Jean-Marc Damry

Dexia et la nausée

Jean-Marc Damry Rédacteur au Vif L'Express

En me levant ce matin, lendemain de Toussaint, jour de la fête des Morts, j’allume machinalement mon GSM et, comme chaque jour, je découvre mes quelques mails arrivés depuis la veille au soir. Et j’ai eu bien envie de vomir avant même d’avoir bu ma première tasse de café de la journée !

C’est d’abord la stupéfaction d’apprendre que le chauffard ivre qui a fauché trois personnes au coeur de Liège durant la nuit de mercredi à jeudi a ainsi fait perdre la vie à un étudiant de la haute école où j’enseigne. Des familles brisées, des proches inconsolables et blessés à tout jamais dans leur chair, voilà ce qu’un excès d’ivresse a pu provoquer. Mais l’ivresse ne se vit pas seulement au volant d’une voiture.

C’est ce que je me suis dit en lisant un autre mail évoquant le renflouement de Dexia par les états belges et français. Quel fut en effet le comportement de l’ancien management de Dexia au volant du groupe dont on lui avait confié la gestion ? L’ivresse du pouvoir et la soif de bonus lui avait-il alors fait prendre des risques inconsidérés ? Et je me pose aussi des questions par rapport à ceux étaient embarqués à bord, les administrateurs. Ont-ils à leur niveau rempli le rôle qui aurait dû être le leur ? Ainsi, tout comme les passagers d’une voiture mettent en garde le conducteur quand « ça ne va pas », n’aurait-il pas dû en aller également de la sorte à l’échelon du conseil d’administration de Dexia ?

Jusqu’à preuve du contraire, ce fut pourtant « nada ». Evidemment, pour les administrateurs, il n’en allait pas là de leur propre vie, juste de leur portefeuille… Et comme c’est malheureusement souvent le cas, les administrateurs avaient certainement perdu là tout sens critique, confondant « conseil d’administration » et « conseil d’admiration », aveuglés qu’ils étaient par les PowerPoint affichant les résultats plantureux dégagés sur des activités dont on se taisait cependant bien de dire qu’elles étaient (des plus) risquées, aveuglés ou rendus aphones par les sommes qui pouvaient leur revenir au titre d’administrateur de ce groupe qui pesait alors si lourd sur l’échiquier de la finance internationale… Reste que depuis 2008, on a – enfin – compris qu’il n’était ni sérieux ni structurellement tenable de financer des crédits à si long terme au moyen de capitaux essentiellement collectés à (très) court ou moyen terme. Et vu les risques systémiques du dossier Dexia sur la finance mondiale, les états belges et français s’apprêtent donc à banquer une fois encore – ce n’est jamais « que » la troisième fois – pour renflouer le groupe franco-belge.

Les besoins se chiffreraient dans une fourchette comprise entre 5 à 7 milliards d’euros, dont 60 % pourraient être à charge de l’état belge. Cette pilule, convertie en bons vieux francs belges, nous amène ainsi à une somme titanesque comprise entre 120 et 168 milliards. Difficile à avaler, surtout en ces temps de disette budgétaire. Les grandes figures du gouvernement – dont Didier Reynders, Laurette Onkelinx et Johan Vande Lanotte – semblent refuser la pilule sous la forme d’un impact sur le budget 2013. Cela aurait en effet conduit à devoir saigner encore « un peu » plus les citoyens et les entreprises. Bref, point de pilule dans ce cas d’espèce, mais… un suppositoire à la place. Son effet sera dilué dans le temps, sous la forme d’un accroissement de la dette publique. Seul effet secondaire tangible, une majoration de la charge d’intérêts. Mais les taux sont pour l’instant si faibles – quand ils ne sont pas parfois négatifs ! – que nos décideurs ne s’attarderont finalement pas trop là-dessus. En attendant, l’ancien management de Dexia coule, lui, des jours heureux, sans même imaginer ce que le concept de « détention préventive » ou « retrait du permis de conduire (une entreprise) » peut vouloir dire…

Le mail suivant que je découvre évoque une hausse de la TVA et un saut d’index. Vite, vite, un Motilium…

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