Les relations entre la police et les citoyens sont parfois tendues comme l'atteste cette protestation, rue de La Loi , à Bruxelles , après la mort de la petite Mawda. © BELGA

Comment la police tente d’améliorer son image auprès des citoyens

Stagiaire Le Vif

Les relations entre la police et les citoyens ne sont pas toujours au beau fixe. C’est un constat du forum européen qui traite de problématiques concernant les citoyens. En 2015, un projet de soutien à la police bruxelloise avait été lancé. Mais comment ces relations se portent-elles aujourd’hui et quels enjeux soulèvent cette question?

Selon Sebastian Roché, directeur de recherche politique au CNRS, une relation de confiance entre la police et la population est primordiale dans une démocratie qui fonctionne bien. Mais comment expliquer ce rapport conflictuel persistant entre la population et les forces de l’ordre ? Les causes sont nombreuses et les responsabilités de la mésentente partagées.

Du côté de la population, on pointe les nombreux contrôles au faciès, l’usage illégitime de la force, la formation insuffisante des policiers et des interpellations parfois arbitraires. Quant aux forces de l’ordre, elles déplorent la méconnaissance de son rôle et des difficultés face auxquelles elles sont confrontées chaque jour, ainsi qu’un manque de reconnaissance.

Comment mesurer le niveau de satisfaction ?

« L’Union européenne dispose d’indicateurs pour mesurer le niveau économique d’un pays, par exemple, mais pas d’outils en ce qui concerne la qualité du service rendu par la police. C’est pour cette raison que des études ont commencé dans ce domaine qui était vierge« , indique Sebastian Roché. « On s’est rendu compte que ce qui est intéressant, ce n’est pas les sondages d’opinion qu’on peut lire de temps à autre, mais la comparaison du niveau de qualité du service de la police dans tous les pays européens. Là on découvre que la France, par exemple, est au même niveau que la Grèce alors qu’il s’agit d’un pays plus développé économiquement « . La situation en Belgique se révèle un peu meilleure que celle de sa voisine, mais encore loin derrière les pays nordiques, et en particulier le Danemark. « Le Danemark est un pays libéral, mais il est tourné vers le citoyen« , explique le sociologue. « La confiance entre la police et le citoyen est fondamentale, car elle permet la cohésion sociale. En fait, les sociétés tiennent principalement sur leurs ressemblances. Cependant, dans les grandes nations, la cohésion se fait au niveau de la loi. La police se doit alors d’être la gardienne des normes collectives. Si le citoyen ne croit pas en elle, il ne croit pas, in fine, au modèle de société proposé ».

Si vous êtes un jeune homme de couleur, vous avez toutes les chances d’être contrôlé

Le premier facteur qui impacte négativement sur cette relation de confiance c’est l’exposition répétée aux contrôles. Les contrôles au faciès peuvent d’ailleurs jouer un rôle important dans détérioration des relations entre la police et les citoyens. « On a trois facteurs qui entrent en compte : l’âge, le genre, et l’ethnie. On sait que les jeunes se font contrôler plus souvent que le reste de la population, ainsi que les hommes et les personnes qui ne sont pas blanches », déclare le scientifique. « Si vous êtes un jeune homme de couleur, vous avez donc toutes les chances pour être contrôlé« .

Cependant, selon Sebastian Roché, certains facteurs peuvent aussi améliorer cette relation. Ils concernent tous les aspects liés à la qualité du service quotidien. Plus la police est accessible et visible, et plus la satisfaction de la population augmente. « La police détient beaucoup de pouvoir. Certains rejettent l’État et la police, car ils ne les considèrent pas comme étant légitimes. Mais cette partie de la population est minoritaire. La majorité des citoyens ne sont pas dans cette optique. Au contraire, ils estiment que la police est nécessaire et reconnaissent sa légitimité. Donc ce que les gens vont juger c’est la manière de travailler des policiers. Pourquoi l’opinion est en faveur de la police après un attentat et contre après des événements comme « l’affaire Théo » ? Ce n’est pas qu’ils contestent la police, mais les gens jugent au cas par cas. L’opinion fluctue en fonction des événements « .

