1969, participation de Jacky Ickx lors de la trente-septième édition des 24 Heures du Mans. © dr

Deux sacrés numéros pour parcourir 24 heures

Ce samedi 17 juin, deux pilotes belges que vingt-quatre années et une frontière linguistique opposent, Stéphane Lémeret et Dries Vanthoor, auront la lourde tâche d’apparaître comme les cent et cent-unième participants de notre pays dans la mythique épreuve des 24 Heures du Mans. L’occasion de revisiter le mythe et les illustres participations de certains Belges dans La Sarthe.

Le mythe tenace du Mans

Aussi longtemps qu’elles auront lieu, Les 24 Heures du Mans demeureront une épreuve mythique hautement symbolique. L’A.C.O. (Automobile Club de l’Ouest), qui gère historiquement l’épreuve depuis sa création, en joue d’ailleurs tant et plus. La dénomination « 24 Heures » lui appartient.

Un aboutissement sportif pour tous les constructeurs automobiles dignes de ce nom que d’arborer son propre panneau, surplombant les stands nominatifs où s’affichent en toutes lettres les identités, les numérotations, et paré du drapeau du pays d’origine.

S’imposer au Mans est une consécration mondiale, sans parler des retombées commerciales. Finir est déjà une performance en soi pour toute une équipe. Briller au Mans, c’est briller tout court.

Le succès, depuis 1923, ne s’est jamais démenti et la deuxième guerre mondiale, avec l’interruption forcée de 39 à 45, n’y a rien changé; les accidents tragiques non plus. Aucun grand prix ne rencontre cette affluence, pas même en Italie, avec ses turbulents tifosi, le long du célèbre tracé de l’autodrome de Monza.

Le Mans est une fête pour tous: spectateurs lambda, assidus, concurrents, mécaniciens, photographes et journalistes (parés du précieux laissez-passer à l’hologramme et affublés d’une chasuble fluorescente), observateurs et autres invités de marque… On attend la date mythique de la mi-juin pour en repartir des images plein la tête tout imprégné d’odeurs enivrantes. Tout simplement, on y était.

Tout au Mans est symbolique: du Pesage des véhicules concurrents (Place des Jacobins) jusqu’au dernier passage des bolides noircis, et désormais poussifs, où partenaires publicitaires et numérotations sont devenus à peine lisibles quelques minutes avant l’abaissé du drapeau. Après, ils seront des milliers à braver l’interdit et envahir la piste.

Cette étrange ambiance que le géant américain, Steve McQueen, avait parfaitement « reniflée » en plantant, lors de l’édition 1970, la caméra du réalisateur des Sept Mercenaires , John Sturges, pour un film désormais culte: Le Mans.

Tout comme Jean Graton, un Breton chez les Belges, avec son génial trait de crayon pour l’album« Le Fantôme des 24 heures », paru en 1970. Et s’il existait vraiment…

De Gendebien à Ickx : un butin de 10 victoires

Il n’existe pas réellement de similitudes de parcours entre celui d’Olivier Gendebien (pilote, avant que le sport automobile ne se professionnalise) et celui de Jacky Ickx, mis à part Le Mans. Mais le talent naturel, l’éclectisme, l’insouciance héroïque et le fair-play suffisent à réunir au panthéon ces deux grands champions automobiles belges. La Formule 1, l’endurance et le rallye pour le premier. Les deux premières disciplines à l’identique pour le second mais la Can-Am Américaine et les rallyes raids en place du rallye.

Olivier Gendebien
Olivier Gendebien© dr

C’est que cet ingénieur agronome à son retour du Congo en 1953 va rapidement s’imposer mondialement en sport automobile notamment dans la Coppa d’Oro delle Dolomiti, édition 1955, comme le premier non italien à remporter cette épreuve au volant d’une Mercedes 300 SL. Cet exploit va lui valoir d’être enrôlé sur le champ dans la prestigieuse Scuderia Ferrari avec un contrat de « pilote-maison ». Et des exploits, il en accomplira d’autres avec la marque italienne en s’imposant notamment à trois reprises, dès 1958, dans la redoutable et mythique épreuve sicilienne, la Targa Florio.

