Olivier Maingain, président de DéFI. © BELGAIMAGE

Comment Maingain a réussi à rassembler Wallons et Bruxellois

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Olivier Maingain, président de DéFI, est le grand vainqueur de la crise de cet été en Belgique francophone. Voici comment ce dinosaure de la politique apparaît aujourd’hui, pour les francophones, comme l’homme providentiel face aux autres partis traditionnels. En rassemblant, pour l’heure, Bruxellois et Wallons.

C’est un paradoxe inouï, fruit d’un opportunisme hallucinant. Olivier Maingain est président de son parti, le FDF rebaptisé DéFI en 2015, depuis vingt-deux ans. C’est un record de longévité dans la politique belge. Avant lui, seul Frans Van der Elst avait fait mieux en restant président de la Volksunie durant vingt ans, entre 1955 et 1975. Pourtant, ce dinosaure vient de réussir la prouesse de s’imposer comme le nouveau phénomène de la politique francophone, intransigeant pour dicter des règles radicales de bonne gouvernance à un milieu sclérosé. Tout l’été, celui qui est aussi bourgmestre de Woluwe-Saint-Lambert a profité de la crise politique déclenchée par son homologue du CDH, Benoît Lutgen, pour vendre à la criée le nouveau visage de sa formation. Ethique. Mais pas seulement.

Cette omniprésence médiatique, marquée par des attaques musclées contre les  » partis traditionnels  » dont DéFI s’exclut, évidemment, porte ses fruits. Temporairement, du moins. Un sondage lui promet un carton : selon le baromètre Ipsos/ Le Soir/RTL publié le 7 septembre, le successeur du FDF deviendrait le deuxième parti à Bruxelles avec 18,4 % (en hausse de plus de 7 % par rapport au scrutin de 2014 ! ) et émergerait enfin en Wallonie, où son implantation de 2012 avait été jusqu’ici un échec, avec une promesse de 6,2 % (contre 2,4 % en 2014). Ce faisant, le parti se rapproche de l’objectif qu’il s’était officieusement fixé : une note interne de 2011 envisageait un horizon à 20 ou 25 % à Bruxelles, après l’éclatement de la fédération avec le MR. De quoi faire de DéFI le nouveau pivot de la politique francophone, à la place… du CDH.

Olivier Maingain, lui, devient le plus populaire à Bruxelles et le deuxième en Wallonie. Ce plébiscite ferait-il de lui le nouveau rassembleur des francophones, incarnant leurs attentes en ces temps troublés ?

La révolution éthique

Alors que les plus optimistes, en interne, misaient sur la résistance à la scission de l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde pour positionner leur parti, c’est un autre thème qui lui permet de s’envoler dans les sondages : la nécessité d’une révolution éthique francophone, inéluctable après les scandales des derniers mois.  » Plus que nous tous réunis, Maingain a compris cet été la colère qui enfle dans la population, résume un libéral qui ne lui est pourtant pas favorable. L’homme a beau être détestable, il faut reconnaître que c’est un maître d’échecs.  » Le président de l’ex-FDF a multiplié les mises en garde assassines à l’encontre d’une classe politique traditionnelle transformée en  » une véritable association de malfaiteurs  » – ce sont ses mots – ou d’un Lutgen  » qui n’a aucune crédibilité pour parler de moralité politique « . Le tout asséné sur un ton  » vieille France  » qui amortit le caractère provoquant du propos. Et avec, dans ses mains, quarante et une propositions pour une meilleure gouvernance.

 » La position d’Olivier Maingain n’était pas improvisée en fonction des événements, précisent Charles-Etienne Lagasse et Christophe Verbist, président et directeur du centre Jacques Georgin, service d’études de DéFI. Nous n’avions pas attendu l’appel du 19 juin de Benoît Lutgen. Depuis trois ans, nous avons mis en place une refonte de la doctrine du parti et la bonne gouvernance constitue un pilier naturel de notre nouvel ADN.  »  » Historiquement, ce n’était pas un pilier fort du FDF, même si le parti a entamé quelques réflexions en matière de participation citoyenne, nuance Jean-Benoit Pilet, directeur du Centre d’étude de la vie politique (Cevipol) de l’ULB. Cet agenda est logique et surprenant. Logique parce que DéFI essaie opportunément de se présenter comme un nouveau parti : en matière de stratégie de communication, c’est bien joué. Surprenant parce qu’on ne peut pas dire que ses principaux cadres, Olivier Maingain et Bernard Clerfayt en tête, montrent le bon exemple en matière de décumul, par exemple.  » Olivier Maingain est député fédéral et bourgmestre en plus d’être président de parti. Bernard Clerfayt est vice-président du parlement bruxellois en plus d’être bourgmestre de Schaerbeek. Peuvent mieux faire…

Bernard Clerfayt, bourgmestre de Schaerbeek, et Didier Gosuin, ministre bruxellois : les deux hommes forts du parti à côté d'Olivier Maingain.
Bernard Clerfayt, bourgmestre de Schaerbeek, et Didier Gosuin, ministre bruxellois : les deux hommes forts du parti à côté d’Olivier Maingain.© NICOLAS MAETERLINCK/BELGAIMAGE

Le libéralisme de gauche

Si la crise déclenchée par Benoît Lutgen a eu un mérite pour DéFI, c’est de montrer dans tous les médias combien l’ancien partenaire du MR avait changé : il élargit ses horizons pour devenir un parti généraliste.  » Quand Olivier Maingain a demandé que l’on modifie le décret Inscriptions comme condition pour entrer dans le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, soudain, les gens ont compris que DéFI n’était plus le FDF ultracommunautaire d’autrefois « , constate un libéral. Mieux : le parti veut s’imposer comme un nouveau pivot de la politique francophone, en s’inspirant de l’exemple de partis qui incarnent un centre rénové dans l’Europe entière, à l’instar de D66 aux Pays-Bas ou La République en marche en France.

