Yvan Mayeur, Philippe Close et Alain Courtois (tous à dr. sur la photo), face au projet du stade national. Finalement avorté... © NICOLAS MAETERLINCK/BELGAIMAGE

Communales 2018 : à Bruxelles-Ville, après les affaires, la sanction ?

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Samusocial, Gial, piétonnier, stade national… : la Ville clôture une législature très chahutée en matière de gouvernance et marquée par de grands projets chaotiques. Ce qui n’empêche pas PS et MR de songer à poursuivre ensemble. L’opposition, elle, rêve d’une grande révolution citoyenne. Bruxelles, un laboratoire ?

Bruxelles, ville de tous les superlatifs. C’est la capitale du pays et de l’Europe. La commune la plus grande et la plus peuplée de la Région. Celle dont le collège rivalise de puissance avec les autorités régionales. Qui possède sur son territoire le plus d’hôpitaux, d’écoles, de commerces, d’institutions culturelles, de lieux de pouvoir et d’asbl en tout genre.  » Cette ville est un symbole important, clame le premier échevin MR, Alain Courtois. Qui a tous les atouts pour être un laboratoire d’avenir.  » Haut lieu stratégique, Bruxelles est forcément un enjeu politique majeur, depuis toujours. Et un terrain d’affrontements brutaux. A ce titre, la législature qui s’achève fut dantesque.

Bruxelles, ville de toutes les polémiques. Depuis 2013 et l’avènement puis la descente aux enfers du tempétueux bourgmestre Yvan Mayeur (PS), la capitale n’a cessé d’occuper le devant de l’actualité. Rarement de façon positive.  » Le piétonnier décidé de façon précipitée, l’échec du stade national, le scandale du Samusocial et la démission forcée d’Yvan Mayeur, maintenant l’affaire du Gial (l’asbl chargée de la gestion de l’informatique pour la Ville) qui ternit les débuts de Philippe Close… : c’est un fiasco intégral « , grince Benoit Hellings, chef de file Ecolo-Groen.  » Cette majorité PS-MR a mis à mal l’image de la ville « , appuie Fabian Maingain, chef de file de DéFI.  » Le monde politique est perdant, à tous les coups, dans ce contexte délétère « , regrette Didier Wauters, opticien, propulsé tête de liste CDH après le retrait de Joëlle Milquet.

Communales 2018 : à Bruxelles-Ville, après les affaires, la sanction ?

Du Samusocial au Gial

Bienvenue dans une capitale chahutée par les scandales. L’opposition dénonce un  » système  » engendré par le PS et le MR, les deux partis francophones de la majorité actuelle. Celle-ci n’exclut pas pour autant de rempiler pour une seconde législature, si c’est possible sur le plan arithmétique.  » A la Ville, la majorité change à chaque législature, temporise Philippe Close, bourgmestre PS, en poste depuis juin 2017, dans un entretien au Vif/L’Express. Mais en le disant, je ne dis certainement pas que ça s’est mal passé avec notre partenaire actuel. Nous étions le premier parti en 2012, avec 18 sièges (sur 49). L’enjeu sera pour nous de le rester – si nous ne l’étions plus, il pourrait y avoir des mots d’ordre venant d’états-majors pour nous jeter dans l’opposition. Je reste confiant, même si nous avons perdu de gros faiseurs de voix comme Freddy Thielemans (bourgmestre de 2001 à 2013). C’est un beau défi.  » Le tout déclaré avec une rondeur qui contraste avec l’approche carrée de son prédécesseur, Yvan Mayeur.

Pour autant, la page de l’affairisme est-elle tournée ? Assistera-t-on à un virage de grande ampleur au soir du 14 octobre ? L’enjeu bruxellois, plus que jamais, dépasse le cadre strictement communal.

