Commune de Molenbeek © TON KOENE/ISOPIX

Communales 2018 : à Molenbeek, la vie n’est pas un canal tranquille

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Marquée par le renversement de Philippe Moureaux en 2012, puis, bien sûr, par les attentats islamistes de 2015-2016, la grande commune du nord-ouest, pauvre et bigarrée, a passé de très sales moments.

La longue traversée de Philippe Moureaux (PS) s’était terminée par surprise, dont l’ampleur avait largement débordé sur l’autre rive du canal, la droite, celle qui longe Bruxelles-Ville. Le canal de Françoise Schepmans (MR), lui, a trempé dans les eaux froides du calcul djihadiste. Mais la bourgmestre ne s’est pas noyée, et a sorti la tête de l’eau. Elle aborde l’année électorale dans le premier couloir. Peu synchronisés, les socialistes barbotent un peu, entre assoiffés de revanche et poissons-pilotes. Et les  » petits  » craignent de devoir rester dans la pataugeoire. Molenbeek, miroir du monde (c’est le titre du livre de l’échevine Ecolo sortante Sarah Turine). Et piscine olympique politique.

L’enjeu : qui avec Françoise Schepmans ? Une intronisation comme par effraction en 2012, une prolongation comme consécration six ans plus tard ? Françoise Schepmans avait habilement doublé son prédécesseur, le soir des communales d’octobre 2012. Philippe Moureaux, dont elle était alors l’échevine de l’économie et du commerce, pensait en effet rempiler, en changeant de partenaire. Une vieille habitude pour ce socialiste vintage. En 2000 déjà, il se séparait des libéraux pour s’associer aux écologistes et aux chrétiens-démocrates. Douze ans plus tard, il prit langue avec les verts de Sarah Turine et les orange d’Ahmed El Khannouss, histoire de refaire le coup. Les résultats le lui permettaient : sa Liste du bourgmestre avait perdu trois sièges, mais le CDH, qui n’y participait plus cette fois, en emportait six, et Ecolo-Groen en gagnait un. Le ministre d’Etat ne doutait donc pas de cet éternel retour, ce dimanche soir d’octobre, lorsqu’il obtint de ses deux interlocuteurs une sorte d’engagement, dont les uns et les autres disputent encore la matérialité.  » Dormons dessus et revoyons-nous demain « , avait dit Philippe Moureaux à Ahmed El Khannouss et Sarah Turine. Françoise Schepmans, elle, ne dormit pas. A l’aurore, un pacte de majorité bleu-orange-vert était annoncé. Françoise Schepmans avait offert trois postes d’échevin à chacun des partenaires, et de l’autonomie dans la conduite de leurs affaires. Moureaux, lui, ne cédait pas plus de deux échevinats. Et pour l’autonomie, bon…

Ce fut un joli coup, et il fit beaucoup de bruit, celui d’un géant qui tombe en hurlant. Philippe Moureaux s’en allait. Il quittait la vie politique. Les socialistes molenbeekois, orphelins, héritaient de l’opposition. Le début de la législature ne fut, pour Françoise Schepmans, qu’un usant tremblement, comme si les répliques du séisme ne devaient jamais s’arrêter. Les tensions avec une administration au mieux méfiante, au pire hostile, ne semblaient pas connaître de fin. L’opposition, dure, faisait de chaque conseil communal une manifestation, et de chaque décision un scandale. Fédérée par la seule adversité, la majorité elle-même, coalition de réformateurs pas franchement hippies, d’écologistes tout sauf centristes et de centristes moyennement vertébrés, partageait peu d’autres aspirations que l’alternance. Les finances de Molenbeek, commune pauvre, grevées par certains choix d’hier et quelques errements d’aujourd’hui, connurent un anormal déficit, et une mise sous tutelle par la Région bruxelloise. Françoise Schepmans avait du mal.

Et alors le malheur frappa. La France, Paris, le Bataclan. Puis la Belgique, Zaventem, Maelbeek. Le malheur était né à Molenbeek, et le monde entier en fit une cible. On en entendit même certains, à Paris, réclamer qu’on la bombardât.

Et à Molenbeek, quelque chose se passa, dont la bourgmestre sortit grandie, parce que sa population, du haut comme du bas, s’était dressée contre l’infamie, et qu’elle aspirait à l’unité. Françoise Schepmans en devint le symbole. Alors aujourd’hui, après six années de pluie, elle peut voir l’automne arriver avec le soleil dans le coeur. Elle mènera en octobre une Liste du bourgmestre – l’étiquette MR reste un handicap dans certains quartiers bigarrés – qui vise une historique première place. Le Parti socialiste la vise aussi, mais il ne profitera pas cette fois de la prime mayorale, ni de sa dénomination. Françoise Schepmans sera donc probablement au centre du jeu pré- et surtout postélectoral. Ses partenaires actuels misent sur une reconduction de la tripartite. Mais les verts se présenteront divisés, et leurs échevinats, principalement ceux de Sarah Turine à la jeunesse et de Karim Majoros au logement, ne leur auront pas gagné de nombreuses fidélités. Quant aux orange, ils avaient beaucoup promis en 2012, et ils sortirent vainqueurs. Mais, inévitablement, ils ont beaucoup déçu. Et les sondages sont rudes pour tout le CDH régional. La N-VA, Islam et le PTB, chacun un siège en 2012, ne sont des partenaires plausibles pour personne. DéFI, un siège aussi, pourrait, en revanche, faire un appoint d’autant plus utile que son chef de file, le jeune député bruxellois Michaël Vossaert, est la figure qui monte de la formation qui monte dans la capitale.

