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Dans les coulisses de la mission économique bruxelloise à New York

Le Vif

Douze missions économiques en un an, on n’avait jamais vu ça. La Région bruxelloise met le turbo sur le commerce extérieur. Coulisses de l’expédition new-yorkaise.

C’est connu : les Belges font rarement de leur stouf. Ce matin-là, dans une salle du consulat général de New York, Cécile Jodogne parle sans micro. Devant une salle remplie d’investisseurs potentiels, la secrétaire d’Etat au Commerce extérieur vend sa Région. Promet de donner toutes facilités pour investir ( » When you invest, we become invested « ). Elle détaille notre système de taxes plutôt friendly, avec cette curiosité locale du report des pertes à l’année suivante. Evoque le Brexit (les Américains sont morts de rire) : désormais, ce n’est plus au départ de Londres que l’Amérique démarrera un business européen. Pourquoi pas Bruxelles ?

Ce genre de laïus, Cécile Jodogne (DéFI) le connaît par coeur. Depuis l’an dernier, avec l’agence Bruxelles Invest & Export (BIE) qu’elle dirige, elle multiplie déplacements à l’étranger, missions économiques de tout poil (les princières, les moins protocolaires comme celle de New York, celles en collaboration avec les autres Régions, avec des associations professionnelles, les chambres de commerce…), présence sur des salons, invitations d’acheteurs, séminaires thématiques… Rien que pour 2016, 77 actions en Belgique et à l’étranger. Cette année, la secrétaire d’Etat s’est déplacée à Cannes, Paris, Cologne, Londres mais aussi à Dubaï, San Diego, New York, au Maroc, au Togo, au Bénin et en Corée. Douze missions commerciales 100 % bruxelloises : un record.

Pourquoi cette frénésie ? Parce que le commerce extérieur contribue largement à l’économie et à l’emploi en Région bruxelloise. Deux façons de remplir les caisses : par les investissements étrangers à Bruxelles, et par les exportations des produits et services des entreprises bruxelloises. Ce n’est pas avec la petite Belgique qu’elles feraient leur beurre : les exportations brutes représentent plus de 60 % du PIB régional. L’autre raison de cette hyperkinésie, dit-on au cabinet Jodogne, c’est le choix, face à l’incertitude du contexte mondial, d’encourager les entreprises qui exportent à ne pas mettre tous leurs oeufs dans le même panier. Prudent lorsque le marché russe se ferme, lorsque la Turquie s’embrase, lorsque les élections crispent un pays africain…

Il s’agit d’encourager les entreprises qui exportent à ne pas mettre tous leurs oeufs dans le même panier

Dans la  » boîte à outils  » de promotion de l’exportation, les missions commerciales à l’étranger sont taillées sur mesure pour les PME et les start-up. A celles-ci de payer leur hôtel et leur voyage. Le reste est pratiquement gratuit (une centaine d’euros suffit pour s’inscrire). Au programme : des rencontres officielles ou  » B to B « , des visites inspirantes, des rendez-vous avec des partenaires ou des clients potentiels. Lors de la mission économique à New York, la plus importante du plan d’action officiel 2017 de BIE, il allait du bureau du maire de New York, réputé fermé, aux locaux de Google en passant par Sharingbox, success story belge : les rois du photobooth font dix millions de dollars de chiffre d’affaires. La secrétaire d’Etat a aussi rendu visite au siège de Swift pour mieux comprendre les ressorts de l’après-Brexit. Elle a entraîné toute la mission au Spin, un club de ping-pong devenu la coqueluche de Lexington Ave. (7 à 8 millions de CA par an, quand même). Initialement lancé par l’actrice Susan Sarandon, il appartient maintenant à 60 % à des Belges. Pour ça qu’il y a de la Chouffe à la carte. Au total, un marathon de quatre jours qui sera suivi, six mois plus tard, par un petit-déjeuner de débriefing au cabinet.

L'architecte Luc Peeters (ORG) : convaincu de la pertinence de la mission économique à New York.
L’architecte Luc Peeters (ORG) : convaincu de la pertinence de la mission économique à New York.© Nick Kuskin

Une mission girl power

Bruxelles, ce n’est pas seulement du chocolat et des gaufres. La preuve par les entreprises présentes à New York, une vingtaine, qui appartiennent aux secteurs de la construction et de l’écoconstruction, du design et de la mode, de l’édition et du digital.

