Thierry Fiorilli

Couvrir médiatiquement l’affaire Wesphael n’est pas infâme

Thierry Fiorilli Journaliste

Plus les jours passent, depuis l’annonce, samedi, de l’arrestation de Bernard Wesphael après la mort de son épouse, plus les critiques fusent. Sur « les médias », évidemment. « Lynchage médiatique », « voyeurisme », « acharnement », « déchaînement », certains éditorialistes, certains experts des médias, certains avocats constitutionnalistes, certains journalistes même, n’y sont pas allés par quatre chemins. Parce que « cette affaire est d’abord le décès de cette femme de 42 ans », parce qu’ « on sait bien que les médias, aujourd’hui, aiment bien les faits divers tragiques surtout quand il y a la mort de quelqu’un », parce que « c’est une culture du populisme en créant de l’information », parce que « les médias répondent par du voyeurisme à la demande de voyeurisme de la population », etc.

C’est sidérant.

On suggérerait donc que l’affaire Wesphael est une affaire privée ? On estimerait que la mort suspecte de l’épouse d’un député wallon ne concerne que les deux familles et la justice ? On prétendrait que l’inculpation pour assassinat d’un homme politique, qu’on a élu, qu’on a vu, lu et entendu tant de fois en télévision, en presse écrite et à la radio sur sa vision de la société, ses opinions en matière de finances, d’environnement, d’infrastructures, de vivre ensemble, d’emploi, de sécurité, de laïcité n’exige pas la recherche et la publication d’informations, d’autant qu’il nie toute responsabilité dans l’affaire ? On considérerait que suivre l’enchaînement des faits survenus depuis jeudi dernier (la mort, l’arrestation, l’inculpation, le maintien en prison, la version de Wesphael, le rapport toxicologique, l’indignation des avocats, l’analyse par la Commission des poursuites des parlements wallon et francophone) relève du voyeurisme ? On affirmerait que la recherche d’informations censées vérifier ce qui est communiqué par le parquet ou la défense, ou par les proches de l’un ou ceux de l’autre, d’informations censées peut-être expliquer ce qui a mené au drame équivaut à du sensationnalisme ? A du lynchage ? A de l’acharnement ?

Si réellement la réponse est chaque fois « oui », c’est à ne plus rien espérer, ni de ceux qui, au sein-même de la presse, bottent en touche ou dispensent des leçons de morale, ni des spécialistes des contenus médiatiques qui réduisent l’affaire à un fait divers, ni des citoyens qui crachent sur le traitement que la presse francophone réserve à cette tragédie.

Que certains quotidiens ne fassent ni dans la dentelle ni dans la décence, ce n’est pas neuf. On sait qui ils sont, ce qu’ils font, pourquoi ils le font et comment. Que par moments la ligne, si difficile à tracer (pour tout le monde), entre ce qui relève de l’intérêt public (au sens cognitif du terme) et de ce qui relève de la vie privée ait été franchie, c’est évident. Que certains titres soient particulièrement malodorants, c’est le cas depuis toujours, dans l’histoire de la presse de n’importe quel pays.

Mais qu’on accuse, là, maintenant, l’ensemble de nos médias d’avoir tout faux depuis samedi et la révélation de l’affaire, c’est autant malhonnête qu’absurde. Parce que c’est leur mission première, à défaut désormais d’être unique, d’INFORMER. Donc, de répondre aux questions que se posent tous ceux qui connaissaient Véronique Pirotton, tous ceux qui connaissent Bernard Wesphael et tous ceux que ce cauchemar « interpelle », comme c’était le cas lors de la mort de Marie Trintignant, de Michael Jackson, d’Alain Vanderbiest, de Marylin Monroe, d’André Cools ou de tant d’autres personnages publics disparus de façon tragique : que s’est-il passé ?, pourquoi ?, pourquoi deux versions si opposées ?, que va-t-il advenir maintenant ?, que vont faire les députés wallons et francophones si la cessation des poursuites et/ou la levée d’immunité parlementaire est demandée ?, comment quelqu’un comme Bernard Wesphael se retrouve embourbé dans ces circonstances ? Des interrogations élémentaires. Qui n’ont rien d’infâme, de choquant ni de déplacé. Des interrogations dont les réponses ne doivent en aucun cas ne dépendre uniquement que de la volonté de la justice, de la police ou de la classe politique. C’est le rôle de la presse, aujourd’hui plus que jamais. Et ça n’a rien à voir avec la dictature de l’émotion, la course au scoop ou l’absence de scrupules. C’est tout l’inverse.

Parce que cette affaire, c’est bien davantage que le décès d’une femme de 42 ans. C’est l’inculpation pour assassinat d’un mandataire public, un élu de la Nation, un président de parti politique, un fondateur et ancien chef de groupe d’une formation aujourd’hui au pouvoir en Région wallonne. Quelle que soit l’issue de l’affaire, c’est suffisant pour « la presse » s’en empare. Pour faire son boulot : aller gratter derrière ce qu’on lui sert. Puisque c’est sa raison d’être.

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