C’est lors de l’édition 1956, en compagnie du champion français, Maurice Trintigant dit « Pétoulet », que le Belge va effectuer ses débuts au Mans avec la Scuderia sur une Ferrari 625 LM qu’ils mèneront à la deuxième place.

Il ne faudra au Belge que trois participations au Mans et voilà qu’arrive déjà le premier succès, en 1958 avec le Britannique Phil Hill, dont notre compatriote appréciait la loyauté en tant que co-équipier et jugeait leurs performances voisines. C’est avec ce même Phil Hill qu’Olivier Gendebien va poursuivre à deux autres reprises, jusqu’à porter son record personnel à quatre victoires, en 1962.

Mais dans l’intervalle dès l’édition 1960, il aura claqué la porte de la Scuderia Ferrari, agacé par l’absence du Commandatore de prise en compte des jugements de ses pilotes, lorsque l’une de ses voitures ne fonctionnait pas ou était franchement dangereuse.

C’est avec son compatriote, l’éminent journaliste automobile Paul Frère, bravant les intempéries en bons Belges aguerris, qu’ils vont s’imposer.

A l’issue de sa victoire dans l’édition 62, Olivier Gendebien, trop marqué par le souvenir de dix-huit camarades de pistes disparus trop tôt, annonce à l’arrivée, au journaliste Roger Couderc, incrédule, sa décision de mettre fin à sa carrière. Clap de fin pour cet illustre pilote dont le style coulé mais très rapide évoquait furieusement celui de l’immense champion argentin, Juan Manuel Fangio, qu’il côtoya.

Monsieur Le Mans pour l’éternité

Comme nous le rapportait récemment, lors d’une conversation, le journaliste spécialisé, Pierre Van Vliet, auteur d’un ouvrage de référence sur Ickx : « Avec Jacky, on ne parle que des victoires. Les accessits et autres moindres performances, il les a curieusement oubliées ! ».

Jacky Ickx
Jacky Ickx© Bildagentur Kräling

Lorsque le frêle et juvénile Jacky Ickx, de vingt-quatre printemps, aux lèvres ourlées et aux yeux tristes, déjà pilote de Formule 1 depuis 1968, se présente en juin 1969 dans la trente-septième éditiondes 24 Heures du Mans, le Belge en est à sa quatrième participation.

L’écurie Ferrari – qui l’a fait débuter en 1968 en Formule 1 – étant incapable de mener de front un double programme sportif, F1 et endurance, Jacky Ickx s’est une nouvelle fois tourné pour la catégorie des sport-prototypes, vers l’équipe d’une figure du paddock, l’Américain John Wyer alias « Mister Gulf » et ses splendides mais vieillissantes Ford GT40, aux couleurs du pétrolier américain. Avec l’une d’entre elles, Ickx au sortir du service militaire comme conducteur de char, a débuté au Mans… en 1966. Il n’avait que vingt et un ans.

Cette année 1969, Ickx retrouve son coéquipier désormais habituel, le Britannique Jackie Oliver. La prestation va rentrer dans les annales, au point de presque effacer les trois premières (!), où on le verra se diriger vers sa monture rangée en épi conformément à la procédure de départ, à pas mesurés et démarrer bon dernier. Le jeune Ickx veut protester avec les pieds contre cette procédure qu’il juge dangereuse et parfaitement inutile en Endurance. Il sera entendu et la procédure, abolie deux éditions plus loin.

On pourrait qualifier de fable, de La Fontaine du « Lièvre et de la Tortue », cette participation où son équipe va se prémunir, compte tenu de la moindre performance de la Ford, d’un tableau de marche lent pour résister au lièvre. Et le lièvre, c’est l’écurie Porsche et leur nouvelle arme de guerre modèle « 917 ».