Sunita Van Heers, par exemple, vise le CO2 neutre. Elle a bossé comme consultante indépendante sur le QG passif de BNP Paribas Fortis à Bruxelles et sur la station Princesse Elisabeth.  » Je fais le lien entre architectes et ingénieurs. Ça commence par l’observation des ombres et de l’ensoleillement. Comment profiter de la chaleur produite par des bureaux pour chauffer des logements ? Comment incorporer du vert, lequel peut-on utiliser ?  » Numega, spécialiste de la mécanique des fluides né à la VUB, applique ses connaissances de l’aérodynamique au confort de la construction, histoire d’éviter le bruit du vent au pied des buildings…

Ces spécialités tombent à pic dans une ville hérissée d’échafaudages. Elles collent avec le parcours de la secrétaire d’Etat, ex-échevine de l’Urbanisme à Schaerbeek et fan d’architecture.  » On sent qu’elle n’improvise pas, commente l’architecte Luk Peeters. C’est son truc.  » C’est aussi le sens pris par la politique publique de Bruxelles, qui influence l’excellence régionale en construction passive. Depuis l’an dernier et l’adoption du plan pour l’économie circulaire et pour le climat, les nouveaux bâtiments doivent être passifs et peu énergivores.  » En 2015, rappelle Cécile Jodogne, une délégation new-yorkaise débarquait à Bruxelles pour étudier nos maisons passives. Un an plus tard, le maire, Bill de Blasio, lançait son plan pour diminuer les émissions dues aux bâtiments. Il répète à qui veut l’entendre que son programme « Construction exemplaire » est basé sur le nôtre. Il y a de quoi être fier, non ?  »

La mission, elle, est carrément girl power : Cécile Jodogne en tête, Kathlijn Fruithof, attachée commerciale à peine arrivée d’Inde, et la consule générale Cathy Buggenhout en support. La consule est nouvelle, l’attachée commerciale aussi (on murmure que son prédécesseur, sur place depuis vingt-cinq ans, était un peu endormi). Les deux sont chevronnées. Et ça faisait longtemps qu’il n’y avait pas eu de mission économique bruxelloise à New York.

Premiers effets de ce vent nouveau :  » Pourquoi ne pas considérer l’ONU comme un marché potentiel ? souffle Kathlijn Fruithof.  » La Belgique score grâce aux vaccins (GSK, cinquième fournisseur des Nations unies), mais quid des opérations de maintien de la paix, des camps de réfugiés, du traitement de l’eau ? La mission inclut donc une visite à Marc Pecsteen, représentant permanent belge à l’ONU. Où l’on évoque la société Famoco, installée dans l’incubateur de la rue des Tanneurs, à Bruxelles, et son système de carte de paiement électronique qui, utilisé par des réfugiés, évite que l’argent destiné aux médicaments ou à la nourriture parte en trafics en tout genre.

Sarah Pacini, représentée par son responsable de la communication worldwide Pierre Denis. La griffe de mode fait aujourd'hui partie des boutiques phares de Bleecker Street.
Sarah Pacini, représentée par son responsable de la communication worldwide Pierre Denis. La griffe de mode fait aujourd’hui partie des boutiques phares de Bleecker Street.© Nick Kuskin

Last exit to Brooklyn

L’autre bonne idée, c’est cibler Brooklyn. Avec 2,5 millions d’habitants et plus de deux fois la surface de Manhattan, le district est moins sollicité. Dans le hall d’entrée de la maison communale, un antique drapeau étale la devise  » Eendracht maakt macht (l’union fait la force) « . Même s’il est attribué aux fondateurs hollandais, c’est bon signe pour les Bruxellois venus présenter leur projet. Le cas, par exemple, de John Beernaerts, créateur de Nemo 33,  » la piscine la plus profonde du monde « .  » Ce projet n’est rentable qu’à proximité d’une mégapole, d’une population importante. Bruxelles et Brooklyn ont cela en commun.  » Cerné par les autoroutes, le district semble aussi tout indiqué pour l’utilisation d’Eoxo2lit, le procédé dépolluant naturel de Product Service. Au terme de chacune des présentations, la réaction des fonctionnaires locaux est enthousiaste et pragmatique. Les cartes de visite circulent. Les yeux brillent. Pourquoi pas un Nemo 33 à Coney Island ? Une unité de production d’Eoxo2lit sur place ? Et l’arrivée de la course Bike for Africa au pont de Brooklyn, en octobre prochain ? C’est Christophe Allard, de Brussels Airlines, qui défend le dossier. Tous les trois ans, la fondation créée par Brussels Airlines organise cet événement de charité au profit de projets en Afrique.  » Une équipe neuve, féminine et dynamique aux commandes du commerce extérieur bruxellois, c’est une bonne nouvelle « , commente le responsable de la compagnie aérienne pour l’Amérique du Nord. Qui déplore la séparation des pouvoirs francophones, entre Visit Brussels, fédéral, etc.  » Les néerlandophones, eux, ont une sonnette unique : c’est Flanders House, et c’est extrêmement efficace.  »

Le maire de New York aime répéter que son programme « Construction exemplaire » est basé sur le nôtre

