Communales, ces élections qui rendent fous les politiques

Ministres à cran, gouvernements sur des charbons ardents : Di Rupo Ier, Peeters II, Demotte II saisis de sautes d’humeur. La perspective du scrutin communal d’octobre met les nerfs à vif et décuple des envies d’en découdre. Et déjà, le cap des élections régionales/fédérales de 2014 se profile. Ambiance sans cotillons.

Belgique, terre volcanique. Peuplée de gouvernements agités de tremblements répétés de magnitude variable, parfois proches de l’éruption. La faute notamment à cette dangereuse zone sismique localisée sur le terrain communal. Un tsunami électoral d’une nature et d’une ampleur incertaine mais redouté au soir du 14 octobre trotte dans les têtes. De quoi rendre le monde politique nerveux.

Impossible pour l’immense majorité des Excellences de rester à l’écart de l’instabilité ambiante. A cinq exceptions près, les cinquante ministres et secrétaires d’Etat, qu’ils soient fédéraux ou régionaux, entrent de leur plein gré en période de turbulences électorales. L’esprit tourné vers la bataille pour les communales. Les chefs d’équipe donnent l’exemple : Elio Di Rupo (PS) à Mons, Rudy Demotte (PS) à Tournai, Kris Peeters (CD&V) à Puurs sont sur le pont.

Di Rupo Ier : ça secoue pas mal.

Il était acquis que la vie de l’attelage fédéral à six chevaux (PS-MR-CDH-CD&V-Open VLD-SP.A) ne serait pas un fleuve tranquille. La gauche et la droite embarquées dans la même galère, à dix mois seulement d’une échéance électorale : le mariage de l’eau et du feu scellé en décembre 2011 ne pouvait que produire des étincelles.

La palme revient logiquement au PS et à l’Open VLD, champions des prises de tête. Entre socialistes francophones et libéraux flamands que tout sépare sur le terrain idéologique, tout est prétexte pour se voler dans les plumes.

Il faut bien tenter de faire oublier à son électorat certains renoncements, voire certaines trahisons. A ce jeu-là, le PS écope de la plus grosse part du boulot : ce gouvernement soumis à une rigueur budgétaire qui flirte avec l’austérité, affiche un inévitable profil de centre-droit. Pas de bon augure pour les couleurs socialistes. D’autant que les camarades peuvent compter sur les libéraux pour remuer le couteau dans la plaie, avec un plaisir non dissimulé.

Dans les rangs socialistes, on se dit que cela pourrait chauffer pour leur matricule aux communales d’octobre, si le parti ne retrouve pas une vie en dehors de la trajectoire que lui imprime son chef de file devenu Premier ministre, Elio Di Rupo. La recette du « sans nous, ce serait pire » a ses limites.

Au sein même de l’équipe gouvernementale, Paul Magnette (PS) se charge de tenter d’éloigner les ondes négatives. En tirant à intervalles réguliers sur tout ce qui bouge du côté de la Commission européenne.

Charges bien senties sur le flanc gauche. Répliques non moins cinglantes sur l’aile droite. « Populisme de gauche », assène le vice-premier Didier Reynders au nom du MR. « Ec£urant », bondit Patrick Dewael. Le chef de groupe Open VLD à la Chambre a été jusqu’à appeler l’ex-ministre français Chevènement à la rescousse pour préciser sa pensée : « Un ministre ferme sa gueule ou démissionne. »

Réponse du berger socialiste à la bergère libérale : « J’entends des ministres Open VLD remettre en cause l’indexation automatique des salaires. Je suppose que Monsieur Dewael demande aussi leur démission. » A part ça ? L’atmosphère au sein du gouvernement est excellente, assure le ministre PS des Entreprises publiques. Le PS et la droite en pleine « dramaturgie politique. » A chaque poussée d’adrénaline, la même explication est avancée : la peur des sondages, la nervosité pré-électorale. « Le PS est nerveux, car il voit que le gouvernement applique une politique qui n’est pas la sienne : réforme du chômage, des pensions, etc. Ils doivent se calmer. Maintenant ça suffit ! » résumait le jeune président de l’Open VLD Alexander De Croo, lui-même guère à la fête par les temps qui courent.

