Loïc Nottet, une voix hors du commun et une méthode de travail bien à lui. SDP © SDP

De la promesse Loïc à l’effet Nottet

Le Vif

A 20 ans, l’enfant des télécrochets sort son premier album et fait déjà salles combles pour sa tournée. Comment Loïc Nottet est-il devenu un phénomène ? Plongée dans les secrets du prodige à la gueule d’ange et à la voix nucléaire.

Il se cale, assis en lotus, dans un fauteuil. Tout de noir vêtu, enveloppé dans son épaisse parka. Sous sa casquette vissée et derrière ses lunettes perce un regard doux. Timide. Comme sa voix androgyne qui zèbre l’espace sonore du salon de la firme Sony Music. S’il n’y avait ce timbre de voix unique, on douterait presque d’être face au finaliste dilettante de The Voice Belgique 2014 sur la RTBF. Face au très méritant candidat belge, quatrième de l’Eurovision 2015, également consacré vainqueur époustouflant du jeu de TF1 Danse avec les stars la même année. Face à l’artiste prodige et multifacette dont le premier album, The Reign of Selfocracy, va exploser dès ce 31 mars, avant une tournée européenne quasiment complète depuis des semaines avec, entre autres, en Belgique, deux AB sold out en avril, la grande scène des Francofolies de Spa cet été, un (voire deux) Forest National en novembre. Une demande uniquement cristallisée sur la réputation et le nom du Carolo qui, somme toute, n’a brillé jusqu’ici que comme candidat de télécrochets et n’a sorti que deux singles (Rhythm Inside et Million Eyes)… C’est l’effet Nottet, la promesse Loïc.

Avec BJ Scott, sa
Avec BJ Scott, sa  » maman artistique  » dans The Voice. Aujourd’hui une amie et conseillère. © VIRGINIE LEFOUR/BELGAIMAGE

Le discret adulescent face à nous a fait gonfler en trois ans une vague médiatique inscrite dans les astres depuis sa première note du Diamonds de Rihanna poussée sur La Une le 28 janvier 2014. Trois jurés de The Voice pivotaient alors, rouges d’admiration comme leurs fauteuils. Dont celui de BJ Scott, la  » maman artistique  » qu’il se choisira… Pourtant, Loïc Nottet n’a jamais eu besoin de quiconque pour se construire son identité d’artiste. Sa voie, il se l’est tracée seul, au creux de son enfance solitaire de fils unique d’une modeste famille de Courcelles. Dans le salon familial, il se gave de télé. Un jour, sur l’écran, il voit s’agiter Ghosts, un somptueux clip de Michael Jackson. Scotché, l’enfant du Pays noir lance :  » C’est ça que je veux faire !  » Sa mère dépose sa serpillière et questionne :  » Ah, tu veux danser ?  » Le garçonnet rétorque :  » Oui ! Et chanter, et chorégraphier, et faire de la musique et filmer. Tout !  »

Enfant turbulent, garçon assagi

Je me suis toujours créé un monde imaginaire car je hais la réalité »

Le gamin inspiré dégage ballon et club de foot pour intégrer, dès 10 ans, la compagnie Artemis au sein de l’école de danse de Trazegnies. Commence le temps du Billy Elliot de Charleroi.  » Il y a vraiment eu deux Loïc. L’enfant turbulent qui adorait faire des bêtises puis, dès les premiers cours de danse et mon passage en humanités, le garçon totalement assagi.  » Autonome aussi car ses parents étant accaparés par leur boulot, Loïc doit très tôt se débrouiller seul. C’est un temps d’apprentissage solo où il se crée des amis… imaginaires ! Un Mister P pour Peter (Pan) et une Miss A pour Alice (du pays des Merveilles).  » Ils sont encore là aujourd’hui à mes côtés, sourit Loïc. A et P m’ont aidé à affronter les « monstres du placard » et ma solitude. Je me suis toujours créé un monde imaginaire car je hais la réalité. J’ai un insatiable besoin de fantastique que j’assouvis par les images et le cinéma, avec des préférences pour les oeuvres de Tim Burton et James Cameron. De retour dans le réel après avoir vu un film comme Avatar, je suis down face à un monde que je ne comprends pas et qui ne me comprend pas. Je me dis souvent : « Qu’est-ce que je fais ici ? » Alors, je me réfugie dans les histoires. Je ne sais rien créer, interpréter ou composer sans l’inspiration des images.  »

Sa méthode de travail en déroute d’ailleurs plus d’un.  » Je me mets un film qui m’inspire, je coupe le son, je regarde les images et au bout d’un moment – vous allez me prendre pour un fou, rit-il -, j’entends dans ma tête comme des voix, des mélodies que j’essaie de reproduire immédiatement a cappella. C’est uniquement comme ça que je compose mes chansons. Je chante en yaourt et je m’enregistre, mais les mélodies, les harmonies sont là. Une amie colle ensuite quelques accords de piano sur ma voix, pour avoir un embryon musical. Puis, je retravaille le tout sur mon ordi en plaçant des instrus. Finalement, les producteurs magnifient cette base, la retravaillent au niveau son.  »

Loïc et Denitsa, vainqueurs de l'édition 2015 de Danse avec les stars.
Loïc et Denitsa, vainqueurs de l’édition 2015 de Danse avec les stars. © LAURENT VITEUR/REPORTERS

Alex Germys, l’un des trois arrangeurs-réalisateurs de l’album, en est encore scié :  » Loïc a un incroyable sens inné de la mélodie. Le fait qu’il soit capable de composer et créer dans les moindres détails une mélodie rien qu’avec sa voix a cappella, c’est hyperbluffant. Il donne aussi les mots et idées de base pour l’écriture des paroles. Chaque fois qu’il chantait en studio, c’était des performances incroyables.  »

