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Contourner le fisc wallon en toute tranquillité depuis le Luxembourg

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Au Grand-Duché, des sociétés proposent à des Belges fortunés de contourner les règles fiscales, notamment sur leurs véhicules. Légal ? Oui, pour le moment. Ethique ? Silence radio. L’une d’elles, Edisys, est liée à un échevin MR de Genappes, Christophe Hayet. Qui parle d’un simple « ticket d’entrée ».

Pour les voitures, on utilise une faille dans la loi. Mais vous pouvez inclure d’autres choses dans la société que nous créons pour vous. Certains de nos clients y mettent des chevaux de course, une collection de timbres ou même un bateau… Tant que ce sont des biens mobiliers.  » Bienvenue chez LuxBusiness, nom de scène de la société anonyme Edisys, implantée dans la petite commune de Roeser, au Luxembourg. Créée en 2008, elle propose, entre autres, un service d’immatriculation de véhicules au profit d’une clientèle étrangère aisée, dont 70 à 75 % sont des résidents belges. L’idée : contourner le régime TVA, la taxe de (mise en) circulation et l’éventuel éco-malus en hébergeant virtuellement son véhicule dans une société luxembourgeoise. Pour les grosses cylindrées, la différence peut se chiffrer en dizaines de milliers d’euros.

Nul mystère de la part de ces interlocuteurs, qui proposent de couvrir des desseins lucratifs derrière une société qui ne prétend pas l’être.  » Vous ne subirez aucune influence sur votre régime fiscal actuel dans votre pays de résidence, ce qui signifie aucun changement dans vos habitudes « , indique par ailleurs leur site Web. Concrètement, LuxBusiness crée, pour chaque client, une société civile sans but commercial, qu’elle domicilie à l’une de ses trois adresses au Grand-Duché. Cette structure nécessite au minimum deux associés. L’objet est presque toujours le même :  » La détention, l’utilisation et la mise à disposition de biens mobiliers à des fins privées.  » Tout particulier repris dans une société civile peut ainsi mettre un véhicule à sa propre disposition, via un contrat de location renouvelable tous les mois.  » La douane et la police belge ne pourront pas vous ennuyer avec ça « , certifie-t-on chez LuxBusiness, qui se rémunère en contrepartie sur les démarches liées à la création et à la gestion courante des sociétés civiles.

Black-out entre les deux pays

« Ma société civile est presque vide, je dois y avoir entre 30 000 et 40 000 euros de patrimoine », dit Christophe Hayet (MR).© DR

Légal ?  » En principe, tout résident belge doit immatriculer sa voiture en Belgique « , commente l’avocat Martin Favresse, spécialisé en droit de la circulation. Depuis janvier 2014, la Wallonie et la Flandre ont repris la compétence de la gestion des taxes. La circulaire fédérale relative à l’immatriculation de véhicules est donc applicable à la Région de Bruxelles-Capitale. Mais la Wallonie s’est elle aussi alignée sur ce texte, qui mentionne des exceptions. Parmi celles-ci figure la  » mise à disposition d’un véhicule dans le cadre d’un contrat de louage par un prestataire professionnel étranger de service. […] La présentation de ce contrat de location aux agents de contrôle suffit à justifier l’absence d’immatriculation et le non-acquittement des taxes de roulage en Belgique.  » En outre, l’arrêté royal du 18 juin 2014 précise que l’immatriculation d’un véhicule en Belgique n’est pas obligatoire s’il est  » mis à disposition à titre gratuit à une personne physique […] pendant une période d’un mois au maximum « .

Telle sont les failles invoquées par LuxBusiness, d’autant que  » la création d’une société civile ne fait pas partie des données qui sont transmises entre le Luxembourg et la Belgique « , assure l’intermédiaire grand-ducal. Même en l’absence de comptes, chaque structure doit toutefois figurer dans le Registre du commerce et des sociétés (RCS). Une rapide recherche permet de constater que plusieurs dizaines de sociétés civiles, plutôt récentes, sont domiciliées à une adresse Edisys. Toujours sous la même forme : deux associés, souvent des Belges ou des Français, pour un capital social fixé à 100 euros seulement. Rien ne filtre quant à la valeur ou au type de biens qu’elles recouvrent.

Parmi les créations d’Edisys, il y a Eurolux Invest Group SC, immatriculée fin 2012. Cette société civile appartient à un échevin MR de Genappes, Christophe Hayet. En 2011, ses arrivées en Lamborghini ou en Hummer avaient suscité la polémique dans sa commune, alors qu’il était président du CPAS. L’homme d’affaires avait d’emblée précisé que les véhicules appartenaient à ses sociétés. Feraient-ils partie de son patrimoine placé dans Eurolux Invest Group ?  » Pas du tout « , affirme celui qui se présente en tant que partner d’Edisys sur sa page Linkedin.  » Tous mes véhicules sont désormais immatriculés en Belgique, même dans le cas d’un leasing contracté à l’étranger. En juillet et août, je loue parfois des voitures de luxe à l’étranger, mais toujours via des professionnels. Je suis partenaire d’Edisys parce que je verse une cotisation pour participer à des rencontres qu’elle organise avec des hommes d’affaires européens.  »

Sur son site Internet, LuxBusiness affirme que sa
Sur son site Internet, LuxBusiness affirme que sa « solution » n’a aucun impact sur le régime fiscal d’un résident belge.© DR

Une société « presque vide »

Au sujet d’Eurolux Invest Group, Christophe Hayet précise d’abord qu’elle n’a  » rien à voir  » avec Edisys, avant de reconnaître qu’il est bien client de cette dernière. Si la légalité semble – pour le moment – confirmée, est-ce éthique pour autant ?  » Je comprends que cela puisse choquer, mais cette société est presque vide. Je dois y avoir entre 30 000 et 40 000 euros de patrimoine. Il est difficile d’être partenaire d’Edisys sans avoir au minimum une société chez eux. C’est un ticket d’entrée, en quelque sorte.  »

Vu l’étanchéité fiscale de ces sociétés civiles sans but commercial, l’Etat fédéral et les Régions peinent à connaître le montant global des biens mobiliers qui échappent ainsi au régime belge. En 2012, déjà, le député PS Christophe Collignon avait interpellé le ministre wallon des Finances de l’époque, André Antoine (CDH), sur le montage proposé par LuxBusiness.  » Je vais m’en saisir pour que l’on puisse mettre en oeuvre les contrôles nécessaires, parce qu’il y a là une profonde injustice « , avait-il indiqué. Cinq ans plus tard, le système a toujours pignon sur rue.

L’actuel ministre wallon des Finances, Christophe Lacroix (PS), concède que  » l’alignement de la Région en juin 2014 sur la circulaire fédérale est trop souple « . Il veut limiter à six mois maximum l’usage d’un véhicule immatriculé au Luxembourg pour les résidents wallons à titre privé. Pour les professionnels, il souhaite mettre en place un mécanisme permettant aux contrôleurs de vérifier s’il est essentiellement utilisé dans l’un des deux Etats.  » J’ai également décidé de contacter les autorités luxembourgeoises afin de les sensibiliser à ces pratiques frauduleuses « , conclut le ministre.

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