher de repenser à l’Islande qui, en 2008, avait choisi de laisser trois de ses principales banques tomber en faillite. Avant de les nationaliser.

Une hérésie. Un appel à la désobéissance financière qui, s’il ne constituait pas une première dans l’histoire, a généré le même fracas que celui d’un tabou absolu qui se brise.

A l’époque, en octobre 2008, les banques Gilnir, Landsbanki et Kaupthing ont accumulé des dettes qui représentent onze fois le produit intérieur brut du pays. « Que Dieu sauve l’Islande », lance le premier ministre Geir Haarde en terminant le discours télévisé qui annonce aux Islandais que les temps à venir seront particulièrement durs.

Ils l’ont été. En quelques mois, la couronne islandaise perd 60 % de sa valeur et le déficit public explose à hauteur de 14 % du PIB. La Bourse recule de 90 %. La population, dont le pouvoir d’achat fond d’un tiers environ, conspue le monde politique, accusé d’avoir fermé les yeux pendant des années sur les dérives du système financier. Le pays dont les 320 000 Islandais étaient si fiers, présenté comme un modèle de réussite économique et d’Etat providence, n’était donc qu’un leurre ? Furieuse d’avoir été bernée, la population le fait bruyamment savoir : pendant des jours et des jours, les habitants de l’île se réunissent devant le Parlement en tapant sur des casseroles et en bombardant le bâtiment d’oeufs et de fromage blanc. En janvier 2009, de nouveaux députés, majoritairement de gauche, prennent le relais de la gestion de la crise.

Pour affronter cette situation sans précédent, l’Islande fait appel au FMI, qui lui accorde un prêt de quelque 2 milliards de dollars. Non sans imposer ses conditions, austères, on le devine. Le plan de redressement mis en place, qui représente quelque 10 % du PIB, mise pour moitié sur des réductions de dépenses et pour moitié sur de nouvelles recettes, avec une priorité : préserver autant que possible l’Etat Providence. Au sein du gouvernement, le nombre de ministres passe de 12 à 9. Leur salaire, comme celui des hauts fonctionnaires et des députés est revu à la baisse.

La monnaie est dévaluée, un outil dont ne disposent pas les membres de l’Union européenne, tenus par une monnaie unique, l’euro. La décision, pour douloureuse qu’elle soit pour les consommateurs, fouette les exportations, notamment dans les secteurs économiques phares du pays : la pêche et la production d’aluminium. Le tourisme, les énergies vertes, les technologies de pointe et de l’information sont les autres secteurs dopés.

Pour éviter une fuite des capitaux à l’étranger, leurs mouvements sont strictement contrôlés. Et les créanciers étrangers, essentiellement britanniques et néerlandais, qui avaient perdu quelques dizaines de milliards d’euros dans la faillite des banques, ne sont pas remboursés. Une prise de position avalisée deux fois par la population, consultée lors d’un referendum. L’affaire est désormais entre les mains de l’Association européenne de libre échange.

2012. L’économie de l’Islande a repris de belles couleurs. Le taux de chômage, qui était de 10 % en 2010, a reculé à 6 %. La croissance est redevenue positive (autour de 2 % l’an dernier) alors qu’elle se noyait à – 9 % en 2009. Elle devrait encore grimper de 1 % cette année. Même si le PIB reste nettement inférieur à ce qu’il était en 2007. Les prix de l’immobilier ont grosso modo retrouvé leur niveau d’avant la crise. Et le prêt du FMI a été partiellement remboursé, avec un an d’avance. Tout danger n’est pourtant pas écarté et les Islandais dont les conditions de vie se sont dégradées restent bien amers. Mais d’un strict point de vue macro-économique, les nouvelles sont bonnes. L’économiste américain Paul Krugman, Prix Nobel d’économie, applaudit d’ailleurs des deux mains.

Ceci n’ayant rien à voir avec cela (?), les Islandais ont décidé de réécrire leur Constitution. Depuis l’été 2011, tous les citoyens qui souhaitent participer à ce travail peuvent le faire, via Internet, Facebook, Twitter. Cette Constitution virtuellement conçue sera ensuite soumise à referendum. Et alors ? Cette île et ses habitants ne manquent pas d’audace. Ils osent voir le monde autrement. Un peu comme ce professeur qui, dans le film Le Cercle des poètes disparus, invite ses étudiants à monter sur une table pour regarder les choses sous un angle différent.

Bien sûr, la Belgique n’est pas une île. On pêche dans ses eaux mais ces dernières n’ont pas la richesse des eaux d’Islande. La Belgique ne dispose pas non plus d’une monnaie propre et ne peut donc user de l’arme de la dévaluation. Et on y trouve nettement plus que 320 000 habitants. Mais à l’heure de sauver une nouvelle fois Dexia et de boucler un budget crédible pour 2013, on ne peut s’empêcher de regarder vers le Nord. Il s’y trouve un Etat qui a réussi à combiner l’austérité, la sauvegarde des acquis sociaux les plus fondamentaux et la relance de l’économie en recourant à deux armes puissantes: l’audace et l’inventivité.

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