 » Je ne vais plus muer !  »

Car évidemment, il y a cette voix incomparable !  » Disons étrange, relativise l’intéressé. Et pour toujours ! Je ne crois pas que je vais encore muer ! Sur certaines chansons de l’album, je fais même exprès de tirer sur les mélodies qui la mettent vraiment en valeur.  » Longtemps moqué, à l’école et ailleurs (tout comme son désir de danser), son timbre sexuellement ambigu et aigu révèle tout son potentiel lorsque, dans sa chambre, le jeune autodidacte commence à le frotter au répertoire de chanteuses à voix puissante. La première sera Rihanna.  » Je me suis vite rendu compte que ma voix portait « , se souvient-il. Il s’enregistre, se réécoute, glane quelques conseils mais ne prendra jamais de cours.  » J’ai une frousse bleue des coachings vocaux que je ressens comme des machines à formater. J’ai peur qu’on change ma façon de chanter. Je préfère une performance un peu imparfaite, éraillée mais vivante, plutôt que formatée. Beaucoup de chanteurs contrôlent leur vibrato par le ventre. Moi, je préfère qu’il vienne plus de la gorge, comme chez Sia ou, dans un certain sens, chez Freddie Mercury, ma référence vocale pour sa voix énorme, rock, criarde. Mon envie de choeurs et d’orchestral vient sans doute de lui. Mais l’autodidacte complet que je suis a parfois l’impression d’être une imposture.  »

Les fans se bousculeront bientôt pour découvrir enfin un spectacle total, entouré jusqu'ici du plus grand secret.
Les fans se bousculeront bientôt pour découvrir enfin un spectacle total, entouré jusqu’ici du plus grand secret.© PHOTO NEWS

Son premier album de douze titres, très léché, hyperproduit et donc très (trop ?) formaté, est là pour le détromper. Loïc Nottet l’a entièrement conçu comme la bande-son d’un film de cinéma avec ouverture, final et un thème fil rouge pour la tolérance et contre le culte contemporain de l’apparence et du moi.  » C’est une critique de la société « selfie » et de son intolérance mais c’est aussi ma propre autocritique. Car je suis humain, je vis mon époque, je me regarde aussi dans le miroir, je fais aussi des selfies, je vis une certaine notoriété. Chacun doit se remettre en question.  »

Une émotion à la fois mais à fond

Reign of Selfocracy est plus qu’un regard sur la société. C’est aussi un miroir tendu à l’artiste prodige. A son coeur nucléaire. Car qu’il chante ou qu’il danse – comme la tournée en donnera la preuve -, ses interprétations, surtout live, dessinent fêlures, tristesse et fragilité.  » J’ignore d’où viennent ces ressentis. Mon enfance n’a pas été plus noire qu’une autre. Mais chaque être a en lui des faces nostalgique, mélancolique, colérique… J’ai une personnalité artistique très impulsive. Mon corps ne peut vivre et transmettre qu’une émotion à la fois mais toujours à fond. Ça donne des montagnes russes d’émotions. Quand je chante ou danse, je reste le plus sincère et je ne calcule rien, ni les effets, ni l’intensité. Idem dans la création : je peux être très content et la seconde d’après piquer une colère pour un détail. Je ne suis pas diagnostiqué « bipolaire » mais j’aime tout contrôler et tout ce qui est dans l’album, je l’ai voulu. Je suis un fichu perfectionniste.  »

 » Et une sacrée tête de mule ! claque BJ Scott, son ex-coach de The Voice, devenue sa conseillère et amie chez qui Loïc passe encore manger un cheeseburger. Il est surtout intègre, dévoué à son art et, oui, pas facile ! Mais un vrai talent peut l’être. Loïc fait respirer à fond à son public les émotions par la danse, la musique, le chant. Il est né pour ça. Il arrive encore à me scotcher et à me filer des frissons par sa richesse et ses dons chorégraphiques. Quoi qu’il fasse, ce garçon m’émerveille aux larmes.  »

C’est bien ce qu’attend le large public qui le suit depuis trois ans. Les fans bourreront bientôt les salles de Belgique et de France pour y découvrir enfin un spectacle total, entouré jusqu’ici du plus grand secret. Un secret et un halo de mystère adroitement entretenus par Dimitri Borrey, ex-manager de Stromae, qui a vite flairé tout le potentiel médiatique et marketing du phénomène Nottet : boule de créativité pluridisciplinaire, voix charismatique, personnalité à l’univers décalé, artiste androgyne capable de séduire tous les publics, les adultes comme les jeunes, les mères comme les filles, les gays…

Jusqu’ici en tout cas, ni la notoriété, ni le succès, ni les confortables moyens de Sony Music n’ont fait prendre le melon au jeune gars, les oreilles toujours pleines de Lana del Rey, Imagine Dragons, Sia, Florence and The Machine ou Danny Elfman, le maître des musiques des féeries noires signées Tim Burton. Loïc Nottet est aussi demeuré ce bon fils qui va souvent dormir chez ses parents, dans la campagne carolo. Et qui, quand vous lui demandez quel a été le plus important moment de sa jeune vie, vous répond contre toute attente :  » Avoir décroché mon diplôme de secondaire en 2014 à l’Institut de la providence à Gosselies. Car étant dyscalculique (NDLR : la dyslexie mathémathique), j’ai eu énormément de difficultés à ne jamais redoubler. L’école a aussi été centrale dans ma vie.  »

Par Fernand Letist.

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