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Comment les politiques nous enfument

Au coeur de la suspicion d’embrouille « De Decker – Chodiev », l’adoption rocambolesque par les parlementaires d’une de ces lois « fourre-tout » qui autorise les « petits arrangements entre amis » et font le bonheur des lobbies. Ecran total garanti.

Mars 2011 : toujours pas de gouvernement fédéral de plein exercice à l’horizon. Bien qu’en affaires courantes et tenu à un devoir de prudence, le gouvernement Leterme refile aux parlementaires un copieux projet de loi sobrement intitulé « portant des dispositions diverses ». Protection du consommateur, banque-carrefour des permis de conduire, impôts divers, sécurité lors des matches de foot, emploi et Sécu : il y a là, en une bonne centaine d’articles, de quoi satisfaire tous les goûts et bien des appétits. Egalement au menu : une incursion sur le terrain sensible de l’évasion ou la fraude fiscale.

Grand moment de la vie parlementaire, qui atteint un sommet dans le rocambolesque : comment des élus vont réussir à adopter sciemment un texte de loi imparfait, pour aussitôt décider de réparer, par une autre loi, la loi mal ficelée avant même que celle-ci ne soit votée et appliquée…. Tour de force ou de passe-passe, il a fallu pour y arriver un parcours parlementaire atypique, émaillé d’incongruités, de singularités, d’anomalies. Le tout sur fond de marchandage politique âprement discuté en séances : l’extension de la transaction pénale, chère à la droite, contre la levée du secret bancaire voulue par la gauche.

Le pénaliste Adrien Masset, un des trois experts auditionnés au Sénat, a vécu de près cet accès de surréalisme parlementaire. « Il avait été dit et redit que le texte en discussion serait inapplicable juridiquement. Mais il y avait clairement volonté de voter une loi inapplicable, sachant qu’une autre loi, applicable celle-là, allait suivre. C’était assez curieux. »

Un moment de honte parlementaire est vite passé. Députés et sénateurs en ont vu et en verront d’autres, de ces textes de lois-programmes ou « portant des dispositions diverses. » Qui portent bien leur nom de lois « fourre-tout » ou de « lois-mammouth. » Chacune dans leur registre, elles partagent un but ultime : par leur nombre généralement démesuré d’articles, engendrer ce qu’Anne-Emmanuelle Bourgaux, professeure de droit à l’ULB et à Mons, qualifie de « travail législatif à la chaîne » (1.)

« C’est la plus mauvaise façon de légiférer et une vieille habitude prise par beaucoup de gouvernements », soupire le député fédéral Marcel Cheron (Ecolo.) Anne-Emmanuelle Bourgaux date l’effet d’emballement à 1999, l’année où entre en scène un attelage fédéral inédit : l’arc-en-ciel (socialistes – libéraux – écolos.) Hypothèse avancée par la juriste : « plus la décision politique devient difficile à prendre et la majorité gouvernementale est fragile, plus le recours à des paquets législatifs sous forme de lois dites « mammouth » est indiqué. »

Aubaine pour toute coalition qui ne cherche qu’à se faciliter la vie : cette mécanique sans visage est idéale pour brouiller les pistes, sous l’effet du gigantisme et de l’anonymat politique.

(1) Anne-Emmanuelle Bourgaux, « La démocratisation du gouvernement représentatif en Belgique: une promesse oubliée », Thèse, ULB, 2012-2013

Le dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec :

– les recettes pour forcer les élus à voter à la hussarde

– les époques propices aux avalanches de méga-textes législatifs

– comment contrôler le Conseil d’Etat

– le réceptacle du marchandage

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