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De Malonne à Vilvorde : des cowboys

A Malonne, pas encore de vitres brisées. A Vilvorde, si. A Malonne, le bourgmestre appelait au calme. A Vilvorde pas encore. A Malonne, une colère noire manifestait contre la décision d’un juge. A Vilvorde aussi. Au sujet de Malonne, la Justice ne communiquait pas. Au sujet de Vilvorde non plus.

A Vilvorde, pas question d’une meurtrière multiple, mais d’un jeune homme, le visage caché derrière un châle : pas une burqa, donc pas encore interdit comme au Québec par la ‘Loi Matraque numéro 78’. Le contrôle d’identité d’un individu, qui n’est même pas un suspect, dégénère. Des jeunes attaquent la police. Plus tard, des vitres de voitures sont brisées et deux hommes sont interpellés, cocktail molotov à la main.

Mais la vraie détonation a eu lieu à la maison communale, quand le bourgmestre a appris que les jeunes, présentés devant le juge d’instruction, avaient été libérés. Non, il ne s’agissait pas de l’avocat Van Asch mais du bourgmestre Van Asch qui monta alors sur le podium olympique pour démagogie en posant la question à dix sous : « peut-on dès lors impunément attaquer des policiers ? »

Chaque jour, des responsables politiques font la preuve de leur difficulté à subir ce pouvoir d’un trait de plume : celui d’un juge. Mais ce même juge explique rarement sa décision.

Frustrant, et pourtant à résoudre en respectant deux ‘bonnes pratiques’.

D’abord une toute simple pour la politique : que nos élus arrêtent de tirer comme des cowboys sur toute décision judiciaire. Les juges exercent un autre métier que les politiciens. Ensuite : que la magistrature descende de son piédestal. Chers ex-collègues, expliquez vos décisions en langage humain et mettez-les en ligne, comme aux Pays-Bas pour l’acquittement de Geert Wilders.

Donc, un peu de discipline pour nos politiciens. Faire campagne, c’est une chose, mais agiter la foule en est une autre. Qualifier une décision judiciaire de « scandaleuse » se rapproche d’un vocabulaire à la molotov. Jouer avec le feu, c’est plus grave quand il s’agit d’un sapeur-pompier. A Vilvorde, cela prend une double ampleur.

Tout bourgmestre se doit de montrer l’exemple civique, et cela impose des devoirs comme celui de garder la tête froide face aux opposants virulents. La politique affiche toujours le besoin de réunir, mais elle a rarement crée plus de polarisation.

En plus, le bourgmestre Van Asch est un avocat confirmé. Il connaît parfaitement la différence entre un substitut qui demande l’arrestation, le juge d’instruction qui décide de la détention provisoire, et le juge pénal qui acquitte ou qui condamne. On ne punit pas dans le cadre d’une détention provisoire : à recopier 100 fois, maître Van Asch, et idem pour le porte-parole virulent du syndicat de police flamand VSOA.

Les règles élémentaires du fonctionnement judiciaire ne sont pas enseignées à nos jeunes, ce qui permet à tout orateur d’en faire un pot-pourri. On pourrait pourtant incorporer l’aventure humaine que représente l’état de droit dans les cours d’histoire. Pas en expliquant la justice, mais bien l’injustice. Les élèves comprendraient rapidement les raisons des lois actuelles.

L’avocat-bourgmestre arrosa alors cette portion de colère d’une sauce linguistique à la Vilvorde : les suspects francophones ayant opté pour la procédure dans la langue de Voltaire, le juge d’instruction francophone, devient la tête de Turc.

Pourtant, l’accord sur BHV ne changera rien à tout cela. Mais selon Van Asch, « la grande symbolique sur le terrain » entraînera une justice plus répressive. C’est possible au niveau du parquet, mais pas pour le juge compétent à Vilvorde.

Surtout, qu’il ne s’agit que de la détention préventive. Demandez aux Pussy Riot : elles y séjournent déjà depuis 6 mois. L’abus généralisé de la détention préventive était pourtant un scandale décrié en Belgique (comme en France la garde à vue) et inspirait toutes les réformes récentes de la procédure pénale, y compris SALDUZ. Tout cela semble soudainement effacé de la mémoire collective, tout comme les très bonnes raisons pour instaurer le tribunal d’application des peines (TAP).

Rétrograder : est-ce le but de ces harangues ?

D’autre part, il y a urgence que les juges s’occupent enfin de leur service après-vente. Le TAP de Mons y échoua péniblement. Pourtant, dans chaque arrondissement judiciaire, vous trouverez un porte-parole pour le parquet (le procureur) et un autre pour le siège (les juges). Les porte-paroles du parquet, vous les voyez ou les entendez quotidiennement. Au contraire, le juge qui s’occupe de la presse est un oiseau trop rare.

Cette situation asymétrique s’avère très malsaine, car dans une « interprétation moderne », le parquet ressort du pouvoir exécutif. Dès lors, la parquet n’est « ni indépendant, ni neutre » : une thèse défendue très ouvertement par le professeur Van de Lanotte au Sénat le 26 janvier dernier.

Il serait donc utile que le juge commente lui-même sa décision. Sinon, il passe pour la remorque du parquet, ce qui fait injure à l’image, correcte, du juge impartial. Dans le cas de Vilvorde, la juge d’instruction aurait par exemple pu répéter que l’abus de la détention provisoire coûte à l’Etat belge un demi-million d’euros de dommages et intérêts par an.

Mais ici, c’est la chute dans le vaudeville. Le juge d’instruction bruxellois refuse au porte-parole du parquet de passer des informations au sujet de sa décision et ensuite ne pipe pas un mot lui-même.

Voilà une belle bagarre de rue : le bourgmestre avec le juge, le juge avec le parquet, et personne autour n’y comprend plus rien. Pas vous, pas moi, et certainement pas les petits voyous visés. Essayez alors de les instruire au sujet de la justice.

Jan Nolf, JustWatch.be, pour Le Vif/L’Express

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