Françoise Schepmans n’a pas oublié d’être maligne. Elle ne pose qu’une alternative : elle sera bourgmestre ou rien. Elle n’affiche d’autre exclusive qu’une volonté, celle de composer une majorité plus forte que l’actuelle, qui, à cause d’une défection au CDH, ne tient aujourd’hui plus qu’à un siège. Ce qui inquiète, chez les verts comme chez les orange. Ceux-là comme les autres passeront une drôle de nuit d’automne, le deuxième dimanche d’octobre. Comme tous les six ans sur la rive gauche du canal.

Communales 2018 : à Molenbeek, la vie n'est pas un canal tranquille

Le pari : Catherine Moureaux. Le premier pari, paternel, était gagné après les élections régionales de 2014 : son alors Schaerbeekoise de fille obtenait, sur le territoire molenbeekois, davantage de voix de préférence que les autres candidats socialistes de Molenbeek. Philippe pouvait alors imposer à la section locale le parachutage de sa fille. Aujourd’hui, celle-ci a mis la main sur celle-là : Catherine est désormais la patronne d’une des plus grosses sections de la fédération bruxelloise. Mais les équilibres sont fragiles. Ses relations avec Jamal Ikazban, chef de groupe de l’opposition PS au conseil communal, notamment, sont rudes. Et là se pose le deuxième pari de Catherine Moureaux. Du résultat socialiste aux élections communales et, surtout, de sa capacité à entrer dans une majorité, dépendra le maintien de la paix des ménages. Donc, somme toute, la suite de la carrière d’une jeune mandataire pleine de potentiel. Que sa liste devance celle de Françoise Schepmans serait un triomphe, qu’elle la talonne une victoire, qu’elle s’y associe, un soulagement. Car compte tenu de la rareté et de la santé des partenaires potentiels – Ecolo et DéFI, c’est à peu près tout – c’est bien avec celle qui a tué le père en 2012 que la fille devra s’entendre en 2018.

La bonne surprise : le retour du RWDM. Après la disparition du Brussels et le tumultueux mais bref bail du White Star, le stade Machtens s’est enfin trouvé un locataire fréquentable. Il porte quatre lettres connues de toute la Belgique, et des couleurs qui ne le sont pas moins. Le RWDM, aujourd’hui en tête de la D2 Amateurs, fait vibrer les tribunes du stade municipal, repavoisées de noir, de blanc et de rouge. Mais sa relance, à l’aube de la saison 2015, a fait trembler les murs du château du Karreveld, où se tiennent les conseils communaux, mais aussi ceux de l’hôtel de ville. L’échevin des sports, Ahmed El Khannouss, suivi d’ailleurs par sa bourgmestre, avait accueilli un an plus tôt le White Star du sulfureux manager John Bico. L’autorité communale, du coup, fut perçue, pas tout à fait à tort, comme réticente à la réinstallation du nouveau RWDM dans ses anciens pénates. Plusieurs conseils communaux furent houleux, agités par des centaines de supporters molenbeekois déchaînés contre le collège en général et contre son échevin des sports en particulier. L’opposition, bien sûr, avait beau jeu de soutenir un projet populaire et… hostile à la majorité en place. L’ancien échevin des sports socialiste Jamal Ikazban y contribua depuis le début. Le conseiller communal DéFI Michael Vossaert, par ailleurs ancien espoir de l’ancien RWDM et fils d’un des dirigeants du nouveau, également. Ils comptent sur le peuple du Machtens pour s’en souvenir. Françoise Schepmans, qui assiste désormais à chaque prestation molenbeekoise dûment écharpée de rouge, de noir et de blanc, beaucoup moins.

Françoise Schepmans a succédé en 2012 à Philippe Moureaux. Une intronisation par effraction. Six ans plus tard, la consécration ?
Françoise Schepmans a succédé en 2012 à Philippe Moureaux. Une intronisation par effraction. Six ans plus tard, la consécration ?© ARNAUD BRUCKNER – AURORE BELOT/ISOPIX

La surprise : les verts en guerre. Dans un livre d’entretiens avec un sociologue italien publié après les attentats, l’échevine Groen ! Annalisa Gadaleta laissait passer quelques messages surprenants pour une écologiste.  » On se croirait au Maghreb  » ou  » l’existence de tant de familles nombreuses peut s’expliquer aussi par notre système d’allocations familales « , par exemple, provoquèrent un compréhensible scandale, et une séparation : Groen ! présentera une liste (avec des candidats flamands et des francophones) et Ecolo une autre (avec des candidats francophones et des flamands). Ni rentable, ni clair, ni pour les uns ni pour les autres.

Le scandale : Philippe Moureaux après les attentats. Historien, ministre d’Etat, professeur émérite de l’ULB, grand sage de la politique belge. Son analyse après les attentats du Bataclan :  » Si j’étais encore bourgmestre, peut-être que ça ne se serait pas produit.  » Factuellement faux : si un bourgmestre avait de l’influence sur la géopolitique mondiale, ça se saurait. Politiquement stupide : sa successeure a gagné en sympathie ce que son prédécesseur perdait en dignité.

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