Postures de partis en campagne permanente. Qui puisent dans leur fonds de commerce pour allumer gentiment une mèche. Une amnistie fiscale, une de plus, évoquée par le MR ? SP.A et CD&V s’empressent de fermer la porte. Un impôt minimum des sociétés, prônée par la vice-Première PS Laurette Onkelinx ? Recalé aussi sec par le camp libéral. Des tentatives de remettre en cause l’indexation des salaires, qu’alimente une Banque nationale entrée dans l’ère de l’ex-chef de cabinet de Verhofstadt Luc Coene (Open VLD) ? Repoussées sans ménagements par le PS.
Le CDH et sa chef de file apportent leur pierre à l’édifice : Joëlle Milquet, ministre de l’Intérieur, agace ses collègues par sa propension à privilégier les médias pour annoncer ses projets en matière de sécurité. Pas mal dans son genre non plus, le CD&V Hendrik Bogaert indispose le PS par son impatience à bousculer la Fonction publique.

Des affrontements virils pas forcément beaux à voir. Mais le gouvernement papillon ne bat pas franchement de l’aile. Ses coups de rein lui ont même permis d’engranger un solide programme d’assainissement budgétaire, de franchir avec une aisance presque déconcertante le cap de la scission de BHV, d’amorcer une stratégie de relance.

Di Rupo assure. Avec l’une ou l’autre colère soigneusement calculée pour rappeler aux distraits ou aux gens de mauvaise foi le travail budgétaire et institutionnel colossal déjà abattu par son équipe. Tout cela à l’ombre d’une puissante N-VA dans l’opposition : elle reste à ce jour le plus fidèle allié de la fragile cohésion interne à Di Rupo Ier.

Mais un nouveau triomphe annoncé des troupes de Bart De Wever au scrutin communal d’octobre pourrait enrayer la mécanique gouvernementale sous tension. Ce qui explique certaines palpitations.

Demotte II : ça déchire bien.

Planté au lendemain du scrutin régional de juin 2009, l’olivier wallon (PS-CDH-Ecolo) a pris racine dans un terreau de qualité discutable. Dès la mise en terre, le partenaire Ecolo faisait un peu tache dans le paysage. Après tout, un pas de deux avec le MR n’aurait pas été pour déplaire à de nombreux verts wallons. Première frustration.

Depuis, c’est une incessante guéguerre. Elle a sa cible privilégiée : Philippe Henry, ministre Ecolo de l’Aménagement du territoire. S’il ne cherche pas les ennuis, il les accumule. Les projets de centre commercial Città Verde à Farciennes, City Mall Foruminvest à Verviers, le contournement de Couvin : autant de stations sur un chemin de croix que ses partenaires PS et CDH aiment parsemer de clous.

Au point qu’Henry endosse une vocation de punching ball au sein du gouvernement wallon. Il a fallu que le coprésident Jean-Michel Javaux recadre : « Il faut que certains arrêtent de penser que le gouvernement, c’est une coalition PS-CDH à laquelle on a juste rajouté Ecolo. » L’autre représentant des verts dans l’équipe a aussi droit à sa dose : Jean-Marc Nollet, à l’Energie, au Logement et à la Fonction publique, ne se fait pas que des amis. Surtout au CDH : on y a vite pris en grippe le « style Nollet » et sa façon d’annoncer ses projets par voie de presse.

Les humanistes s’étaient déjà irrités d’apprendre de cette manière l’abandon des « Partenariats public-privé » imaginés par la présidente du CDH Joëlle Milquet pour la construction et la rénovation de bâtiments scolaires. Ils ont récemment atteint le stade de l’exaspération en découvrant dans les journaux ce que Nollet avait tu en commission du parlement wallon : ses intentions de rationaliser les intercommunales de distribution de gaz et de l’électricité.

