Theo Francken a déjà obligé Charles Michel à plusieurs recadrages. © BENOIT DOPPAGNE/Belgaimage

Comment les Catalans ont empoisonné la suédoise

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Pendant 72 heures, la majorité fédérale a tremblé, entre la sortie du secrétaire d’Etat Theo Francken proposant l’asile politique pour Carles Puigdemont et la visite de l’intéressé à Bruxelles. Le nationalisme romantique de la N-VA, une épine dans le pied de Charles Michel ? Réponse en cinq temps.

Le gouvernement fédéral a-t-il été embarrassé par la présence à Bruxelles du président catalan Carles Puigdemont et de cinq de ses ministres ?

OUI. La preuve par un long silence radio. Le Premier ministre, Charles Michel, s’est tu dans toutes les langues dans les heures suivant l’annonce de la présence des leaders catalans à Bruxelles. Avant cela, il avait déjà demandé au secrétaire d’Etat Theo Francken (N-VA) de  » ne pas jeter de l’huile sur le feu  » en affirmant que la Belgique pourrait leur accorder l’asile politique.

Le Premier ministre a érigé une digue entre son gouvernement et la décision  » personnelle  » des Catalans de venir s’exprimer dans la capitale de l’Europe. En trois temps. Tout d’abord, un sms a été envoyé à ses ministres pour interdire tout contact avec Carles Puigdemont. Ensuite, la chancellerie du Premier ministre a refusé que la conférence de presse du président catalan destitué se déroule au Résidence Palace, le centre de presse européen, dont elle gère l’accès. Enfin, Charles Michel a envoyé David Clarinval, chef de groupe MR à la Chambre, pour éteindre l’incendie :  » La visite privée de Carles Puigdemont n’a pas à être commentée par le gouvernement.  » Finalement, le Premier ministre a été contraint de sortir de sa réserve par communiqué :  » M. Puigdemont n’est en Belgique ni à l’invitation, ni à l’initiative du gouvernement belge. La libre circulation au sein de l’espace Schengen lui permet d’être présent en Belgique sans autre formalité. Il sera traité comme n’importe quel citoyen européen.  »

Digue supplémentaire : le président de la Chambre, Siegfried Bracke (N-VA), a refusé la demande faite par l’opposition d’entendre Charles Michel de toute urgence.  » Il utilise sa fonction pour faire barrage « , s’indigne Jean-Marc Nollet, chef de groupe Ecolo. Mais le malaise au sein de la suédoise filtre aussi des propos sarcastiques du vice-Premier CD&V, Kris Peeters :  » Quand on appelle à l’indépendance, on reste près de son peuple.  » Une tension qui s’explique par le bras de fer permanent entre N-VA et CD&V. Mais pas seulement : le fond de ce dossier est un piège.

Peut-on imaginer qu’il n’y ait eu aucun contact préalable entre les Catalans et la N-VA ?

NON. Quelques heures durant, la rumeur a couru que Carles Puigdemont et les siens étaient venus à Bruxelles sur une invitation  » privée  » de la N-VA. Avant que le porte-parole du parti ne décline :  » Si Carles Puigdemont se trouve à Bruxelles, ce n’est sûrement pas à l’invitation  » du parti nationaliste flamand. Et le vice-Premier N-VA, Jan Jambon, n’était  » pas au courant « . Voilà pour la version officielle.

Officieusement, il est toutefois possible, voire inéluctable, que des contacts officieux aient eu lieu entre des responsables de la N-VA et leurs homologues catalans. Les liens entre ces partis nationalistes sont structurels au niveau européen et très nourris sur le plan bilatéral, comme c’est le cas avec leurs homologues écossais ou basques, d’ailleurs. L’eurodéputé Mark Demesmaeker voyage régulièrement dans ces régions aux velléités indépendantistes et s’y est encore rendu le 28 septembre dernier comme observateur du référendum à la demande du gouvernement catalan. Après la prise de parole de Carles Puigdemont, ce mardi 31 octobre, Mark Demesmaeker, mais aussi des personnalités de premier plan de la N-VA comme Sander Loones (vice-président du parti) ou Piet De Zaeger (directeur général), ont abondamment relayé la position du leader indépendantiste sur les réseaux sociaux. Tandis que le député N-VA Peter Luykx avouait :  » Puigdemont pourra toujours loger chez moi.  » L’expression de cette fraternité nationaliste romantique embarrasse Charles Michel.

