Delphine Boël : « Roi ou garde forestier, vous êtes responsable de l’enfant que vous avez engendré »

En avril 2008, Delphine Boël sortait son autobiographie. Dans « Couper le cordon » (éd. Luc Pire), la fille illégitime d’Albert II racontait sa vie pour « enfin couper court aux rumeurs ». Morceaux choisis.

(…) Pendant des années, ils (NDLR : Albert et la baronne Sybille de Longchamp) se sont vus très régulièrement. Albert venait très souvent chez nous, à Uccle. Déjà, en octobre 1969, il y a eu des projets de divorce. Le prince Albert a approché son frère, le roi Baudouin, pour lui annoncer son intention. Ce seront des réunions fréquentes, au cours des mois suivants, entre le Roi, le Prince et le Gouvernement belge. Cela s’est soldé par un accord, imposant des conditions très dures au Prince, et à « la personne inconnue », c’était ainsi que ma mère était désignée.

Pour ma mère, ces conditions étaient inacceptables. Albert devait renoncer à son titre d’héritier du trône. Ce qui a surtout choqué ma mère, c’est qu’elle n’avait jamais le droit de voir les enfants d’Albert, situation qui, pour le Prince, aurait été source d’équivoque et de malentendus. Ma mère ne voulait pas déstabiliser la monarchie. Elle ne voulait pas non plus briser un ménage avec trois jeunes enfants.

Elle ne voulait pas porter sur ses épaules le poids de telles responsabilités. Il ne leur restait qu’à se résigner. Leur amour resterait clandestin. Je ne savais pas qu’Albert était le prince. C’était le « grand ami » de ma mère. Je l’appelais Papillon. (…) Comme ma mère aimait profondément Albert, et qu’elle voulait absolument le protéger et protéger la monarchie, en 1976, elle a annoncé à Albert qu’elle ne supportait plus ce genre de vie, et qu’elle allait partir. Il était atterré. Il a une nouvelle fois voulu divorcer de Paola. Le scénario de 1969 s’est répété. Une nouvelle fois les mêmes conditions sévères ont été imposées par le Palais et le Gouvernement. Nous sommes donc parties à Londres. (…). Albert, de son côté, était désespéré. Mais il devait s’incliner devant l’inévitable. On a continué à le voir, il venait nous rendre visite en Angleterre. Ma mère et lui s’appelaient pratiquement tous les jours. Ils avaient une ligne téléphonique privée.

Ne plus devoir vivre dans le secret

En 1999, par une seule phrase dans un livre sur Paola, le secret, qui n’était d’ailleurs plus qu’un secret de Polichinelle, a été divulgué. C’était plutôt une bonne nouvelle. Je n’allais plus devoir vivre dans le secret. J’avais vécu dans ma petite bulle d’artiste, et je ne pouvais prévoir que la révélation allait me propulser dans un monde menaçant. Mais très vite, je découvris les inconvénients de la situation. La presse internationale déclara ouverte la chasse à la fille illégitime du roi des Belges.

Au Palais, on avait imaginé une solution à mes problèmes. Par personnes interposées, il nous fut suggéré qu’il serait souhaitable que je disparaisse, que je quitte l’Angleterre pour une destination lointaine, où la presse ne serait plus tout le temps à mes trousses. C’était vraiment génial ! À leurs yeux, j’étais devenue un objet gênant et transportable. Quel aurait été, selon eux, le lieu d’exil idéal ? Le Zanzibar ou le pôle Nord ? Ma mère souffrait encore plus que moi de cette situation. Elle a appelé le Palais, en leur suppliant d’envoyer un garde du corps. Ils n’y ont pas donné suite.

Je ne comprenais pas. Quel est ce père qui ne prend pas ses responsabilités et qui ne vient pas en aide à sa fille lorsqu’elle est harcelée ? Maman était blessée, profondément déçue. Quoi de plus naturel normalement, se disait-elle, que la communication entre deux personnes adultes lorsque leur enfant se trouve en difficulté ? Sa santé se détériorait, elle avait des problèmes cardiaques graves. C’est une personne extrêmement discrète qui déteste le tapage et les scandales. Elle se sentait abattue. J’ai essayé de la conforter. Je lui ai dit : « Mamy, finalement c’est une bonne chose, tout a été rendu public. On n’a plus rien à cacher. »

« Tu ne dois plus jamais m’appeler. D’ailleurs, tu n’es pas ma fille »

Rien n’y fit. À ses problèmes cardiaques vint s’ajouter une dépression nerveuse. Alors j’ai décidé d’appeler moi-même. J’avais le numéro du portable d’Albert. J’ai supplié : « S’il te plaît, fais quelque chose. Aide-nous, parle avec elle. Tu es le seul qui puisse l’aider. » Il a fait ce que je lui ai demandé. Il l’a appelée. Je ne sais pas ce qui a été dit, mais j’avais l’impression que cela n’avait pas vraiment satisfait ma mère. Sa situation empirait. Son coeur flanchait, elle a dû subir trois interventions. J’ai donc une nouvelle fois appelé Albert.

