Démoli au cours de l'été 2015, le viaduc Reyers a laissé la place à un chantier... toujours en cours. © DENIS CLOSON/ISOPIX

Communales 2018 : à Schaerbeek, il faut réussir le puzzle

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Entre renouveau aux accents bobos et casse-tête de mobilité, la Cité des ânes poursuit son redressement en douceur. Notamment financier. La vie quotidienne dans ce patchwork de communautés reste un défi quotidien.

D’abord, saluer d’une main douce posée sur leur crinière Vouziers et Taram. Depuis 2011, ces deux chevaux quadrillent les rues de Schaerbeek, tirant une remorque dans laquelle les corbeilles sont vidées. A ce jour, Schaerbeek est la seule commune bruxelloise qui recourt à des chevaux pour collecter les déchets communaux.

Prendre place, ensuite, sur le siège du véhicule à propulsion équine. Et partir, tranquille, se promener dans cette commune de quelque 8 kilomètres carrés, épinglée au nord-est de Bruxelles. Direction : le Musée du train, dit Train World en dialecte local, installé dans la gare de Schaerbeek. Avec la fête des Lumières, qui fait briller la commune de mille flammes, c’est l’une des bonnes idées qui ont surgi, ces dernières années, dans la Cité des ânes. Inauguré en septembre 2015, le lieu a attiré 300 000 visiteurs en deux ans. Non loin de là, à une encablure du pont Van Praet, le nouveau bâtiment passif de logements sociaux Navez pointe fièrement son nez vers le ciel. A raison : il a remporté, en 2017, le prix européen  » Architecte émergent « . C’est la première fois depuis la création de ce concours, en 1988, qu’un bureau belge le remporte. Un peu plus haut le long du boulevard Lambermont, le parc Josaphat s’apprête à vivre la réouverture des portes de La Laiterie, une brasserie installée en son coeur, qui avait été incendiée en 2006.

Récemment, Schaerbeek a d’ailleurs connu quelques belles initiatives dans le secteur Horeca. Des lieux comme le bar à bières 1030, le resto spécialisé dans le hamburger Chez Marraine ou le bar bières et vins Copains, ont vu le jour. Les Ecuries van de tram attirent toujours leur lot d’épicuriens, de voisins et d’amateurs de produits bio.  » Des bobos exclusivement « , grincent certains.  » La fracture socio-culturelle a empiré ces dernières années et le renouveau Horeca observé dans certains quartiers ne peut le masquer « , lâche Matthieu Degrez, future tête de liste PS pour le scrutin communal. Ce n’est pas le marché de la place des Chasseurs ardennais, dont on n’aperçoit plus l’herbe, les vendredis soirs d’été, tant il y vient du monde, qui le fera changer d’avis.

 » La rénovation urbaine, pensée pour améliorer le cadre de vie des gens au sens large, a incontestablement progressé « , réplique Cécile Jodogne, secrétaire d’Etat bruxelloise (DéFI) et échevine empêchée à Schaerbeek. Des crèches et écoles ont ouvert leurs portes.  » Il y a encore beaucoup à faire pour réconcilier les différents visages de Schaerbeek mais via les crèches, les écoles, les espaces verts et l’aménagement de l’espace public, on avance, confirme Barbara Trachte, conseillère communale Ecolo. Et pour tout le monde en même temps.  » Le CPAS prévoit ainsi d’ouvrir une crèche de 60 places pour les enfants de ses bénéficiaires.

Unique à Bruxelles : un véhicule hippotracté pour évacuer les déchets communaux.
Unique à Bruxelles : un véhicule hippotracté pour évacuer les déchets communaux.© ANJA GALICIA/PHOTO NEWS

Dans un autre registre, Schaerbeek a aussi lancé, en 2016, l’asbl Via, qui assure un parcours d’intégration en français aux primo-arrivants. Le projet, financé par la Cocof, a été élaboré avec la commune de Molenbeek.

Parkings mutualisés

La promenade se poursuit au son des sabots. Sur plusieurs immeubles, une pancarte Bepark renseigne la mise à disposition, payante, de places de parking disponibles dès la fin de la journée et jusqu’au lendemain matin dans les cours des grandes surfaces et des entreprises. Quelque 700 places ont ainsi été libérées, ce qui n’est pas du luxe dans une commune où les automobilistes sont quotidiennement confrontés aux difficultés de stationnement.  » On a encouragé ce principe de mutualisation des places hors voirie en détaxant les parkings mutualisés, détaille Denis Grimberghs (CDH), l’échevin des finances. Et nous avons encore une large marge de progression puisque 5 000 places sont toujours taxées actuellement.  » A ce jour, Schaerbeek est la seule commune bruxelloise à soutenir financièrement une telle initiative.

 » Ah, bouger… « , pense-t-on tandis que les chevaux déboulent près de la place Meiser ! La mobilité est le point noir le plus criant à Schaerbeek, même si la responsabilité ne doit pas en être attribuée aux autorités communales. Dans ce contexte, la démolition du viaduc Reyers a constitué l’une des surprises de la mandature, à côté du redressement des finances. Et – moins légère – de la découverte, en plein Schaerbeek, des caches où se sont abrités les terroristes qui allaient frapper à l’aéroport de Bruxelles-National, en mars 2016, et d’un appartement, rue Henri Berger, utilisé pendant vingt jours par un Salah Abdeslam en cavale…  » C’est la preuve qu’il est facile de se cacher sans que personne ne signale rien « , soupire le bourgmestre, Bernard Clerfayt (DéFI).