Auteur d’une irrésistible remontée durant la nuit, il entamera l’ensemble de la matinée un formidable duel avec la seule Porsche rescapée, une « vieille » 908. Exit les deux belles 917 en début de matinée. Rush final, la Porsche n°64 de l’Allemand Herremann et la Ford n°6 du Belge se dépassent tour à tour dans Les Hunaudières. Notre compatriote franchit la ligne en tête, mais oh drame, l’horloge indique 15h59. C’est reparti pour un dernier tour imprévu.

Redoutant la panne d’essence, Ickx va lever volontairement le pied dans Les Hunaudières et actionnant son clignotant pour simuler une panne. Et pour mieux surprendre une nouvelle fois l’Allemand, par un phénomène d’aspiration au freinage du virage de Mulsanne. Le Belge conclut cette édition d’anthologie en vainqueur avec… cent vingt mètres d’avance sur le valeureux Herrmann. Un record qui tient toujours dans les annales de l’épreuve.

A partir de l’édition 1976, on ne verra plus évoluer le Belge au Mans que sur des Porsche officielles de la firme allemande. C’est lors de l’édition 1981 que Ickx surpassera le record de quatre victoires au Mans, précédemment détenu par Olivier Gendebien, en s’adjugeant une cinquième victoire dans l’épreuve mancelle. Un record qui sera pulvérisé par la suite par le Danois, Tom Kristensen, et son Audi lors de l’édition 2005. Et pour porter le record absolu à ce jour, à neuf victoires.

Ickx – qui tirera sa révérence lors de l’édition 1985 – totalise au Mans 17 participations: 6 victoires, 3 deuxièmes places et 7 abandons.

Derrière Ickx et Gendebien, de beaux accessits

Derrière des ténors, il y a toujours de talentueux barytons. Le trio de tête se nomme: Lucien Bianchi, Willy Mairesse et Jean Blaton alias « Beurlys ». Et plus près de nous, Bernard De Dryver, Thierry Boutsen et les frères Martin, pour avoir respectivement atteints la deuxième place au Mans.

Le premier appartient comme Gendebien et Ickx, à l’histoire du sport automobile belge. Cet Italien, originaire de Milan débarqué en Belgique en 1950 avec sa famille, va prendre part aux 24 Heures du Mans à treize reprises de 1956 à 1968 ; record belge qu’il détient ex-æquo derrière Ickx, avec Willy Mairesse, Jean « Beurlys » et Didier Theys. Et à huit reprises sur des Ferrari.

C’est à l’occasion de sa dernière apparition en 68 qu’il s’adjugera une deuxième place en compagnie du champion mexicain, Pedro Rodriguez, sur une Ford GT40 MkI, un an avant que s’impose sur pareille monture son ami, Jacky Ickx.

Lucien Bianchi n’aura pas le temps de voir Ickx vaincre pour la première fois au Mans, il trouvera la mort lors des essais préliminaires de l’édition 69 sur un proto Alfa Romeo.

L’histoire de Willy Mairesse au Mans, autre fer de lance de l’écurie nationale belge, est encore plus dramatique. Auteur de huit participations au Mans, de 1958 à 1968 (dont 7 fois sur des Ferrari), 2e lors de l’édition 61 avec l’excellent Britannique, Mike Parkes, il sera victime d’un violent crash lors de l’édition 68. Sa portière s’ouvrant brusquement, dès le premier tour, et l’inévitable accident qui s’en suivi, le plongeant dans un coma profond. Ne pouvant désormais plus piloter suite aux graves séquelles de son coma, Mairesse se suicidera dans une chambre d’hôtel, à Ostende, en septembre 1969. Il avait quarante et un ans.

Autre compatriote à avoir inscrit au moins treize participations (il en inscrira quatorze) ; Jean « Beurlys » Blaton, neveu de la première épouse de Jacky Ickx, va pour sa part engager régulièrement des Ferrari, en en prenant lui-même le volant, sous la bannière: « Ecurie Francorchamps ».

C’est lors d’éditions « sixties » qu’il brillera le plus avec trois troisièmes places acquises en 1962, 1965 et 1967, et une deuxième place en compagnie d’un autre compatriote, Gérald Langlois von Ophem, dans l’édition 1963.

