Christine Laurent

De Machiavel à Di Rupo

Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

Ce n’est pas le divorce, même pas une séparation à l’amiable, tout juste des séances de conciliation.

Des réunions de trocs avec des marges ultraserrées et sans un sou en poche. Autour de la table, huit partis pour une réforme de l’Etat qui, faute de mode d’emploi, traquent ficelles et astuces pour tresser des accords susceptibles de permettre au pays de retrouver une stabilité. Pour un an, deux ans, trois ans, qui sait ? Un objectif qui s’appuie délibérément sur une stratégie à la Bismarck : pragmatisme et bon sens, pulvérisation des tabous. Le temps est venu des amis-ennemis bien intentionnés, déterminés à boucler des compromis win-win. La première étape franchie avec succès avec la scission de BHV, il s’agit désormais de faire atterrir les dossiers socio-économiques. Explosif, si on ne les manipule pas avec précaution. Un faux geste, un mot de travers, le moindre dérapage… et c’est l’embardée ! L’échec dans les grandes largeurs. Un luxe que notre pays ne peut plus se permettre, tant la pression des marchés se fait insistante. Et les économistes de multiplier les mises en garde alarmistes : en aucun cas, la Belgique ne peut se figer en sitting duck, un canard facile à abattre, une proie de la même espèce que la Grèce ou le Portugal. Il nous faut donc d’urgence un nouveau pacte (provisoire ?) pour suspendre le démantèlement voulu par les extrémistes de la N-VA. Seule solution : la mise en selle d’un gouvernement qui prenne les dispositions économiques et financières qui s’imposent.
Une realpolitik qui, inévitablement, entraîne de sérieux dommages collatéraux. Première victime : le FDF, qui a brisé net son union de dix-huit ans avec le MR. On le sait bien, Olivier Maingain a la dent dure, il mord, il blesse. Et depuis des mois, il cognait, fustigeant les « traîtres qui pactisaient avec l’ennemi », abandonnant les francophones de la périphérie à leur sort. Un discours polémique totalement décalé par rapport à la tonalité consensuelle du moment. En jetant l’anathème sur les négociateurs, et plus particulièrement Charles Michel, il ne pouvait que s’isoler sur l’échiquier politique. Car le donnant-donnant implique que chacun accepte de perdre des plumes dans l’aventure, abandonne une partie de ses idéaux pour composer avec les réalités, tout en sauvegardant un maximum d’options. Un exercice bien délicat qui s’accommode mal de déclarations à l’emporte-pièce, de suspicion. Le président du FDF ne s’est-il pas heurté au plafond de verre qu’il voulait lui-même briser ? « En politique, le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal », affirmait Nicolas Machiavel, le grand précurseur de la realpolitik. Seul l’avenir nous dira si Maingain a vu juste. Les francophones achètent-ils un armistice pour quelques mois à peine ? Quel sera le contour de la Belgique dans dix ans ? L’encre d’un traité à peine sèche, les Flamands, sous la pression des nationalistes, n’en voudront-ils pas davantage encore ? Autant de questions, autant d’inconnues. Mais « un changement en prépare un autre », prédisait encore le Florentin Machiavel. Cinq siècles plus tard, rien de neuf, non rien de neuf dans les arcanes de la politique politicienne.

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