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Conflit d’intérêts au cabinet Bellot ?

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

L’arrêté réglant l’emploi de drones dans notre espace aérien a beaucoup tardé à être adopté. La faute, selon certains acteurs, à la position d’un expert au cabinet du ministre de la Mobilité.

C’étaient de drôles de machines volant dans un flou merveilleux. Jusqu’à avril dernier et à la grande exaspération d’un secteur tout jeune, la Belgique n’avait encore adopté aucun dispositif réglant l’utilisation des drones civils, appelés UAS ( » Unmanned Aircraft Systems « , soit  » système d’aéronef sans pilote « , ou  » aéronef télépiloté « ) dans un jargon aéronautique friand de sigles au moins autant que d’anglicismes. Ministres de la Mobilité des deux derniers gouvernements, Melchior Wathelet (CDH) puis Jacqueline Galant (MR) ont eu à se coltiner les nombreux et différents intérêts en jeu. Il leur fallait arbitrer entre les dimensions technologique, économique (la Commission européenne prévoit 150 000 emplois à l’horizon 2050, et on a vendu 15 000 drones en Belgique l’an dernier), juridique (les appareils équipés de caméras peuvent facilement mettre à mal les dispositifs de protection de la vie privée) et sécuritaire (une grande partie de l’espace aérien national est contrôlé par la Défense… et l’utilisation des UAS peut provoquer de graves accidents). Voire même communautaire, car on est en Belgique, pays du machin flou pour les merveilleux drones, et 80 % des entreprises actives dans le domaine sont flamandes et les ministres de la Mobilité, wallons.

Jacqueline Galant laisse à François Bellot un dossier drones qui fait polémique
Jacqueline Galant laisse à François Bellot un dossier drones qui fait polémique© Benoit Doppagne/Belgaimage

C’est dire si l’affaire n’était pas simple. Le secteur, souvent de jeunes entrepreneurs, était favorable à une réglementation rapide, mais plutôt lâche. C’est dire aussi s’il attendait beaucoup d’une ministre libérale réputée fonceuse, qui promettait un arrêté royal pour 2015.

Or, Jacqueline Galant a pris le temps. Beaucoup. Il s’en est même fallu de quelques semaines à peine pour que le dossier ne soit pas à charge de son successeur, François Bellot. Car l’arrêté royal relatif à l’utilisation des aéronefs télépilotés dans l’espace aérien belge a été publié le 15 avril au Moniteur belge. Soit le jour même de la démission de la Jurbisienne.

L'arrêté drones crée trois catégories d'aéronefs télépilotés et deux types de certificats de télépilotage.
L’arrêté drones crée trois catégories d’aéronefs télépilotés et deux types de certificats de télépilotage.© Dieter Telemans/Imagedesk

Et si elle a pris le temps pour le rédiger, et si l’arrêté lui-même est, selon les termes d’une partie des intervenants, plutôt trop restrictif, c’est, pointe cette même partie des intervenants, pour une seule raison : la volonté du cabinet Galant d’exiger des utilisateurs de drones qu’ils passent de lourds examens pour pouvoir employer des joujoux qui peuvent peser jusqu’à 150 kilos. Cette volonté, toujours selon cette même partie des intervenants, tiendrait à l’identité de l’expert qui, au cabinet, a piloté la rédaction de l’arrêté royal. Frédéric Colson, c’est son nom, est un héros de l’aviation civile. Un jour de l’automne 2008, ce Carolorégien d’origine mais Ardennais de résidence, avait même brillamment fait atterrir sur Ciampino un Boeing de Ryanair dont les moteurs avaient été endommagés par une nuée d’étourneaux. Pilote de ligne, donc, Frédéric Colson est également actif dans d’autres domaines de l’aéronautique, notamment à travers deux sociétés, Flygger et Diam-Air.

Très chers confrères

La première, dont il est le gérant, dispense des cours d’anglais spécialisé. La seconde, dont il est administrateur, loue du matériel de transport aérien. Mais les deux pourraient servir, sans le moindre aménagement statutaire, à assurer les formations que doivent désormais suivre les aspirants télépilotes : les statuts de Flygger lui donnent en effet pour objet  » la conception, location, vente de logiciels destinés à la formation dans le sens le plus large et particulièrement aux langues et au domaine de l’aviation « , et  » toutes formes d’enseignement « , ceux de Diam-Air notamment,  » l’organisation de cours et de formations entendus dans le sens le plus large « . L’expert aurait ainsi, quinze mois durant, tenté à la fois de favoriser les entreprises actives dans la formation… et d’offrir à ses confrères pilotes de ligne un débouché supplémentaire dans les aéronefs sans pilotes.  » C’est comme si on offrait un permis mobylette à un chauffeur de poids lourds… et qu’on lui permettait d’ouvrir une moto-école « , explique un intervenant qui, comme tous ceux que Le Vif/L’Express a contactés,  » veut rester anonyme, d’une part parce que l’arrêté est enfin sorti, et d’autre part parce qu’il est appelé à évoluer dans les prochains mois, et qu’on ne veut pas recommencer à se farcir le cabinet… « .

Chez François Bellot, on affirme que Frederic Colson – qui se retranche derrière le communiqué officiel de son ministre – n’a  » aucun lien direct avec une quelconque entité de formation, que ce soit en matière de drone ou d’aviation générale « , ce que contredisent les statuts de Flygger et Diam-Air. Et l’on conteste toute velléité corporatiste dans son chef :  » Il semble logique que le niveau de maîtrise d’un pilote acquis après un parcours difficile puisse être valorisé. C’est aussi un plus pour le secteur drone d’avoir des profils de ce type.  » Autant de réponses à porter au débat sur les activités civiles des cabinettards. Et dont l’opposition voudra reparler à la rentrée.

Des formations pour tout le monde ou presque

L’arrêté drones, accouché en avril dernier après une longue et tumultueuse gestation, crée trois catégories d’aéronefs télépilotés, et deux types de certificats de télépilotage. La première catégorie concerne les appareils d’usage uniquement récréatif, pesant moins d’un kilogramme et autorisés à ne voler que sur un domaine privé, jamais au-dessus de 10 mètres, et pour lesquels il ne faut pas d’autorisation. La deuxième, de classe 2 et dite à risques faibles, porte sur des drones de moins de cinq kilos. Ceux-là peuvent voler en dehors des zones habitées et à une hauteur maximum de 45 mètres. Leur pilotage nécessite l’obtention d’une attestation de télépilote, qui passe par une formation théorique dans le secteur privé et la réussite d’un examen pratique devant la DGTA. Celui des drones des deux classes 1 (A pour les risques dits modérés, et B pour les risques dits élevés), soit des machines pesant entre 5 et 150 kilos mais ne volant pas à plus d’une petite centaine de mètres, demande, lui, une licence de télépilote. Celle-ci impose la réussite des examens pratique et théorique organisés par la DGTA. Parmi les connaissances que doit maîtriser le télépilote patenté, et dont les pilotes de l’air sont en partie dispensés, figurent notamment des notions basiques d’anglais technique. « Quelques listes de mots de vocabulaire, rien de plus », précise toutefois un formateur.

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