Carte blanche

De l’excellence du Pacte de l’Excellence : lettre ouverte aux enseignants

Faut-il encore s’interroger sur l’excellence du Pacte de l’Excellence? Tout le monde était d’accord, tout le monde était enthousiaste. Alors, pourquoi ces réticences de la part des « acteurs »?

Sans doute, les enseignants sont-ils très « mal informés par les PowerPoint des syndicats », selon Madame la Ministre de l’Education, (l’Écho, 9 février), et de ce fait, n’ont-ils toujours pas compris toute l’importance de ce « momentum historique » dont parle madame Milquet (Le Soir de ce 11 février). Et puis il y a mauvaise foi. Les enseignants, fait remarquer Madame la Ministre (Echo du 9 février), « n’osent pas sortir de leur zone de confort, ce qui se fait dans certains métiers ».

Les écoles surpeuplées, dont les bâtiments, vétustes, conçus pour 500 élèves, en accueillent 900, où, faute de réfectoire suffisant, les élèves mangent dans les classes ou dehors sur le trottoir; où l’on donne cours, gelés l’hiver, dans des pavillons préfabriqués – et délabrés, qu’on chauffe au moyen d’un radiateur d’appoint ; où les salles de professeurs, surpeuplées, font qu’on ne s’entend pas et qu’on manque de chaises? Confortable.

Les classes de 30 élèves où il est question d’enseigner les langues de façon active? Les corrections du CE1D qu’il faut ventiler (1 point telle compétence, deux telle autre,…) ce qui représente une journée entière par classe de 30 sans compter l’encodage, rubrique par rubrique? Confortable.

Les changements de programme permanents où il est question tantôt des savoirs, tantôt des savoir-faire et tantôt…? Les rapports d’inspection de plus en plus pointilleux quant au respect des règles et des nouvelles normes, de plus en plus complexes, souvent inapplicables et qui demandent pour la préparation des leçons quantité de pages à noircir? Confortable.

Les cours qui se donnent sur « plusieurs écoles » comme dit notre ministre (entendez 3, ou 4 et bientôt 5, 6 voire 10 écoles différentes pour certains professeurs de religion ou de morale)? Confortable.

Les élèves (et souvent des parents) de plus en plus contestataires, irrespectueux, agressifs, violents même? Les élèves qui, maltraitant leurs professeurs, ne doivent pas s’attendre à être sanctionnés puisque, dans le pire des cas, il y aura ou des « séances de relaxation ou l’intervention de médiateurs extérieurs » car tout peut se discuter dans « un enseignement citoyen » (Sudpresse,17 novembre 2016)?Confortable.

Etonnant, dès lors, de constater que tant de jeunes n’imaginent même plus entreprendre des études pour faire carrière dans l’enseignement? Surprenants, les innombrables abandons de carrière et les départs multipliés avant l’âge de la retraite? Ahurissant, le nombre anormalement élevé de professeurs absents pour burnout ou dépressions graves, et qu’on ne peut remplacer en raison de la pénurie?

C’est le « manque de formation initiale des professeurs » qui est en cause, répète sur antenne et dans la presse écrite, Madame la Ministre, confortée en cela par les associations de parents et surtout par l’avis des 600 élèves interrogés à ce sujet. L’enseignant devrait reconnaître qu’ il n’est plus adapté, « qu’il n’est plus le seul détenteur du savoir, en raison d’internet » et que « tout le système éducatif date du 19e siècle » comme le font remarquer ces associations.(Soirmag,28 janvier).

Et qu’on n’aille pas prétendre, par conséquent, que, dans notre société du 21e siècle, devenue société d’euphorie perpétuelle et de loisirs permanents, il n’y a plus guère de place pour les valeurs telles que travail, effort, émulation et étude, ni que des parents laxistes en crise d’autorité, après avoir démissionné dans leur devoir d’éducation de leurs enfants, s’en remettent de plus en plus souvent aux professeurs en désespoir de cause « parce qu’ils ne savent plus que faire de leur adolescent ».

