Joseph Junker

Contre le CETA, mais pas de gauche : quatre enseignements wallons

Joseph Junker Ingénieur civil et cadre dans une société privée

Quoiqu’on pense du rejet par la Région wallonne du traité de libre-échange entre l’Europe et le Canada (ou CETA), on peut dire que le feuilleton ne manque pas d’intérêt. Suspense, trahison, contradiction, d’horribles méchants et des gentils à doubles visages, tous les ingrédients d’une bonne série sont réunis !

Chose qui ne gâche rien, celle-ci est d’ailleurs particulièrement instructive. Permettez-moi d’en dégager 4 enseignements.

Le premier enseignement est anecdotique, mais il faut l’avouer particulièrement jouissif. Il nous vient de l’ex-président du Vlaams Belang Gerolf Annemans, pour qui (je cite) « La Flandre ne serait pas obligée de s’incliner devant les volontés wallonnes si elle était indépendante « . Une remarque particulièrement idiote, puisqu’une Wallonie indépendante n’en aurait en fait que plus de latitude pour bloquer le CETA. Chose qui vient en fait souligner d’autant plus douloureusement pour le Vlaams Belang que c’est la (stupide) régionalisation du commerce extérieur qui a permis à la Wallonie de bloquer ce traité que la Flandre appelle de tous ses voeux. Annemans souhaite que la Wallonie s’incline ? Il lui aurait suffi de rendre cette compétence à nouveau fédérale, comme elle n’aurait jamais dû cesser de l’être. Tous les partis de la suédoise étant favorable au CETA, la Wallonie n’aurait eu qu’à l’accepter en silence. Chiche Gerolf ?

Le second enseignement nous vient quant à lui de Karel de Gucht, l’ex très puissant commissaire européen VLD au commerce. Dans une tentative particulièrement réussie de prouver au citoyen européen qu’il a raison de se méfier de l’Union, celui-ci invite le premier ministre Charles Michel à ratifier le CETA en passant outre la décision d’un parlement démocratiquement élu et compétent en la matière. On a connu mieux pour réconcilier le citoyen à la politique, et pas de quoi rassurer ceux qui prétendent que la machine technocratique européenne n’ait plus aucun respect pour la volonté des peuples qui la composent ! Que dire d’ailleurs à ce sujet de la majeure partie des commentaires critiques de la décision du parlement wallon, qui se concentrent sur la disproportion ou la légitimité du pouvoir wallon, comment le contourner ou encore méprisent la manière dont ce veto jugé « ridicule » sera perçu. À croire que peu en importent les arguments, et encore moins si le parlement reflète ou non la volonté du peuple !

Le coq wallon, roi de la basse-cour ou d’un tas de rouille ?

Le troisième enseignement nous viendra de l’attitude finale du gouvernement wallon. Au vu des déclarations du ministre-président, on n’est en tout cas pas rassuré par la pureté de ses intentions. À entendre Paul Magnette, l’opposition wallonne ne serait pas une véritable conviction contre le libre-échange ou l’hyper-libéralisme, mais plutôt une manière de négocier en position de force quelques adaptations en faveur de la région francophone. Il semblerait donc que ce traité soit affublé d’imperfections tellement atroces qu’on s’efforcera de les oublier au prix de quelques symboliques concessions politiques qui permettront au coq wallon de fanfaronner sur son tas de rouille. À moins bien sûr qu’il ne s’agisse de faire d’une pierre deux coups en s’offrant un plan de com’ d’enfer auprès de la gauche wallonne tout en mettant des bâtons dans les roues d’un gouvernement fédéral ennemi… mais passons ce procès d’intentions. Après tout, nous n’en sommes pas encore au dénouement, rien ne dit qu’il ne soit pas à l’honneur des édiles sudistes, à qui l’ont peut au minimum reconnaître un certain courage politique et jusqu’à présent de la suite dans les idées.

CETA : Nous sommes en train de construire notre relation transatlantique comme nous avons (mal) construit l’Europe, en misant tout sur le commerce et la cupidité de l’homme

Le quatrième enseignement, c’est qu’à droite on s’imagine qu’il n’est possible d’être contre le CETA qu’en étant un gaucho semi-obscurantiste. Le rejet du CETA ne pourrait s’expliquer que par une crainte déraisonnée d’épiphénomènes économiques certes douloureux, mais temporaires à la recherche d’un nouvel équilibre meilleur que le précédent. Après tout, qui même à gauche pourrait avoir le cran de résister à la toute-puissance d’une augmentation du commerce et de la croissance ? Qui pour critiquer le libre-échange à tout prix tel qu’imposé par l’idéologie libérale (au sens non économique du terme) qui règne tant à gauche qu’à droite, sinon quelques extrémistes PTBistes ?

Pour une économie à la mesure de l’homme

Et bien pour ma part, je suis opposé au CETA. Et pourtant, je ne crois pas aux cataclysmes économiques annoncés, et encore moins à une économie planifiée. Je suis même un partisan du marché commun européen. Le protectionnisme n’est en effet bien souvent qu’un jeu entre Etats à l’avantage du plus fort. Mais tout cela ne m’empêche pas de me demander si ce traité respecte réellement la vocation de l’économie, qui est d’être au service de l’homme.

En négociant le CETA, nous sommes en train de créer une cellule économique qui n’est plus en rien à la mesure de l’homme. À quelle réalité humaine correspond le CETA si ce n’est celle des échanges économiques ? Une réalité géographique balafrée d’un océan de 6000 kms ? D’une réalité politique ou souveraineté fondée sur un parlement intercontinental à construire à Reijkavik ? Une réalité culturelle fondée sur la ressemblance apparente entre le modèle anglo-saxon (dont la représentation est pour rappel en passe de devenir marginale au sein de l’Union) et Européen ? Ne sommes-nous pas en train de construire notre relation transatlantique comme nous avons (mal) construit l’Europe, en misant tout sur le commerce et la cupidité de l’homme pour lier les nations ?

Mais, me répliquera-t-on, qu’en est-il de l’Europe et de son marché commun ? Et bien l’Europe est une réalité géographique cohérente, une réalité culturelle à part entière quoique diverse, et jusqu’à présent une réalité politique certes imparfaite, mais dont on ne saurait nier l’existence ni une certaine efficacité. Même du point de vue de la réalité économique, ajouterai-je, les volumes d’échanges entre le Benelux, l’Allemagne et la France sont sans commune mesure avec les échanges transatlantiques. Malgré tout cela, le marché commun est loin d’être un long fleuve tranquille. Même en Europe, la croissance qu’il apporte est d’un bien faible secours quand le citoyen se sent seul et impuissant face à une machine économique qu’il voit prête à broyer tout ce qui pourrait de prêt ou de loin le représenter, donner corps à la réalité de sa personne ou le défendre.

Dans ces temps qui sont les nôtres, bien plus que d’une croissance de notre commerce extérieur, nous avons plus que jamais besoin d’institutions qui soient à notre mesure. Les personnes, réduites dans ce monde post-moderne à leur simple expression matérialiste « d’individus », ont besoin de communautés dans lesquelles elles se reconnaissent, qui les protègent et les relient les unes aux autres plutôt que d’être confrontées à une globalité fade, froide et impitoyable où elles se dissolvent. À l’heure où l’Européen en vient à en rejeter jusqu’aux fondements mêmes de l’Union pour cette raison, nous serions bien inspiré d’y travailler plutôt que de choisir la fuite en avant et d’agrandir encore un peu plus une cellule d’échange… déjà en train de se désagréger.

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