 » La Ville, c’est un Etat dans l’Etat !  » s’exclame Olivier Maingain, président de DéFI. Le constat est largement partagé dans la classe politique bruxelloise. En Flandre, on associe aussi les maux de la capitale avec ce  » système PS  » qui gangrènerait le sud du pays. La caricature n’est jamais loin. Mais l’ahurissante succession de scandales dévoilés depuis deux ans nourrit les aversions. Et précipite les changements politiques. C’est parce qu’il était  » écoeuré  » par l’affaire du Samusocial que Benoît Lutgen, président du CDH, a tiré la prise des alliances de son parti avec le PS, le 19 juin dernier. N’obtenant finalement – et c’est un paradoxe – qu’un changement de majorité en Wallonie, où le CDH a signé avec le MR, et pas en Région bruxelloise, où le CDH reste au pouvoir avec le PS et DéFI…

Lorsqu’il devient bourgmestre, début 2013, le socialiste Yvan Mayeur est pourtant loin de se douter qu’il va provoquer un tel séisme. Président du CPAS bruxellois pendant dix-huit ans, l’homme est un bourreau de travail, dont le franc-parler n’est pas avare de saillies idéologiques. Un homme de gauche, un vrai, venu de nulle part. En apparence, du moins. S’il n’est pas populaire, il a de l’ambition. Et veut marquer la ville de son empreinte. Quitte à déranger et à se faire des ennemis. La manière dont il impose le piétonnier en juin 2015, sans concertation, irrite. Ses opposants réclament sa démission. S’il tombe deux ans plus tard, c’est à la suite des révélations de plusieurs médias, dont Le Vif/L’Express, au sujet des pratiques au sein du Samusocial, asbl extracommunale constituée pour gérer l’accueil des sans-abri. Une noble cause. Mais Mayeur, ainsi que Pascale Peraïta, présidente du CPAS, ont touché de plantureux émoluments pour mener à bien cette mission. Sans aucune transparence.  » J’ai sans doute commis une erreur « , reconnaît Mayeur. Qui s’en va par la petite porte en juin 2017 : poussé dans le dos, il démissionne et anticipe son exclusion du PS.

Son ancien parti compte sur son premier échevin, Philippe Close, pour lui succéder et nettoyer les écuries. Ancien porte-parole d’Elio Di Rupo, l’homme, affable, mène depuis huit mois une révolution en matière de gouvernance.  » La plus grande réforme jamais menée, défend-il. Nous avons supprimé plus de 400 mandats, fortement diminué les rémunérations, j’ai moi-même décumulé avec mon rôle de député régional et je me consacre à 100 % à ce changement de culture.  » L’affaire du Gial ?  » Mais c’est nous-mêmes qui avons demandé l’audit ! Le problème est résolu. Et nous continuerons à tout nettoyer, même si ça fait mal.  » Une sérénité qui tranche avec les critiques acerbes de l’opposition.  » Cette affaire témoigne que la réduction du nombre de mandats ne suffit pas car, le vrai problème, c’est la prolifération des structures « , clame Benoît Hellings.  » Ce n’est pas une gestion saine, acquiesce Fabian Maingain. Je veux bien défendre la vocation sociale de certaines asbl, mais pas cette toile…  »  » On instrumentalise toujours ces structures à des fins politiques ou financières « , dénonce Didier Wauters, qui s’est abstenu sur de nombreux points en tant qu’administrateur du Gial, parce que, en tant que citoyen, il  » ne comprenait pas ces pratiques « …

Le piétonnier de Bruxelles fut décidé dans la précipitation.
Le piétonnier de Bruxelles fut décidé dans la précipitation.© DENIS CLOSON – FREDERIC SIERAKOWSKI/ISOPIX

De grands projets en petits soucis

Ces scandales et les projets pharaoniques ont occupé le devant de la scène médiatique, six ans durant.  » Le point commun, c’est le mode de fonctionnement de la structure  » Ville « , devenue un instrument de prestige et de pouvoir, souligne Benoit Hellings. Sans se soucier de l’intérêt général. Le piétonnier en est l’illustration : ce n’est pas forcément une mauvaise idée, mais il a été décidé sans concertation, dans le seul but d’en faire le plus grand d’Europe, sans réflexion non plus sur la mobilité. C’est de l’événementiel !  »  » Le stade national résume une législature d’échec dans la concrétisation des projets, complète Fabian Maingain. Et regardez le Cirque royal, qui est toujours inoccupé…  »  » Le résultat, c’est que les gens en ont marre de la politique, soutient Didier Wauters. Or, à Bruxelles, il y a un grand problème de participation citoyenne.  » Tous dénoncent aussi le  » cavalier seul  » communal face à la Région, égotique et contre- productif.