Bernard Clerfayt, bourgmestre (DéFI) de Schaerbeek.
Bernard Clerfayt, bourgmestre (DéFI) de Schaerbeek.© JEAN MARC QUINET/REPORTERS

Le viaduc, donc. Il y avait un consensus entre élus pour réclamer sa destruction mais les importants problèmes techniques qui y sont apparus ont précipité la décision. Sa démolition, à l’été 2015, a même fait l’objet d’une fête ! Mais c’est peu dire que les relations entre la commune et la Région de Bruxelles-Capitale sont, sur ce dossier, tendues.  » Comme sur d’autres projets, ça n’avance pas assez vite, relève Bernard Clerfayt. A l’avenir, il faut réfléchir à une meilleure articulation en amont entre les différents niveaux de pouvoir. Idem avec la Communauté française, vu la nécessité de construire de nouvelles écoles en raison du boom démographique. C’est un enjeu majeur.  »

De fait. C’est sur le territoire de Schaerbeek que se trouvent quelques-uns des grands projets régionaux annoncés : la Cité des médias (boulevard Reyers), l’aménagement de la place Meiser, porte d’entrée des navetteurs qui viennent de l’autoroute de Liège, et le développement du site de Schaerbeek-Formation (activités économiques, école, logements, espaces verts, infrastructures sportives).  » Que prévoit-on pour permettre à ces nouveaux habitants de circuler correctement dans le quartier ? interroge Yvan de Beauffort, conseiller communal MR. Ce qui se passe sur le tronçon Reyers-Meiser est invraisemblable ! La Région bruxelloise n’a aucune vision à long terme.  »

Le bras de fer entre Schaerbeek et la Région à propos de l’aménagement de l’axe pont Van Praet – rond-point Montgomery risque de durer des années. Dans l’immédiat, en termes de mobilité, c’est incontestablement un échec. Il ne faudra pas non plus compter sur l’inauguration du métro Nord, reliant la commune de Forest, au sud de Bruxelles, à Evere, au nord, désormais reportée à 2030.  » C’est désespérant, lâche Denis Grimberghs. Nous avons besoin de ce métro. On ne peut pas ne rien faire d’ici à 2030. Il faudra donc être créatifs…  »

Communales 2018 : à Schaerbeek, il faut réussir le puzzle

Points noirs et beaux paris

Les chevaux s’en moquent. Pas les humains. A quatre pattes ou à deux, on peut en revanche être sensible à la sécurité routière. La commune de Schaerbeek a connu plusieurs accidents mortels, ces derniers mois.  » Etendre les zones 30 a été insuffisamment fait « , déplore Matthieu Degrez.  » Il manque aussi de radars et de policiers qui sanctionnent les voitures en double file ou garées sur le trottoir « , note Barbara Trachte.

L’état des logements sociaux schaerbeekois est un autre point noir. L’an dernier, une habitante a perdu la vie lors d’un incendie survenu dans son logement social. Le Foyer schaerbeekois, propriétaire du lieu, vient d’être renvoyé devant le tribunal pour homicide involontaire.  » Il n’y a pas de politique de logement volontariste, lance Matthieu Degrez. Un masterplan de rénovation est certes sorti en 2015. Pourquoi si tard ?  » Un tiers de ces logements, très anciens pour la plupart, n’est plus conforme. Le programme de rénovation prévoit de réduire cette part à un quart, en plusieurs années.  » Un héritage du passé « , dit-on. Pour certains habitants, contraints de vivre dans des quasi- taudis, le passé a bon dos…

Les feux sont aussi passés à l’orange, voire au rouge, pour la propreté dans l’espace public : elle s’est visiblement dégradée ces dernières années. Enfin, les espaces de jeux pourraient être plus nombreux, même sur de petites parcelles, et plus imaginatifs.  » Si on veut attirer les classes moyennes avec enfants à Schaerbeek, il en faut plus, estime Barbara Trachte. L’enjeu, c’est d’être accueillant.  »

Au seuil d’une année électorale qui laisse les chevaux de marbre, voilà Schaerbeek et ses 135 000 habitants confrontés à plusieurs défis.

– Veiller au grain financier. Les finances ont certes été remises à flot entre 2012 et 2018, ce qui libère de nouvelles capacités d’investissements. La pression fiscale va pouvoir doucement diminuer, mais il faudra demeurer vigilant. Schaerbeek reste une commune pauvre : en 2015, son indice de richesse ne dépassait pas 65, pour 78 au niveau de la Région et 100 au niveau du pays. Le taux de chômage avoisine les 23 % pour l’ensemble de la population mais 33 % pour les 15-24 ans.

– Continuer à transformer Schaerbeek pour en faire une commune culturelle, dynamique, avec un esprit zwanzeur et ouvert à de multiples communautés.  » Il faut sans cesse réinventer les règles de la vie ensemble, souligne Bernard Clerfayt. Après l’arrivée des populations issues des pays de l’Est, nous voyons depuis quelques années débarquer des Syriens ou des Afghans. Cela nous pousse à améliorer l’accueil des primo-arrivants, sans préjudicier les autres habitants. Le défi est permanent.  » Schaerbeek devrait aussi attirer de nouvelles familles et des petites entreprises. Mais  » comme San Francisco, Schaerbeek se trouve sur une faille sismique sociale. Il faut travailler pour éviter le tremblement de terre « , prévient Yvan de Beauffort.

– Répondre au boom démographique. Les chevaux, appelés aussi à promener les enfants de la commune, les jours de beau temps, n’attendent que ça.

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