La position de la N-VA est-elle contraire à celle de la diplomatie belge ?

OUI. Ce soutien explicite à l’indépendance de la Catalogne de la part d’un parti membre de la majorité fédérale déforce la position du Premier ministre au niveau européen. Quand il s’agissait de dénoncer la violence des policiers espagnols lors du référendum, les positions de la N-VA et du Premier pouvaient encore être compatibles. C’est d’ailleurs pourquoi Charles Michel avait, le premier des chefs d’Etat européens, exprimé sa préoccupation sur Twitter. Mais dès lors que la Belgique soutient clairement la position européenne visant à défendre l’intégrité territoriale espagnole, il n’y a plus de compatibilité possible. Quand des membres de la N-VA relaient la thèse de Puigdemont selon laquelle la justice espagnole est  » politisée « , ils s’écartent de la voie prônée par la diplomatie belge.

Une éventuelle demande d’asile des leaders catalans ferait-elle tomber la suédoise ?

NON, MAIS…  » Carles Puigdemont pourrait demander l’asile politique à la Belgique  » : la déclaration tonitruante du secrétaire d’Etat Theo Francken a fait l’effet d’une bombe. En l’occurrence, sans objet pour l’instant. Le président catalan n’a pas – encore ? – formulé une telle demande, il l’a confirmé lors de sa déclaration du 31 octobre. Tout en précisant, non sans ambiguïté, qu’il était à Bruxelles  » pour éviter les menaces  » et en ajoutant que les ministres de son gouvernement avaient tous  » famille et enfants « . Or, ces derniers risquent des peines pouvant aller jusqu’à trente ans de prison, en Espagne, pour rébellion. Là encore, le Premier ministre tient sa digue.  » Si demande d’asile il devait y avoir, elle serait traitée par un organisme indépendant, à savoir le Commissariat général aux réfugiés et apatrides et le gouvernement, qui respecte l’Etat de droit, ne serait en aucun cas sollicité « , dit David Clarinval. Mais jusqu’où le couple N-VA – MR tiendra-t-il face au risque d’une crise diplomatique majeure avec l’Espagne, allié important d’un Charles Michel soucieux de peser sur le futur de l’Europe ? La présence prolongée chez nous d’une forme de  » gouvernement catalan en exil  » endommagerait sévèrement la relation Bruxelles – Madrid.

La N-VA fait-elle ce qu’elle veut au sein de la suédoise ?

OUI, MAIS…  » Charles Michel est l’otage de la N-VA !  » Refrain connu, de la part d’Ahmed Laaouej (PS). Depuis le début de la suédoise, l’opposition ne cesse d’affirmer que le vrai Premier ministre se trouve à Anvers. Un slogan un peu facile : le locataire du Seize a recadré plusieurs fois son partenaire nationaliste et l’a ramené dans la ligne stricte de la déclaration gouvernementale. Version MR : le style d’un Theo Francken dérange mais, sur le fond, il mène une politique que nous défendons. Ce slogan contient toutefois, forcément, une part de vérité : Charles Michel doit évidemment composer avec l’avis, souvent tranché, du premier parti de sa coalition. Et la digue est fragile. Elle avait failli céder récemment avec le  » nettoyage  » du parc Maximilien, version Francken, et surtout la collaboration avec les autorités soudanaises, qui avaient irrité plus d’un libéral francophone. La crise catalane, aux contours inattendus, impose au couple MR – N-VA de drôles de contorsions, alors qu’on entre dans deux années électorales cruciales en Belgique. Et la question se pose, plus que jamais : jusqu’où Theo Francken pourra-t-il déraper sans en payer le prix ?

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