Dans la majorité, on fait le gros dos. Les travaux du piétonnier ont commencé, relève-t-on, et cette épine sera bien hors du pied, avec tout le potentiel que ça recouvre. Le stade ?  » Nous n’étions pas demandeurs de le faire comme ça, ce n’était d’ailleurs pas dans notre accord de majorité, lâche Alain Courtois. C’est la Région qui nous a emmenés dans cette aventure rendue impossible par notre lasagne institutionnelle. Qu’il devient difficile de mener à bien de grands projets !  » L’échevin libéral, qui devrait emmener la liste du MR dévoilée à Pâques, soupire :  » Franchement, il faut une solide carapace pour faire de la politique aujourd’hui. Ça a fortement changé depuis 2012. De quoi s’occupe-t-on, parfois… Alors que l’on pourrait faire de Bruxelles un centre de la réflexion sur l’intelligence artificielle, par exemple, car c’est l’un des défis majeurs de ces prochaines années.  »

PS et MR insistent sur les milliers de places créées dans les écoles et crèches ou encore sur la défense des hôpitaux.  » J’ai passé beaucoup de temps sur le terrain, ce sont les questions relatives à leur cadre de vie qui préoccupent les gens avant tout, insiste Philippe Close. Vous savez quelle est leur première préoccupation, et de loin ? La sécurité routière !  » Sans oublier le vivre-ensemble, dans une commune meurtrie par les attentats du 22 mars 2016 et les émeutes à répétition de novembre 2017.

On prend les mêmes ou… ?

Politiquement, la majorité PS-MR, forte actuellement de 28 sièges sur 49, n’exclut donc pas de poursuivre son chemin, si les électeurs le permettent.  » Un préaccord est signé, c’est un secret de Polichinelle « , affirment plusieurs sources. Si le PS s’écroule, le MR n’exclut pas d’exiger le mayorat. Mais l’opposition veut casser cette évidence. Un axe CDH-Ecolo- DéFI se dessine pour changer de paradigme en matière de gouvernance. Reste à savoir quelles seront les forces en présence.

Le CDH, qui rivalisait en 2012 avec le MR (dix sièges chacun), risque de s’effondrer. Le parti humaniste est fragilisé par le retrait de sa figure de proue, Joëlle Milquet, deuxième score en voix de préférence il y a six ans, qui ne figurera pas sur la liste : un choix personnel et la conséquence de son inculpation pour prise illégale d’intérêts lorsqu’elle était ministre fédérale. La mise en retrait d’Hamza Fassi-Fihri, son vice-président régional, pourrait peser lourd également.  » Ça leur coûtera cher auprès des communautés étrangères « , glisse un opposant.  » Ce choix citoyen, décidé de commun accord au sein de notre section, est un sacré challenge, admet Didier Wauters. Mais ça démontre notre volonté de changer les choses. On ne peut plus continuer comme avant…  »

Crédité d’un très bon sondage dans la presse régionale, fin 2017, Ecolo/Groen rêve prudemment… des plus hautes fonctions.  » Nous sommes prêts à prendre nos responsabilités, y compris les plus importantes « , assure Benoit Hellings. DéFI sera un concurrent direct, avec, sur sa liste, deux transfuges écologistes, Marie Nagy et Michaël François.  » Ça gauchise DéFI « , remarque un adversaire.  » Le combat entre MR et DéFI est virulent, ces deux-là n’ont pas avalé leur rupture « , constate un observateur.  » Nous sommes le seul parti de droite « , s’exclame Alain Courtois (MR).

Le match de catch bruxellois sera féroce. Et indécis. D’autant que deux inconnues pourraient changer la donne de cette équation complexe : le score du PTB, emmené par la députée bruxelloise Mathilde El Bakri, et celui de la N-VA, dont le seul élu Johan Van den Driessche, a la critique féroce.  » La question est de savoir comment l’électeur bruxellois sanctionnera ce qui s’est passé durant six ans « , notent plusieurs opposants. Ou, espère-t-on dans la majorité, s’il ne le sanctionnera pas…

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