Carte blanche

Critique inactuelle de « l’idéologie écologiste »

L’idéologie écologiste fait assurément consensus. Toute critique, même timide, à son égard, constitue donc une réelle hérésie. Les bûchers n’existant heureusement plus, nous prendrons, du coup, le risque de la critiquer.

Aujourd’hui, des ouvriers aux patrons, des chômeurs aux retraités, des militants de l’extrême gauche à ceux d’extrême droite ou des élèves de maternelle à ceux de l’université, tout le monde l’est : écologiste. Chacun trie en effet, soigneusement, ses déchets ménagers afin que ceux-ci soient recyclés; prend son sac « biodégradable » pour faire ses courses; mange ou rêve à manger « bio » ou « végan »; pense aux transports en commun, au vélo ou à la trottinette électrique pour se déplacer en ville; projette même de s’acheter une voiture électrique; est contre les centrales nucléaires; est contre la pollution; est pour les énergies renouvelables; isole son habitation pour éviter toute déperdition énergétique; envisage, une fois mort, son humusation… . L’idéologie écologiste fait assurément consensus. Toute critique, même timide, à son égard, constitue donc une réelle hérésie. Les bûchers n’existant heureusement plus, nous prendrons, du coup, le risque de la critiquer. Et la critiquer non pas par pur caprice, mais du fait qu’elle s’accompagne, à nos yeux : 1/ d’un déni radical de l’exclusion sociale; 2/ d’une légitimation/renforcement du Technocapitalisme existant dont cette idéologie, pourtant, ne cesse de se plaindre et 3/ d’une vision de l’Homme réellement nihiliste.

Que l’on comprenne bien que notre critique va donc porter non pas sur le(s) parti(s) politique(s) dits « écolos », mais sur l’idéologie écologiste, désormais, généralisée.

Notre critique de l’idéologie écologiste comporte quatre volets – loin d’être exhaustif.

Premier volet. L’idéologie écologiste part du principe que tous les êtres humains – du moins, d’une certaine contrée territoriale – ne se soucieraient plus de la satisfaction de leurs besoins les plus immédiats : se loger, se nourrir, se chauffer, s’habiller ou se soigner. À ses yeux, ces humains disposeraient donc de suffisamment de revenu que pour être écologistes. Or même si la réalité sociale, aux injustices et inégalités persistantes, ne cesse pas de lui donner continuellement tort, force est de constater que l’idéologie écologiste est devenue, malgré tout, hégémonique. Le pauvre, cet être sans le sou, est, aujourd’hui, en effet politiquement, médiatiquement et socialement sommé, donc contraint, de jouer au riche, soit donc d’être écologiste. Un pauvre peut ainsi vivre dans la misère sociale la plus crue, loger dans un taudis, payer un loyer qui phagocyte l’ensemble de son allocation de chômage ou être déprimé de ne pas pouvoir assumer les diverses charges financières du ménage, l’essentiel consiste donc à ce qu’il soit et demeure avant tout écologiste ! L’idéologie écologiste constitue donc une réelle dénégation, voire mépris, à l’égard des êtres qui souffrent encore et en-corps de leurs misérables conditions financières et donc matérielles d’existence. Et certains affidés de cette idéologie, on le sait, vont même jusqu’à reprocher aux pauvres, qui luttent contre certaines augmentations liées à la préservation de l’environnement, d’être de « purs égoïstes » !

Dit en passant, une réelle conciliation entre démocratie et écologie est donc sous condition d’un Tous riches ! Et puisque cette condition est très loin d’être remplie, nous avons droit, aujourd’hui, à des horreurs écologistes insoutenables telles que celle-ci : des politiques soucieux de faire, par exemple, la promotion du Good food, alors que des êtres meurent, quasi au seuil de leur porte, de froid ou de faim ! C’est ignoble !….

Second volet. L’idéologie écologiste exige, au sein même de l’actuel discours qui désormais structure et régit l’entièreté de la planète, celui du Technocapitalisme, « un respect de la Nature« . Or, outre les injustices et inégalités sociales iniques qui l’accompagnent et dont nos écologistes ne veulent donc rien savoir, le propre du Technocapitalisme consiste, précisément, à bafouer sans cesse la Nature non seulement en exploitant/consumant sans cesse toutes ses richesses, mais aussi en la transformant en pur égout ou en déchetterie. C’est que le Technocapitalisme, c’est son essence, ne vit en effet que par les déchets, qu’en peuplant (polluant) le monde d’une pluie abondante et incessante d’objets à l’obsolescence ou poubellication programmée et de plus en plus accélérée. Il suffit, en ce sens, de se rendre dans les déchetteries ou de regarder l’amoncellement des sacs poubelles dans les rues pour comprendre à quel point la production des déchets, à l’heure même de l’idéologie écologiste, n’a jamais été aussi élevée qu’aujourd’hui. Mais pas seulement ! À côté des petites, moyennes ou grandes villes belges qui font de plus en plus de leur périphérie verte des zones commerciales, donc des zones grises, il y a aussi ces objets écologistes qui pullulent dans nos campagnes : les éoliennes. Celles-ci réduisent des paysages, hier encore, « naturels » et somptueux en paysages « techniques » et monstrueux. Bref, l’idéologie écologiste non seulement demande l’impossible : un Technocapitalisme délesté de ce qui le définit, soit le Déchet, mais aussi, et paradoxalement, étend le désastre technocapitaliste en maculant la Nature – déjà saccagée – d’objets techniques dits « écologistes ».

L’idéologie écologiste trahit une version erronée et dégradante de l’Homme. À l’entendre, il n’y aurait aucune différence entre un chat et l’Homme. Est-ce si sûr ?

Troisième volet. Bien loin de critiquer la vision rabougrissante du monde du Technocapitalisme pour qui donc la Nature est uniquement synonyme de « fonds disponibles« , l’idéologie écologiste, en vérité, l’adopte ! Qu’est-ce en effet qu’une éolienne ou un panneau solaire ? Des objets techniques qui exploitent l’énergie du vent (cas de l’éolienne) ou du soleil (cas du panneau solaire) pour en faire de l’électricité. La supposée Nature est donc, ici aussi, réduite à des fonds énergétiques. Le vent de l’éolienne n’est assurément pas, par exemple, « le vent » tel que le chante Jacques Brel : « Quand le vent est au rire /quand le vent est au blé/quand le vent est au sud/écoutez-le chanter/Le plat pays qui est le mien. ». Entre le vent énergétique de l’éolienne et « le vent » poétique de Brel, il y a assurément un abîme que seuls les sots ne voient pas. Soyons encore plus précis : alors que le vent de l’éolienne est requis de livrer son « pourquoi ?« , « le vent » brellien, lui, est « sans raison« , contemplé et laissé à son être. Prenons un autre exemple. À l’instar des voitures dont les incessants progrès techniques trahissent l’obscure confiance désormais accordée à la Technique plutôt qu’à l’Homme (Un homme conduit par la Technique plutôt que la Technique conduite par un homme!), les habitations d’aujourd’hui deviennent, elles aussi, assujetties au règne de la Technique au point, comme on le sait, que chaque habitation se doit non seulement d’être désormais dotée d’un Certificat énergétique (PEB), mais aussi de répondre à des « normes » strictes (Code du Logement). Pour ne prendre que l’exemple du PEB, on voit que nos « experts » écologistes ne voient dans l’habitation qu’une marchandise (pareille à un frigo !) à très forte (label « A ») ou très basse (label « G ») « économie énergétique ». L’habitation se doit ainsi d’être machinée par l’idéologie écologiste. Celle-ci pense donc savoir ce qu’habiter veut dire. Or il n’en est rien ! Si « l’Homme habite en poète » (Holderlin), entre Ciel et Terre, ce n’est pas seulement pour se protéger du temps qu’il fait dehors (en réalisant ou non des économies énergétiques), c’est que l’habitation constitue aussi, voire surtout, pour lui cet « espace-temps » du dedans où il lui est enfin loisible de cultiver son « jardin secret » (désir, amour, pensées, lecture, écriture…) en se délestant du faix des divers « despotismes de l’utile » (politique, social, économique ou écologiste) qui l’accablent, corps et esprit, au dehors. Dans « la machine à habiter » des experts écologistes, dirait encore J. Brel, on passe assurément son temps – à l’instar du Technocapitalisme – à « compter » ou à « calculer », et non pas à penser, méditer ou, tout bonnement, à se reposer. Bref, l’habitation (ou la Nature) à la sauce écologiste, c’est le Technocapitalisme continué par d’autres moyens.

Enfin et surtout, quatrième volet. L’idéologie écologiste trahit une version erronée et réellement dégradante de l’Homme. L’Homme ne serait, en effet, pour elle qu’une « créature vivante parmi d’autres ». À l’entendre, il n’y aurait ainsi aucune espèce de différence entre un chat – désormais reconnu, par la grâce même de cette idéologie, comme « être sensible » – et l’Homme. Est-ce si sûr ?

Contrairement à l’Animal, l’Homme habite la Maison de la Parole. Cette habitation fait de lui un être ou un corps parlant. Et la Parole n’est assurément pas ce qu’on prétend qu’elle est : un moyen de communication ou d’expression. Le mot « moyen » sous-entend en effet que la Parole ne serait qu’une « boîte à mots » dans laquelle l’Homme puiserait les mots pour se faire entendre et comprendre de l’autre (interlocuteur). L’Homme se tiendrait ainsi, comme un pilote en son navire, derrière les mots. Or l’être de l’Homme est dans les mots et passe par les mots. Les mots « politique », « religion », « racisme » ou « gâteau », par exemple, bien loin d’être comme des « objets » qui se tiendraient en face de lui (et qu’il aurait ainsi à portée de main), réveillent bien plutôt dans son corps des affects (tristes ou joyeux). Et un affect ne témoigne de rien d’autre que de ceci : la percussion ou le choc des mots (hérités de l’Autre) sur le corps de l’Homme. Ainsi, chez Spinoza, « [l]’affect exprime […] ou incarne exactement la nature de l’homme : il est l’unité indissociable de ces deux aspects de sa réalité, le corps et l’esprit. »1 La Parole est donc créatrice d’affects en l’Homme. Dit autrement, le Corps de l’Homme est un Corps de paroles, donc d’affects.

Dire que l’Homme habite la Maison de la Parole, c’est dire aussi ceci : L’Homme n’a d’accès à la Nature que médiatisé ou parasité par la Parole. Et si la Parole, comme nous allons le voir, ne parle qu’en tant qu’un manque la régit, alors le rapport entre l’Homme et la Nature est clair : Il n’y a de Nature pour l’Homme qu’incomplète ou en défaut. Mais en défaut de quoi ? En défaut d’un Objet sur lequel la Parole elle-même se fonde et qu’elle ne cesse pas de vouloir retrouver.

La Parole engendre le Désir. Parler, c’est désirer. Mais désirer quoi ? Désirer cet impossible : l’Objet perdu sur lequel donc se fonde la Parole elle-même. En d’autres mots, point de Parole ou de Désir sans manque. Donc, pour l’Homme, point de Nature sans manque. En tant qu’elle est ainsi contaminée par la Parole, le Désir ou le Manque, la Nature, au sens strict, n’existe pas pour l’Homme. Dit autrement, contrairement à l’Animal, il n’y a aucun « rapport oblatif » de l’Homme avec la Nature. Si l’Homme a en effet introduit dans la Nature des choses qui n’y étaient pas, c’est que cette Nature ne lui convenait pas, souffrait de défaillances. Les premiers hommes à avoir ainsi « souillé » la Nature ne sont autres que ceux qui s’autorisèrent à transformer des parois de grottes en tableaux ! Au lieu de faire comme les autres animaux qui laissent la Nature en paix et se contentent de ce qu’elle leur donne, voilà en effet des humains qui, eux, la maculèrent – dieu seul sait pourquoi ! – par des dessins fabuleux de scènes de chasses (Grottes de Lascaux) !… Ensuite, d’autres hommes trouvèrent utile – quelle idée! – d’élever des habitations, ensuite, des villes…!

Alors même que la Nature est ce qu’elle est et qu’elle ne manque de rien, au regard de l’Homme, la Nature a donc toujours été trouée par le Manque. Sans ce Manque, l’émergence du Technocapitalisme serait totalement incompréhensible. Mais tout aussi bien, l’élévation des maisons, des ponts, des parcs, des musées, des administrations, des écoles, des savoirs…, bref des civilisations. Point de civilisation sans Manque. Le Manque est assurément consubstantiel à toute civilisation. Prenons un seul et unique exemple : Le Pouvoir politique. Sans le manque de justice ou d’égalité ou encore les tensions sociales qui trahissent certaines inégalités dans la répartition des biens (biens susceptibles de satisfaire le manque), point de Pouvoir politique. Le manque est donc l’essence de la Politique. Il suffit d’entendre « les promesses électorales » pour comprendre à quel point nos manques constituent leurs tremplins. Mais, à nouveau, ces manques dont nous nous plaignons et qui en appellent – en tant que manques – à des objets, forment des réponses au Manque, lui, sans objet.

Concluons. Déni de l’exclusion sociale, adoption et renforcement de la vision Technocapitaliste du monde et de ses désastres et enfin oubli de la spécificité de l’Homme, l’idéologie écologiste brille, incontestablement, par divers aveuglements. Une solidarité inconditionnelle avec les exclus lui ferait ainsi comprendre qu’avant de porter atteinte à la Nature ou au Climat, le Technocapitalisme saccage, d’abord, des êtres humains. Et le retour à la spécificité humaine, lui, lui révélerait que le Manque 1/ spécifie l’Homme; 2/ est, à outrance, exploité et aspiré par le Technocapitalisme (exploitation/aspiration lourdes de désastres planétaires obscurs) et 3/ est porteur d’une poésie où la Nature loin d’être réduite à des « fonds disponibles », est plutôt perçue et entendue comme l’écho nostalgique de l’exil de l’Homme de Son champ (Nature).

Par Ben Merieme Mohamed, assistant social et philosophe

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