Delphine Boël. © Belga

Delphine Boël, le goût de l’introspection

Barbara Witkowska Journaliste

Au travers de ses oeuvres constellées de mots ou de phrases répétés à l’infini, l’artiste court autant après son enfance et son identité qu’après la reconnaissance. Sa nouvelle exposition Love me, Love me not, investit la galerie de Francis Noël à Liège. Rencontre.

Delphine Boël nous reçoit dans sa belle maison 1920 où l’ancien et le moderne se côtoient harmonieusement. Ses oeuvres, omniprésentes, renvoient à ses croyances : Truth Can Set You Free. A ses prises de position : This System Is Corrupt. Ou encore à ses états d’âme : Be Happy. Les enfants – Joséphine, 11 ans, et Oscar, 8 ans – approchent gentiment, nous font la bise et retournent à leurs occupations; les devoirs pour la première, la création d’un jardin potager (avec son papa) pour le second. L’artiste nous invite à passer dans son atelier. Ici, au milieu des toiles, pinceaux et crayons de couleur, elle est chez elle. Souriante, concentrée, prête à la conversation, elle répond sans une hésitation et en détail. Très calme, elle restera debout durant tout notre entretien.

L’interviewée précède les questions parfois. « Les thèmes de mes oeuvres sont proches de ma vie, de ce qui m’entoure et de mes états d’âme. L’inspiration de l’accrochage que je présenterai à Liège m’est venue lors d’une exposition d’art brut que j’ai vue à La Maison Rouge, à Paris, en janvier 2015. Elle réunissait des oeuvres des handicapés ayant de grands problèmes psychologiques. Quand je suis rentrée, j’ai explosé. Les questions se sont télescopées : le bébé est-il aimé pendant la grossesse ? La femme a-t-elle voulu cet enfant ? Quand l’enfant vient au monde et qu’il se sent rejeté, comment réagit-il ? Devient-il dépressif et angoissé ? Pourra-t-il s’aimer ? Un être humain peut-t-il s’épanouir quand il a souffert de manque d’amour et d’écoute ? Je m’aime, je ne m’aime pas. On m’aime, on ne m’aime pas. Ce sont des questions obsessionnelles. L’amour est la réponse pour le bien-être de nous tous. »

Le baiser barré

L’exposition réunira une vingtaine d’oeuvres, des encres de Chine et des peintures acryliques. Delphine s’est emparée d’une seule forme : le baiser. Elle a embrassé les supports des centaines de fois, puis elle a barré chaque baiser, en écrivant autour : « Love me, Love me not. » Un travail de Pénélope, long, patient et minutieux. Un seul motif, multiplié à l’infini, répété comme un mantra, de façon obsessionnelle. Ce qui change, ce sont les couleurs, les formes des baisers et des lettres. Elle présentera aussi une nouvelle version du tableau I love myself, le cerveau en Technicolor dans une tête de profil délicatement esquissée. Les premières versions ont été toutes vendues à… des psys ! Les avocats achètent plutôt les tableaux de la série Infinite Blabla, une réflexion sur l’opinion publique, ça leur parle ! « Pourquoi j’expose à Liège ? Ma mère est Liégeoise et j’adore cette ville. Le galeriste Francis Noël fait pas mal de foires en Europe. Le but est que mes oeuvres sortent de Belgique. J’ai déjà exposé à l’étranger, à Miami et à Venise, mais dans des expositions collectives, jamais en solo. Je voudrais franchir une nouvelle étape. C’est très important d’être reconnue comme artiste. Pour moi, c’était très dur, ça a pris des années. Or, j’ai fait une école d’art en Angleterre ! »

Peu à peu, Delphine Boël se détache du discours autobiographique qui jusque-là sous-tendait ses oeuvres. La Belgique n’est plus le modèle unique de son travail. Interrogée sur cette nouvelle démarche, elle dira que cette évolution est en rapport avec son identité. Elle croit avoir de l’humour et de l’autodérision et, dans le passé, elle a aimé se moquer de sa situation. Dans ses oeuvres il y avait des trônes et des couronnes. C’était une sorte d’exorcisme. Depuis son retour en Belgique, il n’y a plus de drapeau belge. « Je suis royaliste, mais je ne trouve plus ce thème intéressant. Aujourd’hui, le plus important est tout ce que j’ai appris de la vie. Mon histoire m’a « faite » et m’a rendue plus forte. Je suis devenue une pop star au travers d’un scandale, mais je ne suis pas Madonna ! Au début, mon art était agressif, je hurlais. Depuis la naissance de mon second enfant, j’ai acquis une certaine maturité. Je ne peux plus jouer comme une actrice. Dans mes oeuvres, ça crie moins fort, j’ai pris du recul. Je pense que je fais des choses intéressantes. J’extériorise tout ce qui se passe à l’intérieur de moi et le fais à ma manière. Je partage mes problèmes et je les rends positifs avec mes couleurs et avec de jolis messages. »

L’art comme thérapie

On lui demande que signifie l’art pour elle. En guise de réponse, Delphine décroche d’un mur une feuille de papier sur laquelle est inscrite la célèbre phrase d’Aristote qui lui sert de devise : The aim of art is to represent not the outward appearance of things, but their inward significance (le but de l’art est de représenter non l’aspect extérieur des choses, mais leur signification intérieure). « Ce qui m’attire dans l’art, c’est tout ce qui est émotionnel. Les paysages ne me parlent pas, les natures mortes non plus. J’aime ce qui se passe à l’intérieur de l’être humain. J’ai toujours voulu être psychologue. J’aime me remettre en question, comme beaucoup de femmes. On peut nous taper dessus, on essaie de s’améliorer. Les femmes sont plus déterminées à survivre. Les hommes sont plus fragiles mais ne se remettent pas en question. J’ai fait une psychanalyse, très jeune, pour me comprendre moi-même. Cela dit, il ne faut pas devenir addict des psys. Quand on a des outils, il faut le faire soi-même, il faut être actif dans la vie. » La créatrice aime aussi, de plus en plus, l’écriture. Les mots, c’est venu petit à petit. Pour son bien-être à elle, elle doit dire les choses exactement comme elle les ressent. La puissance des mots est fascinante et énorme. Ils peuvent être blessants, ils peuvent aussi apaiser. Ses oeuvres sont des messages pour aider les autres. Les mots, les lettres ont une force étonnante et elle les trouve jolis sur le plan esthétique.

Joie de vivre et tristesse

Après une longue tempête médiatique, mais toujours en pleine bataille juridique en reconnaissance de paternité contre celui qu’elle considère comme son père biologique, le roi Albert II, Delphine Boël apparaît sereine et apaisée. En lien avec le thème de son exposition, on lui pose la question de savoir si elle s’aime. « Aujourd’hui, je m’aime, oui, je pense, répond-elle sans hésiter. Mais j’oscille toujours entre la joie de vivre et la tristesse. Delphine qui rit, Delphine qui pleure. C’est moi. Quand je suis en souffrance, j’abuse de couleurs vives, cela m’aide à surmonter les difficultés. Quand j’ai des phases plus neutres, j’utilise moins de couleurs. La vie est injuste, il faut l’accepter. Quand on a mal, il faut l’accepter, on vivra mieux. Ce qui m’aide, c’est l’écriture, la répétition. Je travaille déjà à mon prochain thème : des leçons de vie. Je vous en donne une en primeur : Fear Is Not An Option (la peur n’est pas une solution). Je répète cette phrase tout le temps, cela m’aide beaucoup. »

Love me, Love me not, à la galerie Francis Noël, à Liège. Du 12 novembre au 12 décembre. www.galeriefrancisnoel.be

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