Soulignons enfin les autres treize participations d’un quatrième larron, Didier Theys. Ce Nivellois fut longtemps considéré avec son compatriote, l’ancien pilote de Formule 1 grièvement blessé au Mans en 1999, Thierry Boutsen, comme le potentiel « après Ickx ». C’est lors de sa dixième tentative, lors de la même édition 99, que Theys va hisser son Audi à la 3ème place.

Par Jean Cevaer

De l’humour belge à revendre pour une Centaine

Les initiatives belges remarquées n’ont jamais manqué au Mans. Souvent créatives, façon clin d’oeil au Royaume et sur fond de surréalisme chéri, jusqu’à la manifestation de ce week-end. Même dans la Sarthe, on reste Belge !

Après bien des épisodes, tel le chanteur Plastic Bertrand, dans un lettrage dégoulinant sur une Opel… parée de rose bonbon lors de l’édition 1982 des 24 heures de Spa; ou une Peugeot 806 familial soutenu par votre hebdomadaire préféré (!), lancée à l’assaut du Raidillon sur le même tracé de Spa-Francorchamps en 1994…, le roi belge de la réclame, l’ineffable Pascal Witmeur, nous annonce de belles choses au Mans ce week-end. La poursuite, et conclusion, de la campagne nationale de l’agence Ogilvy, qui sévit actuellement dans notre pays : La Belgique est phénoménale : « 99 raisons d’être Belge… », avec en point final : « ces cent et cent-unième Belges présents au Mans ».

Mais encore un service de presse en langue anglaise sur l’épreuve, ainsi que pour les fêtes de fin d’année, la parution d’un bel ouvrage sous la plume de l’ancien pilote Lucien Beckers.

Les 85èmes 24 Heures du Mans à la TV :

Ce week-end ; en retransmission partielle sur La Deux ; dès 14h45, et avant le départ à 15h00.

En intégralité sur la chaîne câblée Eurosport

Lémeret et Vanthoor ; dossards n°100 et 101

Stéphane Lémeret pourrait lui-même presque fêter un anniversaire au Mans: celui de ses vingt années de carrière.

Jolie récompense que de s’aligner enfin au Mans au volant d’une voiture engagée par le célèbre acteur américain d’une série télé à succès, Patrick Dempsey. Et une récompense que le Belge n’hésite pas à qualifier : « de cerise sur le gâteau d’une carrière qui a pris une ampleur que je n’aurais jamais imaginée en débutant à vingt ans… », pour ce journaliste et pilote de grande taille, lui-même fils d’un journaliste de la RTBF, et rattaché aux rédactions de nos confrères du Groupe Rossel.

A ce propos, le journaliste-pilote nous confie : « Je n’ai jamais été très sensible au vedettariat. Mais je juge ça parfait, cette vedette attire l’attention sur nos voitures, ce qui devrait nous permettre à nous, pilotes, de nous concentrer sur notre job principal ! ».

Si la démarche n’est pas sans rappeler celle d’un illustre « aïeul », l’ingénieur journaliste pilote, Paul Frère, elle ressemble encore plus étrangement – et plus près de nous – à la trajectoire d’un autre ingénieur journaliste pilote, Pierre Dieudonné, vu à douze reprises en tant que pilote au Mans de 1977 à 1991.

Quant au 101ème, l’autre rookie belge engagé sur une Ferrari, il s’agit du jeune néerlandophone Dries Vanthoor. Prématuré d’évaluer ce « gamin » de dix-neuf ans, distingué « Rookie of the Year » par le RACB fin 2015, pour ses débuts encourageants en circuit.

Gageons qu’au volant de sa monture italienne, l’espoir belge puisse créer une bonne surprise médiatique s’il ne commet pas de fautes rédhibitoires aux essais qualificatifs de nuit ou en course. Quoi qu’il arrive, il deviendra à dix-neuf ans révolus le plus jeune pilote de l’histoire des 24 Heures.

Verdict: dimanche 18 à 15h00 pétantes !

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