© Belga Image

Dans la peau de Michelle Martin

L’écrivaine flamande Kristien Hemmerechts revient sur l’affaire Dutroux en inventant le personnage d’ « Odette », alias Michelle Martin. Jusqu’où la littérature peut-elle s’affranchir de la réalité et, surtout, de la sensibilité de l’époque ?

Vieille de près de vingt ans, l’affaire Dutroux n’avait jamais inspiré une « fiction » avant La femme qui donnait à manger aux chiens (Galaade Editions), de Kristien Hemmerechts, dont Le Vif/L’Express publie des extraits en exclusivité cette semaine. Comment les lecteurs belges francophones vont-ils apprécier la traduction française de De vrouw die de honden eten gaf qui, lors de sa sortie, en janvier dernier, a fait scandale en Flandre ? Paul Marchal, le père d’An, une des victimes de Marc Dutroux, reproche à l’auteure – une personnalité très médiatique en Flandre – d’avoir pris la défense de Michelle Martin, en la rendant plus humaine. Y avait-il encore un délai de décence à respecter ? Interrogée par Le Vif/L’Express, Kristien Hemmerechts rétorque : « Tout devient vite tabou en Belgique. Voyez comment on a traité les événements de la Première et de la Seconde Guerre mondiale. Pendant des années, on ne pouvait pas en parler. Mais on ne résout rien en ne parlant pas de ce qui est pénible. »

Marc Dutroux, le Diable en personne, n’inspire pas les artistes. Michelle Martin, c’est très différent. Il y a un mystère Martin, dont le procès d’Arlon, en 2004, n’a pas réussi à faire sauter le code. Elle a la figure d’un ange (surtout quand on se remémore la longue liane blonde aux mains menottées du début de l’affaire), mère accomplie et institutrice de formation, et, en même temps, c’est l’épouse d’un personnage repoussant.

D’un seul coup de fil à la police, elle aurait pu délivrer Julie et Melissa. Et, de la sorte, épargner les enlèvements, viols et séquestrations ultérieurs de Sabine Dardenne et de Laetitia Delhez. Le sort d’An Marchal et d’Eefje Lambrecks était déjà scellé dans le sol du chalet de Jumet, comme celui de Bernard Weinstein, endormi au Rohypnol et enterré vivant à Sars-la-Buissière. Pourquoi Michelle Martin n’a-t-elle pas aidé ces autres elles-mêmes, ces fillettes et jeunes filles en péril ?

Hemmerechts a retissé l’univers de Martin, avec son style spécial : exalté, intellectuel et concret. Les coutures entre le vrai et le faux sont indiscernables, sauf dans les monologues ou les scènes de sexe. « C’était comme un puzzle, décrit-elle. Il me manquait une cinquantaine de pièces, alors j’ai essayé de faire des raccords plausibles en faisant en sorte que du bleu au rouge, la couleur intermédiaire soit cohérente avec le reste. Le grand défi, c’était de trouver les pièces manquantes, de trouver la réponse à la question qui taraude tout le monde : pourquoi a-t-elle laissé les enfants dans la cave, alors qu’elle allait nourrir les chiens qui se trouvaient dans la maison de Marcinelle ? Elle était vraiment dans le déni de la présence de Julie et de Melissa. Les deux chiens qui gardaient la maison, dans ses visions, allaient lui sauter à la figure, tout comme la réalité. Elle ne voulait rien avoir à faire avec tout cela. C’est une hypothèse, mais elle est plausible. »

L’auteure explore un terrain qui était indicible lors du procès : la nature du lien sexuel qui a pu être le moteur du couple criminel. « Au début, il y a eu de l’amour entre ces deux-là, décode l’auteure flamande. La seule chose qu’on ne peut pas expliquer entre deux personnes, c’est la sexualité. Il y a dû y avoir quelque chose de très fort, qui l’a plongée, elle, dans une sorte d’euphorie et lui a donné une forme de pouvoir. Même s’il courait après les femmes, il lui revenait toujours. Mais ce n’est qu’une hypothèse. Ce n’est qu’un personnage… »

Dans Le Vif/L’Express de cette semaine, l’article intégral et le dossier. Avec :

les extraits du livre l’interview de Sarah Pollet, l’ancienne avocate de Michelle Martin

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire