Zuhal Demir © Dieter Telemans

Demir:  » Que font les gens de leur argent ? On peut gagner 4000 euros par mois et être pauvre »

Le Vif

Secrétaire d’État depuis près de six mois, la plus jeune membre du gouvernement, Zuhal Demir (N-VA), n’a rien perdu de son tempérament bouillant. « Savez-vous ce que je fais pour faire bouger mes collègues du gouvernement ? C’est simple, j’insiste lourdement », confie-t-elle à nos confrères de Knack.

C’est en février que Demir est entrée au gouvernement en tant que Secrétaire d’État à la Lutte contre la pauvreté, à l’Égalité des chances, aux Personnes handicapées, et à la Politique scientifique. Elle a succédé à Elke Sleurs, appelée à conquérir la ville de Gand.

Juste après sa prestation de serment, la toute nouvelle Secrétaire d’État déclenche une première polémique en qualifiant le Centre interfédéral pour l’Égalité des Chances Unia de « centre de polarisation ». Ensuite, elle a reproché au CD&V d’être un parti musulman, elle a parlé un peu vite de la visite de Melania Trump à Bruxelles et après l’attentat raté à Bruxelles-Central, elle n’a pas hésité à faire des câlins aux militaires.

Quoi que la Secrétaire d’État dise ou fasse, elle suscite toujours des réactions et l’année parlementaire à venir ne risque pas de changer la donne, car il lui reste encore beaucoup de pain – souvent délicat – sur la planche. Ainsi, elle compte instaurer un mécanisme national qui doit veiller sur les droits de l’homme. « Nous ne pouvons pas continuer à le reporter. Non seulement parce que l’Europe le demande, mais aussi parce que nous en avons besoin dans une époque où nous devons prendre de nouvelles mesures contre le terrorisme. Il est extrêmement important qu’elles soient à chaque fois confrontées aux droits de l’homme. Je ne veux vraiment pas de situations telles qu’il y en a en Turquie », déclare-t-elle à Knack.

Non-problèmes

Interrogée sur ses griefs envers Unia, Demir décrète qu’elle est favorable à la lutte contre la discrimination et qu’elle estime qu’il vaut mieux « ne pas s’occuper de non-problèmes ». Par « non-problèmes », elle entend notamment l’interdiction du burkini : « Savez-vous combien de cas on nous a signalés l’année dernière ? Onze ! Et parmi eux, il y avait des gens en faveur de l’interdiction. Mais comme Unia s’est sentie appelée à écrire dans un avis de douze pages que l’interdiction du burkini est juridiquement sans fondement un non-problème s’est soudain transformé en problème ».

Pour la Secrétaire d’État, les décisions d’Unia ne sont pas indépendantes, mais politiques et parfois même déconnectées de la réalité. « Par exemple, le centre ne se rend-il pas compte de l’effet domino qu’on crée en autorisant le port d’un burkini dans une piscine publique ? Combien d’hommes vont obliger leur femme à en porter un ? Ils feraient mieux de s’occuper des vrais problèmes. On ne lutte pas contre la discrimination à la piscine ou à la plage, mais dans les écoles ou les entreprises. Dans ce pays, tant le décrochage scolaire que le chômage se situent toujours au-dessus de la moyenne parmi les allochtones. Nous devons résoudre ce problème », déclare-t-elle.

Aussi affirme-t-elle que la lutte contre la discrimination sur le marché du travail constitue une priorité même si elle souligne que « les efforts doivent venir des deux côtés ». « Récemment j’ai entendu l’histoire d’une musulmane qui refuse de travailler pour un couple homosexuel. C’est évidemment inacceptable », estime-t-elle.

Invitée à expliquer sa position sur la lutte contre la pauvreté et sa note politique qui indique qu’il suffit que « les indemnités aillent dans le sens du seuil de pauvreté », Zuhal Demir défend sa position. « Je trouve aussi que les revenus d’intégration et les allocations aux personnes handicapées devraient augmenter, mais je ne voulais pas écrire de mensonges dans ma note politique. Il nous reste deux années de mandat, et nous n’avons tout simplement pas l’argent ». Par ailleurs, la Secrétaire d’État estime que relever les indemnités de 800 à 1150 euros ne suffit pas à enrayer la pauvreté. « Il faut voir aussi ce que les gens font de leur argent. On peut gagner 4000 euros par mois et être encore pauvre ».

Plus de Belges au travail

Aussi estime-t-elle que la société doit donner davantage aux personnes handicapées « ne serait-ce que parce que la vie est plus chère quand on souffre d’un handicap. Mais pour leur donner un meilleur revenu, il faut que plus de Belges travaillent ».

Au cours de l’interview, la Secrétaire d’État revient elle-même sur la tempête qu’elle a déchaînée quand elle a qualifié le CD&V de parti musulman : « Pour commencer, je n’ai jamais prétendu que les musulmans sont du bétail électoral. C’est ce que la présidente de Groen, Meryem Almaci, en a fait. J’ai seulement dit qu’on les traitait comme du bétail électoral et que je ne suis pas d’accord. Mais en pratique, la plupart des partis appliquent d’autres critères pour leurs politiques allochtones. S’ils s’écartent du programme du parti, s’ils défendent des régimes contestés ou des moeurs religieuses, ou s’ils sont absents d’un vote sur la reconnaissance du génocide arménien pour plaire à leur base, tout cela est couvert d’un voile pudique. Du moins jusqu’à ce que le grand public l’apprenne, car alors on s’en débarrasse. Demandez à Ahmet Koç. Il a été éjecté du sp.a après avoir défendu le président turc Erdogan. Évidemment, sa base ne comprend pas : pendant des années ses positions n’étaient pas un problème. C’est parce que pendant vingt ans les politiques allochtones ont eu le droit de s’écarter de la ligne du parti par considérations électorales qu’à présent il y a des partis d’étrangers. On récolte ce que l’on sème », conclut-elle.

Compliments du cdH et du PS

Non dénuée d’humour, la Secrétaire d’État se targue d’avoir à réussi à concilier tous les partis autour du problème de la base polaire. « J’ai même été complimentée par le cdH et le PS. Mais quand j’ai suggéré de les aider à négocier un gouvernement en Belgique francophone, soudain, ils étaient moins enthousiastes ».

Lorsqu’on lui demande si elle a toujours son caractère bouillant, Zuhal Demir affirme que son tempérament ne lui porte pas forcément préjudice : « Parfois, cela m’aide au gouvernement. Maggie De Block (Open VLD) et Sophie Wilmès (MR) y sont souvent mes alliées naturelles en matière de lutte contre la pauvreté – dans ce domaine, les femmes possèdent une plus grande sensibilité. Savez-vous ce que je fais parfois pour faire bouger les hommes aussi ? C’est simple, j’insiste lourdement », raconte-t-elle en riant.

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