COMMENT LE MR PROFITE DE LA N-VA

En fait, les provocations à répétition des nationalistes flamands arrangent plutôt les libéraux francophones, en cette ère de repli sur soi : ils ont durci leur discours sur l’immigration depuis 2011, déjà.

« Je prends mes distances avec les propos tenus par la N-VA.  » La mise au point du Premier ministre, dimanche 11 décembre à la RTBF, se veut solennelle. Elle intervient en pleine nouvelle  » affaire Theo Francken  » : le secrétaire d’Etat N-VA refuse d’accorder un visa à une famille syrienne, malgré une injonction de justice. Et, pour le soutenir, le parti nationaliste flamand a lancé une campagne sur les réseaux sociaux contre ce  » gouvernement de juges  » qui risquerait d’ouvrir les frontières de la Belgique.  » La séparation des pouvoirs et l’Etat de droit sont des principes fondamentaux « , clame Charles Michel. Mais sur le fond, s’empresse-t-il de préciser, les partenaires de la majorité fédérale sont sur la même longueur d’onde : tous les recours possibles seront utilisés pour s’opposer à l’octroi de ce visa. Et éviter un précédent.  » Ce que le gouvernement a décidé, ce n’est pas pour plaire à la N-VA, mais bien parce qu’il s’agit de notre conviction profonde « , souligne le député libéral Richard Miller. D’ailleurs, au bureau du MR, le 12 décembre, la présidente du Sénat, Christine Defraigne, s’est fait taper sur les doigts : elle s’était déclarée  » choquée  » par l’attitude de la N-VA, dénonçant les  » slogans populistes  » de Theo Francken et de son président, Bart De Wever.  » Christine pourrait donner l’impression qu’il y a deux partis « , dénonce un ténor…

Les provocations à répétition de la N-VA ne dérangent pas le MR. Elles l’arrangent. Le parti flamand dit tout haut ce qu’une large frange de l’opinion pense de moins en moins bas. Les libéraux francophones peuvent donc capitaliser tout en se profilant de façon plus modérée. Un coup double.  » Nous sommes obligés de crier que ça ne va pas quand Bart De Wever s’en prend aux juges francophones, c’est normal, complète Richard Miller. Mais sur le fond du dossier, il reste un axe fort MR – N-VA au sein de la majorité fédérale. Je le ressentais déjà à la fin de la législature précédente, tant à la Chambre qu’au Sénat, sur le socio-économique ou l’immigration.  »

Le tournant de 2011

Le virage remonte à février 2011. Ce fut un tournant dans l’histoire du pays, un moment annonciateur de la future suédoise. A la manoeuvre, Theo Francken et Denis Ducarme, aujourd’hui respectivement secrétaire d’Etat à l’Asile et chef de groupe MR à la Chambre. Leur démarche ? Profiter d’un certain vide du pouvoir, avec un gouvernement en affaires courantes (celui d’Yves Leterme), pour élaborer une majorité alternative avec… la N-VA, l’Open VLD et le CD&V. Soit la majorité actuelle. Objectif ? Durcir les conditions du regroupement familial. Pour préparer cette majorité alternative, une réunion entre Charles Michel et Bart De Wever, à la vue de tous, est organisée au siège du MR, boulevard de la Toison d’or à Bruxelles, en compagnie de Francken et Ducarme, mais aussi de Jacqueline Galant. Nommé président du parti à la fin janvier 2011, le fils Michel pose là un geste fort après avoir déjà remis sa formation en selle dans les négociations sur la réforme de l’Etat.  » Cela a duré trois quarts d’heure, nous dira Charles Michel, plus tard, et on n’a parlé que du regroupement familial. C’était une réunion technique, sans chaleur et sans connivence. Je l’avais organisée avec des pieds de plomb, j’étais réticent, mais je n’avais pas de bons arguments pour refuser.  » Moins de quatre ans plus tard, la suédoise voit le jour.

Charles Michel devenu Premier ministre, les polémiques se multiplient en matière d’immigration, surtout après les attentats et la crise des migrants. Chaque fois, le modus operandi est le même : la N-VA bouscule l’opinion avec des petites phrases ou des volontés de réforme ; le MR se distancie dans un premier temps, sur la forme, puis affirme que la question peut être étudiée, qu’il ne peut y avoir de tabous dans ces matières-là. C’est le cas lorsque le vice-Premier N-VA Jan Jambon accuse une  » part significative  » de la communauté musulmane d’avoir dansé après les attentats de Bruxelles, en mars dernier. Ou quand Bart De Wever évoque la nécessité de revoir la Convention de Genève ou, au moins, les conditions de l’octroi de l’asile.

 » La ligne personnelle de Charles Michel, et celle des libéraux depuis 2011, est claire et s’explique aussi par des motivations stratégiques, confirme Benoît Rihoux, politologue à l’UCL et coauteur des enquêtes postélectorales belges, réalisées par un consortium d’universités. De larges pans de l’électorat francophone sont inquiets par les évolutions des dernières années en matière d’asile et de migration, deux thématiques que l’on mélange allègrement. Ce peut être un choix payant que de tenir de telles positions, fermes. La N-VA a par ailleurs démontré sa capacité à occuper l’espace et à construire l’agenda politique. Elle a la force de sa cohérence sur le sujet, alors que le MR, le CD&V ou l’Open VLD sont plus prudents, car plus divisés.  »

 » Une campagne subversive  »

En Flandre, la dernière campagne de la N-VA a heurté l’Open VLD et le CD&V. Au point que l’on évoquait ouvertement dans la presse flamande la possibilité que le gouvernement Michel tombe prochainement.  » A ma connaissance, l’atmosphère au sein du gouvernement reste excellente « , dément le MR Richard Miller. Mais le parti du Premier ministre reste secoué. Interrogée par Le Vif/ L’Express, à l’issue du bureau du MR, le 12 décembre, Christine Defraigne persiste dans son indignation :  » Je n’ai pas changé d’avis sur le fond. Comme tous les justiciables, le gouvernement a bien sûr le droit d’utiliser toutes les voies de recours possibles. Mais si le recours n’est pas suspensif, la décision doit être exécutée. Je trouve cela incroyable qu’un secrétaire d’Etat affirme ouvertement qu’il ne va pas l’exécuter.  » Quant à la campagne de la N-VA, la présidente du Sénat la juge  » totalement inadmissible. C’est une forme de subversion. Imaginez qu’un particulier fasse cela ? On le condamnerait immédiatement d’outrage à magistrat. Oui, je répète le terme que j’ai employé : c’est du populisme. Personne ne me contredit quand j’affirme qu’il est inacceptable de s’en prendre au pouvoir indépendant de la justice, qui est un des fondements de la démocratie. On ne peut violer la séparation des pouvoirs selon Montesquieu.  » Sur le fond, Christine Defraigne insiste sur la nécessité de  » respecter le caractère humanitaire des Conventions internationales signées par la Belgique « .

Pendant ce temps, à Charleroi, Denis Ducarme accueillait… Theo Francken pour débattre d' » un gouvernement qui ose réformer nos politiques d’immigration  » (lire aussi page 21). Olivier Chastel, le président du MR, annoncé sur les affiches, n’est finalement pas venu. Les rangs ne sont peut-être pas si serrés.

PAR OLIVIER MOUTON

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