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Cumul des mandats : bientôt la fin de l’exception wallonne ?

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

De plus en plus de députés wallons, surtout socialistes mais pas seulement, veulent revoir la limitation, qui n’existe qu’en Wallonie, du cumul des mandats de député et d’échevin ou de bourgmestre. Ils mettront la question à l’ordre du jour de la commission spéciale de renouveau démocratique.

C’est une révolte sans nom, une jacquerie politique encore silencieuse, que mènent au parlement wallon de nombreux députés de la majorité PS-CDH. Ils sont au moins une grosse vingtaine à vouloir revenir sur certaines dispositions du décret décumul. Arraché par les écologistes sous la précédente législature wallonne, il empêche aux trois quarts des parlementaires de chaque groupe politique – ceux dont le taux de pénétration électorale est le plus faible – d’exercer un mandat exécutif local. « Nous sommes plusieurs en effet à demander une discussion sur certains aspects de ce texte, pour le rendre plus efficace et plus cohérent », explique ainsi Jean-Marc Dupont, député à Namur et bourgmestre à Frameries. Ces aspects sont connus depuis l’adoption de la législation et les tumultueux débats qui y ont mené. Ils vont de la critique de sincérité au reproche de l’isolement. La Wallonie, en effet, est seule à s’être engagée sur ce chemin. « Ni en Belgique, où aucun des autres parlements n’a pris des dispositions, ni à l’étranger, comme en France ou en Allemagne, on a ainsi attaqué cette figure du député-bourgmestre », souligne Dimitri Legasse, bourgmestre à Rebecq et député à Namur. Et les accommodements, de l’autorisation du cumul pour certains à la délégation de fonctions mayorales à un échevin délégué, relèveraient du « façadisme et de l’hypocrisie », insiste le même. D’ailleurs, ajoute l’échevin empêché andennois Vincent Sampaoli, « la plupart des parlementaires wallons espérait que la Cour constitutionnelle casse le texte sur ces bases ».

En outre, sans modification du décret, le scrutin de 2018 pourrait mener à des situations absurdes. Après 2018 en effet, il ne sera plus possible pour un mandataire local de se déclarer « empêché » : l’incompatibilité entre les mandats sera absolue. Face à cette alternative sans moyen terme, certains députés choisiront leur maroquin communal. Ils devront en conséquence abandonner définitivement leur siège de parlementaire. Leurs suppléants pourraient en faire de même. « On se retrouverait alors sans personne pour siéger au parlement pour les derniers mois de la législature », pronostique un socialiste carolorégien. Les plus petites circonscriptions, celles de Thuin et du Luxembourg par exemple, seraient concernées. Voilà pourquoi certains dans le groupe socialiste mais pas seulement pensent voir s’ouvrir une fenêtre d’opportunité pour « avoir la peau de ce décret scélérat », indique un cabinettard wallon.

L’ouverture, pourtant, est toute relative. Car les dirigeants socialistes (« dont aucun n’est concerné par ces interdictions de cumuler, quoiqu’ils cumulent beaucoup eux-mêmes », relève méchamment un Wallon) savent combien un retour en arrière serait politiquement désastreux. « Elio dit que les militants ne l’accepteraient pas, et Paul que ça donnerait un nouvel argument au MR pour nous présenter comme le rois de la mauvaise gouvernance », résume un député hennuyer. Présidence du PS et institutions wallonnes ne pourront pourtant pas faire semblant de rien. « Le parti n’éludera pas ces question : les fédérations sont chargées de lancer des débats sur ces sujets de gouvernance et de renouveau démocratique, sur les mandats et sur les cumuls, et nous verrons ce qu’il en ressortira », indique le Montois Nicolas Martin, échevin, député, et président de la fédération de Mons-Borinage. Et le ministre Paul Furlan, en charge des Affaires locales, bourgmestre empêché de Thuin, adversaire à titre personnel de la limitation du cumul, mais bon soldat du parti et politique madré, fait observer que l’accord de gouvernement ne prévoit pas de remise en cause du décret… mais qu’il ne s’empêchera pas de prendre en considération une initiative parlementaire qui irait dans ce sens.

C’est ce qu’espèrent les frondeurs du cumul. Mais ils savent qu’une initiative trop franche en faveur du cumul des mandats serait suicidaire. « Le premier qui tirera se grillera. Mais chacun n’attend que ça, y compris au MR et au CDH », résume l’un d’entre eux. « Pas question de sacrifier un kamikaze, même un vieux briscard en fin de carrière », ajoute un autre. Leur stratégie, donc, est prudente. Elle repose sur deux piliers.

Mouiller les autres partis

D’abord, il leur faudra s’allier à des députés d’autres formations politiques. « Le PS ne va pas porter cette revendication, les autres partis non plus. Mais au CDH comme au MR, il y a une vraie demande pour revenir sur le décret. Une proposition tripartite aurait du sens, parce qu’elle montrerait que la revendication est largement partagée, et on en parle beaucoup entre nous », estime un député. « On suppose qu’aucun écologiste ne soutiendra cette initiative, mais que des mandataires de trois des quatre grands partis s’associent pour la cause lui donnerait une légitimité », complète, gentiment ironique, Dimitri Legasse. Celui-ci est vice-président de la commission spéciale du parlement de Wallonie pour le Renouveau démocratique, installée tout récemment pour réconcilier le monde politique avec les aspirations citoyennes. On y parlera de démocratie directe, de limitation des rémunérations et de conflits d’intérêts. Notamment. Car Dimitri Legasse, qui se réjouit que « beaucoup de membres de cette commission partagent notre point de vue », la voit comme « l’endroit idéal pour réfléchir à cette question du cumul ». Aucune proposition réformant le décret sur le cumul n’a encore été mise à son ordre du jour. « Mais cela viendra en son temps », annonce, confiant, le député-bourgmestre de Rebecq.

Les deux autres formations concernées sont elles aussi divisées sur la question. « Il y en a, chez nous, que ça tente », explique un CDH, citant notamment Véronique Salvi ou Dimitri Fourny. « Mais est-ce que Benoît Lutgen va prendre le risque de les appuyer ? », s’interroge-t-il. Le président du CDH, justement, souhaite « que les règles soient les mêmes partout, dans toutes les assemblées de Belgique, parce que les citoyens n’y comprennent rien ». Mais il a peu de chances de convaincre les gouvernements fédéral et flamand de limiter ces cumuls-là… Dans l’opposition, le MR « ne va pas se mouiller pour ces socialistes qui gémissent », lance le bourgmestre de Frasnes-lez-Anvaing, Jean-Luc Crucke. « Pas question que les libéraux viennent en renfort », continue-t-il. Ce décret, on n’en voulait pas, mais on en assumera les conséquences. »

Limiter le cumul financier

Ensuite, il s’agira de compenser ce retour du cumul par des dispositions plus strictes en matière d’éthique politique. Bruno Lefèbvre, bourgmestre de Chièvres, suggère par exemple que les émoluments des cumulards soient limités au montant de l’indemnité parlementaire, contre 150% actuellement. « Nous devons prouver que notre engagement politique est désintéressé. Ce qui pose des problèmes à la population, ce n’est pas que l’on cumule des mandats, mais bien que l’on cumule des rémunérations », précise-t-il. D’autres, comme l’Esneutoise Christie Morreale, évoquent une limitation des mandats privés et/ou non électifs. « ça, ça risque d’en énerver plus d’un, et des gens bien plus influents que le député-bourgmestre d’un petit patelin… », avance un autre frondeur. Il sait qu’en politique, il faut souvent avancer beaucoup pour pouvoir reculer un peu.

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