Dès lors, on ne peut que se réjouir des futures formations initiales et continues. Les professeurs seront « revalorisés » par des « tuteurs-coacheurs » durant trois jours de formation supplémentaires par an. Je pourrai ainsi me mettre à niveau et combler les lacunes que, licenciée en philologie classique, agrégée de l’enseignement secondaire supérieur, j’avais pu accumuler en près de 40 ans de carrière au cours de laquelle j’ai connu l’enseignement général, technique, professionnel, l’enseignement catholique, juif, et laïc ; carrière confortable au cours de laquelle, j’ai enseigné dans 17 écoles différentes, – et parfois fort éloignées de mon domicile, tantôt le grec, tantôt le latin, tantôt au degré inférieur, tantôt supérieur, tantôt en rénové, tantôt en traditionnel, tantôt le français, tantôt l’histoire, tantôt le cours de diction, tantôt celui des institutions sans oublier ma courte expérience de pion dans un internat.

Par ailleurs, pourquoi les professeurs se posent-ils des questions, disant que tout est flou dans les textes du Pacte : quelles options supprimées ? Combien d’emplois perdus? Qui assurera les cours individualisés? Combien d’heures supplémentaires à prester? Que seront les cours d’apprendre à apprendre? d’apprendre à entreprendre ou de polytechnique? Que deviendront les professeurs donnant cours dans la filière professionnelle? Comment seront sanctionnés professeurs et écoles « dans leur gestion autonome » en cas d’ échec scolaire ?

Tout cela n’est qu’une question de « phasage qui n’a pas encore pu être mis en place faute de temps, d’autant que cela ne faisait pas l’unanimité » et que de fait « c’est vrai que l’enseignant aujourd’hui ne sait pas ce qui va lui arriver » explique Madame la Ministre qui se dit par ailleurs très « proactive par rapport à la volonté d’avancer » (l’Echo, 9 février).

Les « réformes sont ambitieuses ». Le budget sera de « 300.000 millions dont 250.000 ristournés » selon ses calculs de Madame la Ministre (l’Echo du 9 février), soit 50 millions (moins, les frais de publicité afin de motiver les professeurs et de rassurer les parents). Moins de 50 millions donc pour répondre à la croissance démographique, pour assurer les cours individualisés, pour organiser des cours de mise à niveau pour les primo-arrivants, pour payer les formateurs et les « coacheurs », pour créer de nouvelles options, pour investir dans le numérique, pour engager plus de personnel administratif afin d’aider les directions, pour améliorer aussi l’accueil de la petite enfance dans le maternel. L’idée, quant à elle, d’allonger la journée scolaire pour pallier les différences sociales et permettre aux enfants défavorisés d’être aidés dans leurs devoirs étant abandonnée en raison de son coût.

Le projet du Pacte a été étudié, et pensé, et diagnostiqué par la société McKinsey de management sur base de multiples rapports d’experts : non moins de 172 graphiques comparatifs mettant en lumière que l’on peut faire mieux avec moins. Car ceux-ci nous démontrent clairement, statistiques à l’appui, que notre enseignement, comparé à d’autres, n’est pas efficace. Ainsi, au Japon, il y a moins d’heures de cours; en Israël, il n’y a pas de redoublement; en Corée, les classes sont plus nombreuses, et à Singapour ou au Sri Lanka, les professeurs prestent plus d’heures tout en étant moins bien payés. Mais il y a aussi, pour conforter la démonstration, l’exemple de l’Inde, de l’Australie, du Canada et du Mexique et du Brésil…De l’enseignement en Flandre,(sans tronc commun, avec orientation selon les trois filières traditionnelles dès 13 ans, et qui est parmi les plus performants du monde), il ne sera pas question car, « vu les différences sociales entre le nord et le sud du pays, le public n’est pas le même ».

La conclusion? on peut lire dans une annexe confidentielle du rapport de McKinsey (mais qui a paru sur internet) que « l’analyse se basant sur des données comptables…ce programme pourrait apporter certains « quick wins » déjà endéans 18 mois au sein de certaines entités du système, mais surtout des améliorations sensibles à l’échelle de tout le système d’ici 6 années ». Rassurant.

Rita-Marie Levecque – Professeur de langues anciennes

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