Jean-Philippe Mogenet

Comment le Pacte d’Excellence et son « tronc commun » étouffent l’enseignement du latin

Jean-Philippe Mogenet Ex-professeur de latin-grec et ex-directeur de college

C’est un véritable scandale que dénoncent à juste titre les professeurs de latin et les très nombreux parents qui considèrent que son apprentissage apporte une réelle plus-value au cursus de leurs enfants.

En effet, le Pacte d’Excellence ne prévoit plus de latin (sans grec) qu’à doses homéopathiques : en résumé, une période par semaine, et peut-être rien en troisième année, au lieu de 2, 3 ou 4 actuellement. Autant dire qu’on va passer d’une situation qui permet pour l’instant aux professeurs de produire un travail sérieux, à une représentation purement symbolique.

Cette gabegie, à n’en pas douter, a pour origine un choix idéologique, de la part de certains acteurs du Pacte, puisque dans sa deuxième version, qui a eu cours environ jusqu’à la fin du premier trimestre de cette année scolaire, le mot « latin » n’était même pas cité! Suite à différentes interventions -dont la mienne- auprès de la ministre -qui avait décidé, jusque-là, de « ne pas interférer dans les travaux du Pacte »-, Madame Schyns a soufflé dans l’oreille des décideurs qu’il serait tout de même opportun que le latin figure dans la troisième version. Il s’y trouve donc. Mais au nom du « parcours identique pour tous », ce cours, pourtant enseigné dans 300 écoles, n’apparaitra plus que sous la forme d’une vague figuration.

Paradoxalement, les cours de langues anciennes, qui ont toujours participé d’une forme d’excellence pédagogique reconnue, se verront donc reléguer dans l’oubli, à brève échéance, sous l’action de ce pacte prétentieusement appelé « d’Excellence » par la ministre de l’enseignement précédente.

Voici ce qui se voit (le témoignage est de source première!), presque systématiquement, lors des cours de latin, partout en Wallonie: des professeurs très engagés en faveur de la discipline qu’ils enseignent, cherchant sans cesse à « faire grandir » leurs élèves d’une manière ou d’une autre. Conscients de l’importance de la qualité de l’expression , en français, pour l’ensemble du cursus scolaire puis professionnel, ils veillent sans relâche à ce que celle des adolescents qui leur sont confiés progresse continuellement, notamment par le choix des termes les plus adéquats lorsqu’il s’agit de traduire un texte ancien, par l’explication historique (« l’étymologie ») continuelle du vocabulaire français (voire italien, espagnol, ou même en langues germaniques), par l’accroissement significatif du bagage lexical français des élèves – notamment dans les domaines scientifiques -, par la maîtrise accrue de la grammaire française que permet l’apprentissage des notions principales de la latine.

Et puis, c’est inconsciemment, aussi, que ces professeurs permettent à leurs élèves de mieux s’exprimer après avoir suivi leurs cours: en effet, le plus souvent ces enseignants en langues anciennes manient parfaitement la langue française, leur diction est précise et leur vocabulaire étendu: ils constituent donc un exemple à suivre pour leurs élèves. Car c’est notamment par l’imitation que s’acquièrent ces compétences essentielles: les cours ex-cathedra, pourvu qu’ils n’occupent qu’une partie du temps consacré à l’apprentissage, demeurent donc profitables et nécessaires.

Culturellement, en trois quarts d’heure, les connaissances des adolescents grimpent souvent en flèche. Leur esprit d’analyse, de logique, se développe peu à peu, au même titre – mais d’une façon différente – que par les mathématiques, texte après texte, traduction après traduction (un exercice passionnant, mais peu aisé): nombreux sont ceux qui, après la fin de leur cursus scolaire, évoquent combien tout cela leur a été utile pour leurs études supérieures, ou leur existence professionnelle.

Et puis, l’actualité ne nous montre-t-elle pas que, dans le respect de tous, nous devons plus que jamais nous accrocher aux fondements de notre civilisation? Les langues anciennes, comme le cours d’Histoire, y participent.

Mais par ailleurs, non, le latin n’est pas un « must ». Cet « idem pour tous » idéologique produira un ennui considérable, donc des problèmes disciplinaires accrus. Actuellement, tout le monde peut choisir de faire du latin – qui n’a donc rien d’élitiste – , ou de ne pas en faire, car bien d’autres formes d’intelligences (notamment pratiques) valent bien la sensibilité littéraire. Le tronc commun fonctionne mal en Finlande (qu’on se renseigne sur ce qui vient après lui, là-bas!), cessons donc d’en faire un modèle.

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