Ça l’a rendu furieux. Il a explosé : « Tu ne dois plus jamais m’appeler. Je ne veux plus entendre parler de cette histoire. Et d’ailleurs, tu n’es pas ma fille. » J’étouffais presque. À mon tour, je me suis emportée et j’ai crié : « C’est absolument ridicule ! Tout le monde peut voir que j’ai les yeux d’Astrid. » Et lui : « Halte-là ! Ne dis pas que tu ressembles à ma mère. Ne le dis plus jamais ! Comment oses-tu ! » C’était épouvantable. J’étais consternée. J’avais perdu mon père.

Retour en Belgique

Je suis donc arrivée en Belgique en 2003, et j’ai donné naissance à ma petite fille. (…).Jusque-là, je n’avais jamais réagi autrement que par mes oeuvres, carrément tricolores et sarcastiques, au refus de mon père de me reconnaître comme sa fille. Je me suis rendue compte que ce silence ne se justifiait plus. Alors que ma mère avait été responsable de la situation bizarre dans laquelle je me retrouvais, j’étais moi responsable de ma fille. Je ne pouvais supporter qu’elle grandisse dans l’équivoque quant à son origine. Berçant dans mes bras cette enfant si petite, si fragile, si vulnérable, dans mon imagination je me vis, moi Delphine, dans les bras de ma mère.

Il me parut incroyable qu’un parent puisse jamais abandonner son enfant. Je le dis et je le répète : un enfant ne demande pas à venir au monde. Que vous soyez roi ou garde forestier, vous êtes responsable de l’enfant que vous avez engendré. Vous ne le laissez pas tomber. Même si mon père était un criminel, je voudrais encore qu’il admette ce lien indissoluble de la paternité.

Ce qu’il faut qu’on comprenne, c’est qu’étant « belgophile » je suis forcément une royaliste. Je n’attaque pas la monarchie, comme certains milieux semblent me le reprocher. Pour moi, la monarchie est une institution valable et vénérable. En Angleterre, la famille royale fait partie de toute une culture, d’une mythologie aussi. Avoir un roi dans un pays, je trouve ça chouette. J’aime la royauté en Belgique. Il existe un énorme malentendu à ce sujet. Je trouve qu’ils ont fait des gaffes, et j’ai le droit de dire ça, mais je reste attachée à l’institution, et je trouve que ce serait dommage si elle disparaissait.

La Belgique est un pays merveilleux auquel je reste profondément attachée. Toutes ces histoires de scission m’énervent. Ça me rend triste. Maintenant, je ne suis pas très bien informée. Il y a chez moi une sorte de blocage dès que le sujet est abordé. Et je refuse de faire des commentaires. Quoi que je dise, je suis convaincue qu’on donnera à mes paroles une interprétation défavorable et fausse. Je suis une artiste et la politique, ce n’est pas mon affaire, comme la royauté finalement n’est pas mon affaire non plus. J’ai le sang royal, mais je n’ai ni le titre, ni même la reconnaissance. Eux, c’est eux, et moi, c’est moi. Et que tout le monde me fiche la paix.

Les cinq dernières années ont été les plus difficiles de mon existence. Le tapage médiatique et la malveillance dont j’ai été l’objet depuis mon arrivée en Belgique m’ont affligée. Tout comme un écrivain qui, par ses écrits, se libère de ce qui lui pèse, j’ai eu la ressource, heureusement, de pouvoir, par mes créations, exprimer le trouble causé par des événements que je n’ai ni créés, ni voulus. Je me range donc parmi les artistes qui, à travers leur art, interrogent les vicissitudes de leur propre histoire. (…).

(…) Je raconte des histoires en me moquant doucement des uns et des autres. Je me demande si ma prédilection pour la raillerie n’est pas un trait de famille. Ma mère m’a toujours dit que mon genre d’humour s’apparente à celui de mon père. C’est une manière spéciale de se démarquer, que je constate également chez ma fille Joséphine. Elle a déjà le sens de la repartie. (…) La caricature telle que je la pratique, n’est pas de l’espièglerie pure et simple. Elle confine au sarcasme, qui est toujours, en quelque sorte, un moyen de défense contre un monde menaçant.

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