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Delhaize : la longue mue du Lion

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

En quelques années, l’enseigne de distribution s’est radicalement transformée. Aux oubliettes ou presque, la culture paternaliste, les actionnaires familiaux et l’emploi à vie. Sous le poids de la multinationale, l’épicier d’antan a plié. Question de survie…

A quelques jours d’un vraisemblable rapprochement avec le groupe néerlandais Ahold et un an tout juste après avoir mis en place un plan de restructuration sévère en Belgique, Delhaize jette définitivement ses oripeaux aux orties. La transformation aura été longue, discrète et douloureuse, mais elle aura abouti, juste avant que les mites ne s’attaquent au pelage clairsemé du vieux lion. Récit d’une mue.

Bruxelles, le 13 décembre 2014, à l’aube. Après plus de 20 heures de discussions, la direction de Delhaize et les représentants syndicaux quittent le ministère de l’Emploi et du Travail, épuisés. Jusqu’à 5 heures, les représentants de l’enseigne et les représentants syndicaux avaient mené bataille. Les uns et les autres se trouvaient dans des salles différentes : les réunir dans la même pièce eut été impossible tant la tension était forte. L’après-midi précédente, las d’encore piétiner après plus de quatre mois de discussions, les délégués syndicaux qui se trouvaient dans une salle voisine avaient empoigné leur téléphone et prévenu leurs collègues de l’insupportable statu quo. En deux heures, 35 magasins avaient débrayé, dont certains en Flandre, ce qui n’était jamais arrivé.

Or Noël était proche. Dans la distribution, décembre représente le mois le plus précieux de l’année en termes de recettes. L’argument a fait mouche. En sortant de cette énième réunion de la dernière chance, direction et syndicats ont en poche, non un accord, mais un engagement réciproque. Suffisant en tous cas pour que les syndicats assurent l’ouverture des magasins durant la période des fêtes.

Le plan de réorganisation qui a mis le feu aux poudres avait été préparé depuis des mois : concocté par tout le comité de direction, un programme d’une telle ampleur nécessite entre autres un lourd travail statistique. Les versions en ont changé au fil des semaines. « Trois mois avant son annonce, le plan n’avait pas encore la forme qui a finalement été mise sur la table », assure un proche du dossier. En revanche, une fois approuvé, il n’a pas fallu plus de 24 heures pour qu’il soit rendu public.

« La direction n’arrêtait pas de nous dire en conseil d’entreprise que d’autres enseignes offraient moins de jours de congé à leur personnel et ne payaient pas les pauses, se souvient un délégué syndical bruxellois. On sentait bien qu’elle voulait toucher aux acquis. On a demandé plusieurs fois à être informés. La direction nous répondait systématiquement qu’elle cherchait une solution. Sans plus. On se doutait que quelque chose allait arriver, mais on ne s’attendait pas à ça ». Soit la fermeture annoncée de 14 magasins non rentables, sur 138, la suppression de 2 500 postes, sur un total de 14 878 collaborateurs dans les magasins intégrés, et la révision générale des conditions de travail et de salaire pour ceux qui restent. « Ce qui nous a surpris, ce n’est pas tant le plan que la manière dont la direction y est allée, franco », raconte une déléguée syndicale. Quand ils sont sortis de ce conseil d’entreprise extraordinaire, ahuris, plusieurs représentants du personnel pleuraient.

Une menace nommée Albert Heijn

Le coup de massue est d’autant plus violent que Delhaize ne se porte pas mal. Certes, ses parts de marché diminuent : dans ses magasins intégrés, elle est passée de 17 % en 2001 à 12,5 % en 2014. La concurrence est féroce et risque de l’être davantage encore avec l’arrivée en Belgique, dès mars 2011, des premiers magasins Albert Heijn, de la chaîne néerlandaise Ahold : ils font craindre le pire avec leurs prix écrasés. Malgré cela, Delhaize fait toujours des bénéfices et les actionnaires sont honorablement rétribués. En termes de rentabilité dans ses magasins intégrés, l’enseigne au lion recule pourtant.

Pendant longtemps, la direction n’a pas osé agir. Soucieuse de ne pas casser son image et d’éviter les conflits sociaux, elle a sans cesse remis à plus tard cette réorganisation qu’elle jugeait nécessaire. « Depuis des années, on nous disait en termes à peine voilés qu’il fallait changer sans faire de remous sociaux, raconte Myriam Delmée, vice-présidente du Setca (syndicat socialiste des employés). Sinon, le cours de l’action plongerait et le groupe serait un oiseau pour le chat Ahold ! » De fait, depuis 2006, le comité de direction sait que la situation n’est pas tenable à long terme. « Chaque fois que Delhaize a voulu passer à l’acte, certains ont cané par peur des grèves, assure un ancien de la branche belge. Et plus on a tardé, plus on a fait de dégâts. »

La suite du récit dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec :

  • la culture Delhaize
  • une politique commerciale discutable
  • qui décide vraiment ?
  • les raisons du départ de Pierre-Olivier Beckers
  • une succession très mal gérée
  • les magasins font peau neuve

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