Jean-Marc Damry

Depardieu (et Senesael) : « Danse avec les (t)stars »

Jean-Marc Damry Rédacteur au Vif L'Express

Depardieu est russe. Senesael va-t-il du coup se travestir en Noureev et nous jouer les valseuses ?

Je ne suis pas critique cinéma. Je ne dis pas que je hais les acteurs mais la vie privée des stars du show-bizz ne m’intéresse absolument pas. Bref, que Gérard Depardieu quitte le pays du vin (la France) pour celui de la bière (la Belgique) ou celui de la vodka (la Russie), je m’en fiche complètement. Par contre, les matières fiscales m’interpellent. C’est donc avec un intérêt intellectuel certain que je suis de près, depuis le début, « l’affaire Depardieu » et, au-delà, tout le débat autour des « exilés fiscaux », pour ne pas dire « les fugitifs« . Il y aurait d’ailleurs presque là de quoi faire un film, à l’image de Grosse fatigue (avec Carole Bouquet, une ex de « Gégé » !) qui voyait chaque acteur jouer son propre rôle…

Tout a en fait commencé quand François Hollande s’est engagé à taxer à 75 % tout euro dépassant le seuil du million de revenu en base annuelle. La terre a alors tremblé sous les pieds des Français gagnant très bien leur vie. La crainte d’un tsunami fiscal en a donc poussé plus d’un à rechercher des cieux plus cléments et, à cet égard, la Belgique est apparue comme un « maître achat ». Nos confrères français ont d’ailleurs beaucoup publié sur l’absence, chez nous, d’impôt sur les plus-values – oubliant cependant au passage les nombreuses exceptions et certaines mesures anti-abus prises récemment – et un régime fiscal plus favorable sur les successions, au demeurant souvent « maquillées » en donations ante mortem.

Mais Monsieur Depardieu n’est ni un Mulliez ni un Arnault. Il vit (encore) de ses revenus d’acteur, de producteur et de dirigeant d’entreprise. Sait-il que chez nous, on est très vite taxé à 50 %, sans même compter les centimes additionnels communaux ? Plus prudent qu’un Johnny Halliday, Depardieu s’est déjà offert une bâtisse en Belgique dans la foulée de l’annonce de sa volonté d’opter pour notre nationalité. Il y aurait, dit-on, consacré 800 000 euros, une paille à côté des 50 millions d’euros qu’il espère obtenir de la vente de son hôtel particulier, rue du Cherche-Midi, à Paris. On ne l’a pas soupçonné, dès lors, de vouloir devenir Belge avant d’atterrir à Monaco. Après tout, il ne serait pas le premier Belge gagnant très bien sa vie à l’avoir fait – n’est-ce pas Messieurs Merckx, Boonen et Gilbert ? – sans que cela soulève vraiment de vagues. Sauf peut-être pour Justine Hennin…

En tout cas, à Néchin (drôle d’endroit pour une rencontre), le bourgmestre PS Senesael a déjà déroulé le tapis (rouge). On l’a vu au téléphone, tel un groom de luxe, assurant l’acteur français de toute son aide. Gérard Depardieu s’est également montré dans le village et s’y est fait photographier. De son côté, Daniel Senesael multiplie les initiatives pour faire le buzz sur les réseaux sociaux : après le spectacle pitoyable du « tout nu et tout bronzé », le voilà aujourd’hui déguisé en Astérix pour ses voeux du Nouvel An ! Mais après quoi court-il celui-là ? Un rôle de figurant dans le prochain film de Gégé ? A moins qu’il ne caresse le rêve d’atteindre le « graal du narcissisme » en se faisant inviter prochainement sur le plateau d’un Morandini, Ruquier ou autre Ardisson ? Je ne le sais. En tout cas, je me demande ce qu’il nous sortirait si d’aventure Rocco Siffredi voulait s’installer dans sa commune… Mais bon, à présent que Depardieu est devenu russe, j’ose encore croire que le bourgmestre d’Estampuis ne va pas rebondir sur le sujet et se travestir en Rudolf Noureev pour nous jouer les Valseuses !

Trêve de plaisanterie, le (vrai) débat ne tourne pas autour des frasques de Daniel Senesael. Il devrait porter sur les régimes fiscaux – et sociaux – dont les fondements sont chaque jour un peu plus balayés par les vents – avant les bourrasques ?- de la mondialisation. Elle est en tout cas déjà loin l’époque où les Etats jouaient sur la monnaie (les dévaluations) pour retrouver des marges de compétitivité. Faut-il la regretter ? Je ne le pense pas. Aujourd’hui, nos gouvernements sont bridés par toutes sortes de règles européennes qui ne leur laissent finalement que bien peu de variables d’ajustements pour (re)trouver grâce aux yeux de ce qui ont les moyens de faire tourner l’économie réelle et créer de la valeur ajoutée et des emplois. C’est bien la pression du « toujours moins » qui accule chaque jour un peu plus nos décideurs politiques. Et ce sont les citoyens – surtout la classe moyenne – qui subissent les effets induits des surenchères sur les réductions d’impôts et des mesures de flexibilité salariale et sociale entre pays. On voit les désastres sur l’économie réelle qu’impliquent les vagues d’austérité dictées par la nécessité de rétablir l’équilibre des finances publiques. Hélas, une fois encore, le véritable débat de fond va être occulté par les « paillettes » de l’affaire Depardieu.

Vladimir Poutine vient de frapper un grand coup en offrant la nationalité russe à Gérard Depardieu. Et pas seulement sous l’angle médiatique. Au Kremlin, on n’a jamais digéré l’affront du passage à l’ouest de Rudolf Noureev et l’octroi par la France de l’asile politique à ce dernier ! La gifle infligée par Poutine à la patrie des droits de l’homme est donc plus cinglante qu’on ne l’imaginerait a priori…Et quelle scoumoune pour la popularité de François Hollande ! Il doit être, à l’image de la France, un homme blessé. Quant à notre pays, sur cette question d’octroi de la nationalité, il n’est pas en reste non plus. Faut-il rappeler que le code de la nationalité vient tout juste de changer ? Et que la nationalité belge pourra être facilement octroyée à ceux qui peuvent témoigner de « mérites particuliers » ? Pas une pure formalité, certes, mais on voit déjà poindre le grand embouteillage. Bref, dans le choix des armes, la Belgique s’est offert un nouvel instrument pour faire la différence. Reste à voir s’il sera utilisé à bon escient et si, comme pour les mariages blancs, on saura aussi retirer la nationalité à ceux qui l’auraient juste recherchée avant de mettre le cap sur Monaco. Bref, un hello goodbye pur jus !

Jean Marc Damry NB : la plupart des termes en italique font référence à des films interprétés par Gérard Depardieu

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire