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Crise politique : l’agenda caché des présidents de parti

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

De retour de vacances, les présidents des partis francophones n’ont pas mis un terme à la crise politique. Au contraire : ils s’y sont enfoncés, si bien qu’après le changement de majorité en Wallonie, la Région bruxelloise et la Fédération Wallonie-Bruxelles pourraient bien, elles, laisser en place les gouvernements actuels. Revue des rapports de force.

Le CDH est pour l’instant puni

Coincé par Ecolo, un peu, et par DéFI, surtout, à la Fédération Wallonie-Bruxelles et à la Région de Bruxelles- Capitale, Benoît Lutgen a installé son parti dans un paradoxe permanent. Depuis le 19 juin dernier, il ne veut plus gouverner avec les socialistes, mais ne quitte pas les gouvernements de coalition avec des socialistes, et dit vouloir parler de fond mais refuse de parler de fond. C’est que le fond dont on pourrait parler, c’est ce que son parti, le CDH, porte depuis quinze ans dans des gouvernements qu’il ne veut pas quitter, et qu’il refuse d’en parler avec le partenaire des gouvernements en question. C’est aussi que les exigences de fond d’Olivier Maingain, notamment sur le survol de Bruxelles, lui sont inacceptables. Pas parce qu’elles le choquent intrinsèquement, mais parce que le MR ne peut pas les accepter. Sa seule possibilité de se décoincer, Benoît Lutgen l’exploite avec une énergie dont profite également le MR. Elle consiste à attribuer la responsabilité du blocage bruxellois et francophone à Olivier Maingain et à DéFI. Mais ici encore, Benoît Lutgen et son parti sont mal placés pour dénoncer un adversaire  » scotché  » au Parti socialiste. Divisé entre Bruxellois et Wallons, grevé par les inquiétudes personnelles de ministres cul entre deux chaises, le salut de l’héritier du PSC dépendra, pour partie, de la popularité de son président, que l’on testera aux prochains sondages. Ils seront, pour le patient orange, un salutaire électrochoc ou une fatale décharge. En les attendant, le CDH est à la cohérence politique ce que le vomi d’un lendemain de carnaval est à la ligne claire : un machin un peu solide et très liquide, avec des petits morceaux d’orange, menacé de disparition à la première pluie.

Le MR est pour l’instant comblé

Olivier Chastel s'amuse avec Benoît Lutgen. Et un peu de lui aussi.
Olivier Chastel s’amuse avec Benoît Lutgen. Et un peu de lui aussi.© Dannty Gys/Reporters

Olivier Chastel encore plus. D’abord, il a pu éviter d’emménager à l’Elysette, et ce n’est pas rien. Ce n’est pas rien parce que c’est ce que souhaitait Charles Michel, et que c’est ce que redoutait le Carolorégien, absorbé comme il l’est par la gestion quotidienne du parti. Mais ensuite, et surtout, le MR baigne dans une absolue félicité que les équilibres politiques sont appelés à prolonger. L’axe formé avec le CDH n’en est pas un : il n’oblige que Benoît Lutgen. Car les réformateurs, plus légitimes que jamais pour taper dur sur le grand méchant rouge, se savent incontournables au fédéral, avec ou sans la N-VA, et difficilement expulsables des Régions dès lors que le PS n’aura presque pas ou plus du tout de partenaire à sa gauche – le PTB ne veut pas – ni à sa droite – le CDH ne veut plus. Les bleus peuvent donc se mettre à leur aise : tout le monde, même les rouges, aura besoin d’eux. Entre deux bouffées satisfaites de havane, les pieds sur son bureau, à Namur, à Bruxelles, à la Toison d’Or, au 16, partout, chaque libéral peut gémir sans se retenir. Il s’affichera s’il le veut et sans conséquence avec les Flamands les plus polémiques. Mardi, Pierre-Yves Jeholet présentait d’ailleurs un projet sur les demandeurs d’asile et d’emploi avec Theo Francken. Olivier Chastel pourrait, peut-être, mettre Olivier Maingain en difficulté par rapport à la Fédération Wallonie-Bruxelles, puis par ricochet, à la Région Bruxelloise. Mais y a-t-il vraiment intérêt ? A Bruxelles, certainement pas : une sainte trinité majoritaire MR-CDH-DéFI, aspirant à la meilleure gouvernance de l’univers, ne tiendrait qu’à un seul siège francophone. Celui d’Armand De Decker. Et il faudrait assumer les inévitables tensions bruxello- fédérales sur le survol de Bruxelles. Le tout pour sortir Benoît Lutgen du noeud politique qui lui ceint si bien le cou. Olivier Chastel a donc eu raison de ne pas entrer dans le jeu d’Ecolo, puis d’Olivier Maingain. Il n’aurait eu que des ennuis à y gagner.

DéFI est pour l’instant ravi

Regardez-le bien. Il gagne, il cligne de l’oeil gauche, il gagne encore, il cligne de l’oeil gauche, il gagne enfin, il cligne de l’oeil gauche. Olivier Maingain est un sémaphore de bonheur. Il a mis les formes à parler de fond, en réclamant mille et une merveilles sur la gouvernance en juillet, puis la fin du décret inscriptions et un plan de survol silencieux en août. S’il obtient l’annulation du décret inscriptions, il sera le héros de cet électorat très Bruxello-pouet-pouet qui refuse toute contrainte à la liberté du père de famille en matière d’enseignement. S’il obtient un plan de dispersion des vols favorable aux Bruxellois, il sera le héros de cet électorat très migraineux qui, à bout de souffle et en bout de piste, ne dort plus. S’il n’obtient pas l’un ou pas l’autre, ce sera la faute de Benoît Lutgen, dont une bonne partie de l’électorat blanc-bleu a déjà rejoint DéFI. Voire la faute du MR, qu’Olivier Maingain continuera pour l’occasion à taxer de capitulation devant la puissance flamande et de mise à bas de la liberté d’enseignement. Bref, à Woluwe-Saint-Lambert, c’est bonheur au village. Et son éternel bourgmestre aurait tort de cesser d’en profiter. Il est en position de continuer à poser d’importantes exigences de fond. Il aura l’appui du PS en général, de sa fédération bruxelloise en particulier, et de Laurette Onkelinx en long et en large. Car dans la capitale ce n’est pas le petit qui est scotché au gros, mais le gros qui se colle au petit.

Olivier Maingain a posé ses conditions. Le PS était prêt à les accepter. Mais le MR et le CDH ne les accepteraient pas si le PS les acceptait.
Olivier Maingain a posé ses conditions. Le PS était prêt à les accepter. Mais le MR et le CDH ne les accepteraient pas si le PS les acceptait. © BENOIT DOPPAGNE/belgaimage

Le PS est pour l’instant scotché

En effet. Elio Di Rupo a déjà perdu beaucoup, presque tout. Le fédéral dont il était Premier ministre, bien sûr. Et puis aujourd’hui la Région wallonne dont son parti était quasiment propriétaire. Il ne lui reste que Bruxelles et la Fédération Wallonie-Bruxelles, auxquelles il s’accroche tant qu’il les en étranglerait. Ce n’est pas qu’un réflexe : il a assis sa légitimité de  » nouveau  » président de parti, après les élections de 2014, sur ces participations gouvernementales, garantes de la paix interne. Il faut donc s’accrocher. Très fort, et avant tout à DéFI et à Olivier Maingain. Tout leur promettre et tout leur donner. Il colle donc à DéFI et à Ecolo, en particulier sur les enjeux de gouvernance. Et espère obtenir de ces deux partis, légitimes sur ces questions, un brevet de moralité politique. Paradoxalement, en s’engageant à des réformes là où il le peut encore, alors même qu’il ne l’a pas fait là où il le pouvait, le Parti socialiste pourrait se racheter un petit, tout petit, morceau de virginité. Le problème, dont Olivier Maingain est si conscient qu’il s’en délecte, c’est que certaines des réformes que le PS devra avaler pour survivre touchent à autre chose que la si consensuelle bonne gouvernance. Dans le monde enseignant, public surtout, en tout cas dans celui, tout sauf négligeable électoralement, qui se sent socialiste, on ne réclame pas moins de contraintes pour les parents, mais davantage. Or, Laurette Onkelinx est accourue comme Olivier Maingain a sifflé, piégée. L’autre piège à éviter est de concentrer sa rancoeur et surtout ses attaques contre le CDH. Ménager la droite n’a jamais apporté une voix au Parti socialiste. Pourtant, lorsqu’Elio Di Rupo, Paul Magnette et Jean-Claude Marcourt disent qu’au fond une nouvelle coalition de centre-droit fait la même chose que leurs anciennes majorités de centre-gauche – la déloyauté orange en plus – ils s’autoincriminent de capitulation devant les forces de l’argent : le PTB n’a même plus besoin de le dire lui-même.

Les nouvelles conquêtes d'Elio Di Rupo passent par un scotchage à DéFI.
Les nouvelles conquêtes d’Elio Di Rupo passent par un scotchage à DéFI.© BENOIT DOPPAGNE/belgaimage

Le PTB est pour l’instant silencieux

Justement. Il n’a pas grand-chose à dire. Il est contre le système et le système se plante. Il est contre le PS et le PS se vautre. Les électeurs déçus du système ou déçus du PS lui arrivent à la fréquence d’une chaîne de montage japonaise. Mais le PTB ne dit tellement rien que ça va finir par s’entendre. Sa pétition,  » Stop aux profiteurs ! « , lancée le 21 juin dernier, n’a pas recueilli grand écho : 12 000 signatures (contre 43 000 contre la pension à 67 ans, par exemple). C’est qu’il n’est pas à l’aise, au fond, le PTB, sur ces débats d’éthique et de gouvernance. Le cumul des mandats, il s’en fiche. Il le tolère, voire le prône, parfois, tant que la rémunération est plafonnée (Raoul Hedebouw a un temps été simultanément député fédéral, conseiller communal et chef de groupe à Liège, et porte-parole du parti et tout le monde l’a très bien vécu). Et puis, aucun parti ne sort indemne de cette rage antisystème qui parcourt les sociétés européennes. Fût-il lui-même antisystème. Le PTB, bien sûr, va arrêter de se taire. Pas parce que Raoul Hedebouw n’est plus chef de groupe au conseil communal de Liège, hein, mais parce que la droite est au pouvoir partout, et qu’elle en joue. Ça l’arrange.

Ecolo est pour l’instant ennuyé

Il doit s’inventer un nouveau récit. Le signe qu’il en manque, depuis la fin des vacances, c’est que ses figures ne réclament qu’une chose,  » la fin du vaudeville politique « . On n’est pas gras avec ça : tout le monde la réclame tout autant, cette fin. Même et surtout celui qui l’a provoquée. La première séquence de la crise, fin juin – début juillet, avait autrement mieux servi les verts : leurs propositions sur la gouvernance font encore tellement référence que MR et CDH se sont gardés, au moment de composer leur gouvernement wallon, d’insister sur ce volet de leur déclaration de politique régionale. La raison de leur silence est froide comme l’acier : aujourd’hui, plus personne n’aura directement besoin d’eux, sauf si le CDH décide de quitter les gouvernements de la Fédération et de Bruxelles. Ils doivent donc attendre que ce besoin se manifeste. Eventuellement pour soutenir, depuis les bancs de l’opposition, certaines propositions de décrets. Là, ils seront prêts, prêts à eux aussi poser des exigences pour voter certains textes. Car les écolos sont les meilleurs du monde pour poser des exigences. Mais pas encore pour monter dans des majorités. Car les écolos sont les pires du monde pour monter dans des majorités.

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