 » L’expérience récente montre que les partis de centre-gauche ont une capacité de négociation supérieure à leur poids effectif, soulignent Charles-Etienne Lagasse et Christophe Verbist. La série télévisée Borgen (qui place la cheffe du Parti centriste au pouvoir) en est la parfaite illustration ! Depuis la création de DéFI, nous avons amorcé une approche philosophique du libéralisme social, le coeur de notre programme, et nous avons été surpris de voir qu’Emmanuel Macron avait les mêmes références que nous.  » Généraliste, DéFI met désormais l’accent sur la laïcité de l’Etat, la lutte contre les incivilités quotidiennes, le respect de l’Etat de droit ou la nouvelle économie. En octobre prochain, un congrès fera la synthèse de ce virage ambitieux.  » Nous voulons positionner DéFI comme une alternative non populiste aux partis traditionnels « , clament Charles-Etienne Lagasse et Christophe Verbist, pères de la réflexion. En insistant sur leur indépendance à l’égard des piliers chrétien, socialiste et libéral. Et avec des mots parfois tranchés :  » Les gens doivent comprendre que nous ne faisons pas partie de la politicaille.  »

 » Les enquêtes montrent que DéFI a déjà réussi à chasser en Région bruxelloise sur le terreau centriste du MR et du CDH lors des élections de 2014, analyse Jean-Benoit Pilet. Cela doit encore être confirmé en Wallonie. Pour s’imposer définitivement au centre de l’échiquier électoral, le parti devra aussi retisser les liens avec le MR et panser les plaies encore béantes de leur divorce. Pour arriver à remplacer le PSC/CDH dans sa position, ce qui est son ambition, DéFI devra en effet prouver sa capacité à forger des alliances, tant avec les libéraux qu’avec les socialistes.  » Cela nécessitera un peu de patience, au vu de l’état délétère des relations, depuis six ans, entre Olivier Maingain et le clan Michel….

Les francophones (dés)unis

S’ils ont changé, les anciens FDF n’ont toutefois pas perdu de leur vigueur sur le terrain communautaire.  » Nous restons les plus grands pourfendeurs de la N-VA, qui nie les Bruxellois et les Wallons, et nous dénonçons sans relâche la mainmise flamande sur l’Etat fédéral « , insistent les responsables du centre Jacques Georgin. Le leitmotiv est aussi le suivant :  » Tous les partis francophones se rendent désormais compte que la sixième réforme de l’Etat était une erreur. Nous étions les seuls à avoir vu la catastrophe que cela annonçait pour Bruxelles et la Wallonie.  »

DéFI est issu d’un FDF créé en 1964 pour défendre les intérêts bruxellois. C’est sans doute le parti le plus en phase aujourd’hui avec une évolution durable : le renforcement de l’identité régionale de la capitale. Depuis 2012, il essaie difficilement de porter en Wallonie le concept un peu théorique de  » défense des francophones « . En cette ère d’autonomie accrue pour les entités fédérées, DéFI a une belle carte à jouer en matière d’identité.  » L’idée d’une Fédération Wallonie-Bruxelles remonte à une proposition déposée au parlement par mon père, André Lagasse, en 1991, insiste Charles-Etienne Lagasse. Il prônait cette solidarité entre les deux Régions bien avant que les socialistes Rudy Demotte et Charles Picqué ne reprennent le concept en 2008. Nous sommes aussi le seul parti qui ne souhaite pas remettre en cause les compétences communautaires en matière d’enseignement ou de culture.  »

Le politologue Jean-Benoit Pilet est plus réservé au sujet de cette présumée cohérence institutionnelle.  » En réalité, le parti continue à éviter de trancher entre son aile plus régionaliste portée par Didier Gosuin ou Emmanuel De Bock et celle plus francophone incarnée par le président Olivier Maingain. Pour l’instant, ils ont su éviter le point de rupture. Mais cela risque d’être plus difficile si, au pouvoir, ils devaient trancher un sujet sensible comme la régionalisation de l’enseignement.  » Une certitude : DéFI veut aller de l’avant sur ce terrain, quitte à heurter frontalement cette N-VA qui est, aussi, paradoxalement, une source d’inspiration parce qu’elle porte un projet fort pour la Flandre.

 » Je reproche moins aux partis flamands de savoir ce qu’ils veulent pour la Flandre qu’aux francophones de ne pas savoir ce qu’ils veulent pour eux-mêmes « , nous disait un jour Olivier Maingain. Tout un programme. Celui-là même que DéFI espère incarner en cette époque où la désunion des francophones est pourtant à son paroxysme.

La garde rapprochée

– Caroline Persoons. Députée bruxelloise et francophone, active sur le front scolaire.

– Emmanuel De Bock. Chef de groupe au parlement bruxellois. Une figure montante.

– Cécile Jodogne. Secrétaire d’Etat bruxelloise (Commerce extérieur…). Déterminée.

– Charles-Etienne Lagasse. Fils d’un des fondateurs. Président du service d’études.

– Christophe Verbist. Directeur du service d’études. Un fidèle, ex-chef de cabinet de Maingain.

– Véronique Caprasse. Députée fédérale et échevine à Crainhem. Le visage de la périphérie.

– Michel Colson. Trésorier. Député très actif à la Région bruxelloise.

– Martine Payfa. Députée bruxelloise, ex-bourgmestre de Watermael-Boitsfort.

– Jonathan Martin. Vice-président du parti, le nouvel homme fort wallon.

– Fabian Maingain. Fils du président. Celui qui doit faire basculer Bruxelles-Ville.

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