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D’Elisabeth à Fabiola, le deuil de la Belgique de papa

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Ni allocution radio-TV du Premier ministre, ni édition spéciale du Moniteur, ni jour de congé pour les fonctionnaires et les écoles, ni ministres vêtus de noir et privés de réjouissances publiques durant un mois de deuil. Comment, d’Elisabeth en 1965 à Fabiola en 2014, l’ultime hommage rendu à la veuve d’un roi est passé de la majesté à la sobriété.

La reine Fabiola n’est plus, mais comment prendre congé de la veuve d’un roi et rendre un hommage digne de ce nom à une « grande Dame »? Cas de figure peu banal, sans être totalement insolite. Un précédent a épargné aux autorités l’angoisse de la feuille blanche. La Belgique a déjà enterré « une reine pensionnée », Elisabeth, veuve du roi Albert Ier, décédée le 23 novembre 1965. C’était il y a un demi-siècle. Un bail. Une éternité.

Il suffisait donc d’exhumer le « mode d’emploi » enfoui dans les archives de la chancellerie du Premier ministre : deux PV de séances du conseil des ministres consacrées à organiser les funérailles de la veuve du Roi-Chevalier.

A leur lecture, la chose saute aux yeux : le gouvernement Harmel (chrétien-socialiste) de l’époque n’a rien voulu négliger pour donner à l’événement toute la solennité requise.

  • Proclamation au pays sera insérée dans une édition spéciale du Moniteur, pour saluer la mémoire d’ « une très grande Dame qui s’est trouvée aux côtés du Roi Albert pour partager les luttes héroïques de la Nation. »
  • Allocution à la radio et à la télévision du Premier ministre, qui s’adressera aux Belges dès le lendemain du décès.
  • Hommage de la Chambre et du Sénat, convoqués séparément en séance spéciale deux jours après la disparition de la reine, pour entendre l’éloge funèbre des présidents d’assemblée et du gouvernement, avant d’ajourner les travaux parlementaires.
  • Quatre jours de deuil national.
  • Un mois de deuil de Cour, comme l’a prescrit le Roi Baudouin. La consigne à observer en pareilles circonstances, jusqu’au 22 décembre, est actée au PV du conseil des ministres : « pendant cette période, les Membres du Gouvernement sont priés de s’abstenir d’assister à toute manifestation telle que gala, soirée dansante ou théâtrale. » Dîners officiels, cocktails et autres réceptions de ce genre seront à fréquenter avec la plus grande modération : aux ministres « à apprécier si leur présence pourrait être requise par les intérêts qu’ils représentent. » Si tel est le cas, « quel que soit le caractère de la solennité, il convient de s’y rendre en vêtements noirs. »
  • Un demi-jour de congé est octroyé aux agents de l’Etat le matin des funérailles. Et « pour les agents dont le service ne peut pas être suspendu, un demi-jour de congé compensatoire sera accordé. »
  • Permission est donnée aux écoles de tous les réseaux, de se mettre en congé le jour de l’enterrement de la reine.

Le menu est copieux. Il a pris un coup de vieux. S’en inspirer, soit. Mais la piste du simple « copié-collé » est à oublier. Le gouvernement fédéral, en concertation avec le Palais royal, opte sans hésiter pour une formule ramassée, conforme aux dernières volontés de la défunte elle-même.

L’ hommage sera digne mais empreint de sobriété. Il se déclinera en un deuil national de sept jours, clôturé par des funérailles nationales ce vendredi. Ce n’est pas rien, « c’est même exceptionnel », insiste l’historien Vincent Dujardin (UCL.) C’est tout de même plus d’un cran en dessous du dispositif déployé il y a cinquante ans auparavant.

Ce vendredi, jour de l’enterrement, les fonctionnaires seront au boulot, profs et élèves en classe. Pas de proclamation gouvernementale insérée dans un Moniteur spécial. Pas de deuil de Cour ni de ministres en habit noir durant un mois.

L’enterrement de la reine Fabiola, c’est aussi celui des derniers restes de la Belgique de papa.

Pas de Charles Michel qui s’invite dans les foyers belges à une heure de grande écoute pour s’adresser gravement à la nation, mais un Premier ministre qui y est allé d’une courte allocution devant la presse, à l’issue du conseil des ministres qui a fixé la marche à suivre.

Plus de Parlement spécialement convoqué pour une séance d’hommage, mais un éloge funèbre ce jeudi en début de séance ordinaire, prononcé par le vice-premier Kris Peeters au nom du gouvernement (Charles Michel sera absent pour raisons familiales) et le président de la Chambre, le… N-VA Siegfried Bracke. Avant que les députés fédéraux ne passent sans transition à l’ordre du jour.

On ne respecte plus rien, les bonnes manières se perdent, se chagrineront certains. Il faut bien vivre avec son temps, rétorquera l’immense majorité.

Le Royaume ne s’arrêtera pas de tourner, de gouverner ou de contester, pour pleurer longuement la disparition d’une reine retirée depuis 21 ans et qui d’ailleurs n’a jamais eu l’aura de la « Reine Infirmière » que fut Elisabeth sur le front de l’Yser durant la Grande Guerre.

La société n’est plus prête à s’accommoder de tout un cérémonial d’un autre âge, d’une étiquette vestimentaire dépassée, d’une pompe surannée. La monarchie est descendue de son piédestal. Et si le peuple lui-même ne pousse plus à la consommation…

« 50 ans séparent les funérailles d’Elisabeth et de Fabiola, soit deux générations. L’évolution sociétale est énorme. La Belgique n’est pas non plus l’Angleterre, où le cérémonial et le rituel qui entourent la monarchie sont inamovibles », relève Pierre-Yves Monette, ancien conseiller au Palais royal.

1965-2014, la Belgique vit sur un autre planète. Où l’on conçoit mal que fonctionnaires ( fédéraux et/ou régionaux ?), enseignants et écoliers (francophones et/ou néerlandophones ? ) obtiennent congé pour cause de funérailles nationales. Où l’on n’ose plus imaginer d’ imposer à des ministres fédéraux, N-VA désormais compris, d’observer un deuil de Cour durant un mois, de passer ainsi le cap des fêtes de fin d’année en habit noir, sevrés de « galas, soirées dansantes ou théâtrales », alors que leurs collègues des entités fédérés resteraient libres de s’en donner à coeur joie.

Comment d’ailleurs infliger pareille épreuve aux représentants du premier parti de Flandre et de Belgique, séparatiste et républicain, sans en faire un casus belli ? Dans une Belgique (con)fédérale, on n’est plus sûr de rien. Multiplier les manifestations d’hommage, c’ est accroître les risques de faux pas, de possibles dérapages politico-communautaires.

L’enterrement de la reine Fabiola, c’est aussi celui des derniers restes de la Belgique de papa.

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