A propos d’efficacité, a-t-on une idée de celle de ce type d’initiative ? Le budget annuel prévu pour les actions de BIE est de 1 745 000 euros, plus les 300 000 venant des frais d’inscription versés par les entreprises. Un investissement qui vaut la peine ?  » Les résultats sont difficiles à évaluer « , reconnaît Isabelle Laverge, conseillère export au cabinet Jodogne. Parce que certaines entreprises exigent la confidentialité. Et parce qu’un contrat signé en 2017 peut découler de contacts plus anciens.  » Ça fait trois ans que je négocie avec le bureau de l’architecte Peter Marino pour le contrat de La Samaritaine à Paris « , explique Corinne Morleghem, qui vient justement de conclure. L’autre effet immédiat, c’est le networking.  » L’impact de ces missions est indirect « , relève Bruno de Veth chez JDS Architecte, l’un des sept bureaux associés sélectionnés à Bruxelles pour le futur musée d’art contemporain.  » En Iran, nous nous sommes rapprochés de Besix. Rencontrer des autorités locales ou les représentants belges dans les différents pays, c’est précieux. Ça s’appelle construire un réseau. On ne peut faire sans aujourd’hui.  »

D’après une étude de satisfaction menée par le BIE, 88 % des entreprises participantes sont satisfaites des missions de prospection commerciale. Content, tout le monde ? Presque.  » Il est temps de former les équipes à vendre les nouvelles technologies. De leur expliquer ce qu’est une fintech, ce qu’est le marketing digital « , insiste Gregory Cosma de Pyco Group. Depuis 1999, ses trois fondateurs bruxellois aident des sociétés comme Microsoft, Samsung ou L’Oréal à réussir leur transition digitale.  » Nous avons huit rendez-vous cette semaine, c’est la preuve qu’on est bon. Il faut des gens qui nous comprennent.  » Au BIE de réussir sa transition digitale…

Une mission économique, pour quoi faire ?

Désirée Guissard, managing director des bijoux Christa Reniers. Son idée : une implantation soft dans des concept stores américains. Pour elle, la mission économique, c’est « l’occasion de recueillir des infos, d’avoir des contacts locaux et de connaître les outils mis à disposition par la chambre de commerce ».

Corinne Morleghem, commerciale sur l’export chez Vervloet. Grâce à elle, les belles poignées de porte made in Brussels équiperont bientôt l’hôtel Cheval Blanc à Paris. Elle participe régulièrement aux missions économiques organisées par BIE : « Cool de suivre un programme bien ficelé et une équipe dynamique. »

Carine Gilson fabrique la lingerie la plus chère du monde dans son atelier d’Anderlecht. « S’installer à New York, c’est créer deux sociétés : une pour l’importation, l’autre pour vendre. Je suis venue chercher le mode d’emploi du business new-yorkais. » La créatrice s’est inscrite à Belcham, la chambre de commerce belgo-new-yorkaise.

Justin Davies et Frédéric de Gaiffier d’Hestroy, Product Service. Purifier l’air et les surfaces, c’est leur core business. Ils sont venus présenter leur procédé de photocatalyse, qui grignote la pollution en utilisant des process naturels (notamment certifié Unesco pour l’utilisation sur les bâtiments anciens) et qui a fait sensation dans une ville où la circulation salit les façades en permanence.

Faire du business à New York : le mode d’emploi

1. Affûter son projet

« New York est saturée en offres de tous types, explique la consule générale Cathy Buggenhout. Ne vous présentez qu’avec un projet de niche, où vous êtes sûr d’exceller. »

2. Préparer son pitch

« Ici, il ne suffit pas d’envoyer un mail pour faire des affaires. Expliquez pourquoi vous êtes différent, et insistez. Soyez bref : time is money. »

3. Être créatif

« Même en étant recommandé par le head of digital de L’Oréal Belgique, nous avons mis un an à obtenir un rendez-vous. La Belgique, c’est une miette », explique Gregory Cosma chez Pyco Group. On ne compte pas trop sur son réseau belge, il ne vaut rien ici. Ce qu’il faut, c’est être créatif. Tout le temps.

4. Être patient

« Il faut se donner deux ou trois saisons pour être rentable », souligne Pierre Denis chez Sarah Pacini, une autre success story bruxelloise avec, aujourd’hui, 59 boutiques dans le monde et quelques franchises. Sa fondatrice a vendu il y a dix ans. Elle aussi participait aux missions économiques.

5. Apprivoiser le marché

Par exemple, en recourant aux stagiaires BYEP pour réaliser une étude de marché et de faisabilité. Le Brussels Young Exporters Program forme de jeunes diplômés universitaires chercheurs d’emploi au commerce extérieur. Ils sont ensuite mis à disposition des entreprises bruxelloises à l’étranger, gratuitement. Leurs frais de voyage et de logement sont pris en charge par la Région.

6. Se faire aider

Belcham, la chambre de commerce belgo-américaine, peut servir d’adresse pour démarrer un business à New York ou à San Francisco. C’est un espace de coworking mais ses 81 collaborateurs fournissent des conseils précieux. Conditions d’inscription : prouver sa solidité financière et 10 employés en Belgique ou 20 en Europe. Loyer mensuel de 125 à 2 500 euros.

7. Rester belge

« Les Américains adorent ça », s’enthousiasme une jeune architecte. « Ils apprécient l’Europe en général, mais notre retenue, ce côté low key que les Français ou les Italiens n’ont pas, les impressionne. »

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