Nourri de vieilles histoires, tout ce contentieux monte en puissance à l’approche du scrutin communal. Les rapières sont sorties des fourreaux. Plus de quartier. Philippe Henry, encore lui, s’est fait lourdement charger sur le dossier des noyaux d’habitat qu’il imagine pour reconfigurer le territoire wallon. Une poignée de mandataires communaux socialistes déclenchent publiquement les hostilités, et le successeur CDH de Benoît Lutgen au gouvernement, Carlo Di Antonio, n ‘hésite pas à « allumer » ses collègues Ecolo sur la question sensible. Confraternel…
Méthodes jugées déloyales par les verts. Elles plombent un peu plus une atmosphère déjà minée par les détestables marchandages de dossiers : ainsi cette implantation du centre de formation pour sportifs francophones de haut niveau, longtemps monnayée contre le projet de tram liégeois. Suivez tous les regards : le CDH André Antoine (Budget, Emploi, Sports) se distinguerait en marchand de tapis. Lequel Antoine s’est retrouvé au coeur de la dernière prise de bec en date : sa collègue PS à l’Egalité des chances, Eliane Tillieux, s’est demandé « quelle mouche a bien pu piquer » le ministre CDH pour se répandre dans la presse sur un parcours d’intégration obligatoire qui n’est nullement à l’ordre du jour.

Bref, ça chahute ferme et ça fait furieusement désordre. On se calme ? Le « patron » de l’équipe, Rudy Demotte, est invité à reprendre la main. Patience : il était jusqu’ici occupé à soigner sa rivalité interne au PS avec son remuant et ambitieux ministre de l’Economie, Jean-Claude Marcourt.
Il y aurait de la crise de confiance dans l’air au sein de l’olivier wallon que cela ne serait pas étonnant.

Peeters II : ça cogne fort.

« Stupides mails, stupides débats. » Kris Peeters (CD&V) en a ras la casquette de ministre-président du gouvernement flamand. Ce Peeters II issu du scrutin régional de juin 2009 a tout d’une pétaudière. Du jamais-vu. Les partenaires CD&V, SP.A, N-VA sont en guerre quasi ouverte. Pourquoi tant de haine ? Peeters et son équipe ont du mal à digérer les méga-dossiers. Ils se croyaient tirés d’affaire en bouclant l’énorme projet de liaison routière anversoise Oosterweel. Ils viennent de replonger sur le gigantesque centre commercial Uplace qui doit sortir de terre à Machelen.

Pas sympa le SP.A, de se désolidariser après coup du feu vert gouvernemental accordé au projet. Colère noire du CD&V et de la N-VA. Et pour pimenter la « trahison », la chef de file des socialistes au gouvernement se révèle gaffeuse : Ingrid Lieten, se fend d’un courriel peu flatteur pour Kris Peeters qu’elle adresse maladroitement à un mauvais destinataire. Fâcheuse manie pour une ministre qui, dans un mail précédent, qualifiait ses collègues de « caricatures faites de Teflon et de béton »…

Tous les coups sont permis chez Peeters II. Pilotée par le SP.A, la réforme de l’enseignement flamand est dézinguée par la N-VA. « Sabotage », fulmine le président du SP.A, Bruno Tobback. « Attitude déloyale », riposte De Wever. Au parlement flamand, l’opposition Groen se gausse de la chaise vide du président de la N-VA : qui applaudit ? CD&V et SP.A pardi ! A la veille de la fête flamande du 11 juillet, De Wever s’en prend à l’excès de bureaucratie flamande. « Je n’ai pas attaqué le gouvernement flamand », assure aussitôt le président de la N-VA. C’est pourtant bien comme cela que Kris Peeters a pris la chose.
Le gouvernement flamand joue tous les jours à la semaine infernale. A la décharge des partis traditionnels flamands : la peur bleue de voir la N-VA les avaler tout cru aux communales d’octobre. On serait nerveux pour moins que ça.

L’épreuve des communales à peine franchie, tous les gouvernements auront déjà le scrutin régional et fédéral de 2014 dans leur ligne de mire. C’est sûr : une élection n’adoucit jamais les moeurs en politique.

Pierre Havaux


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