Les gens jugent au cas par cas. L’opinion fluctue en fonction des événements.

En ce qui concerne les inégalités de traitement, le sociologue explique que ce problème ne vient pas de la police elle-même, mais bien de la société en général. « Lorsque les sociétés sont clivées, cela affecte le travail de la police. Aux États-Unis par exemple, il existe un clivage entre les blancs et les noirs. Pour la Turquie c’est le clivage est/ouest. En France, c’est plutôt le clivage religion/athéisme. On a vraiment une polarisation autour des questions religieuse et identitaire. C’est pourquoi les jeunes musulmans sont dans une relation de tension perpétuelle avec la police. Pour pallier ce problème, il est impératif que dans un premier temps, le citoyen s’informe et connaisse ses droits afin de les faire respecter. »

Contrôle de police, à Bruxelles, en 2018.
Contrôle de police, à Bruxelles, en 2018. © BELGA

« On a voulu créer un électrochoc chez les policiers »

Pour améliorer le contact entre la police et le citoyen, la Belgique n’est pas en reste. Grâce au soutien d’IMPULSE, un projet européen créé il y a quelques années, la police locale de Bruxelles a développé et concrétisé deux projets : le Dilemma Training, une formation pour améliorer le premier contact entre citoyens et policiers et la création d’un guide pratique de poche à l’usage des policiers de terrain.

Le service des affaires internes de la police a ainsi identifié les plaintes les plus souvent émises à l’encontre du corps de police. Sur cette base, quatre clips vidéo teintés d’humour et intitulés « Et si c’était vous… ? » ont été réalisés. Ces capsules présentent, de façon exagérée, des comportements que les policiers doivent tenter de bannir dans leur approche avec le citoyen.

Une formation d’une journée, basée sur l’interaction et la communication, a ensuite vu le jour. Bettina Merelle, responsable de la Cellule DGG de gestion et stratégie à la police explique cette initiative originale : « En 2015, la police de Bruxelles a été associée au projet EFUS. On a reçu un petit budget pour réaliser deux projets en interne. Le constat de l’Union européenne était sans appel: la police souffrait de lacunes en termes d’accueil du citoyen, essentiellement. On a donc eu l’idée de créer une formation soutenue par des capsules vidéo. Le but pour nous c’était de créer un projet atypique pour sensibiliser notre personnel. Les policiers ont joué les acteurs et ont mis en scène des thématiques qui abordent les problèmes rencontrés sur le terrain. On voulait créer un électrochoc chez le policier ».

Les vidéos, de quelques minutes, mettent en scènes des situations comme, par exemple, des victimes qui viennent porter plainte pour viol, des plaintes pour cambriolage, des arrestations, etc. Le but est de lutter contre une approche qui manque d’humanisme, ou encore contre le racisme involontaire.

Une approche interactionnelle et communicative

Olivier Slosse, commissaire de Bruxelles-Capitale/Ixelles, donne ces formations. « En fait, tout tourne autour de la question de la confiance. On veut sensibiliser les policiers à cela pour créer une bonne réputation pour la police. C’est vrai qu’il arrive que les policiers manquent de transparence par rapport aux motivations qui les poussent à contrôler l’identité des citoyens. On apprend donc aux policiers à formuler pourquoi ils exécutent le contrôle et cela les oblige à effectuer leurs contrôles selon le comportement des gens et pas selon leur apparence« . La police de Bruxelles tente de se rapprocher d’un système comme celui pratiqué aux Pays-Bas. « Amsterdam fait figure d’exemple pour nous. Là-bas, les policiers préconisent un rapport communicatif et interactionnel avec les citoyens. »

Instaurer une relation de confiance c’est primordial pour pousser à la collaboration.

Concrètement, la formation est un entrainement à la résolution de dilemme. Les policiers sont face à des situations concrètes et doivent trouver des solutions. « Dilemma training est une formation sur le processus décisionnel et l’usage des techniques d’analyse de situations difficiles. On aide les policiers dans leur réflexion. On agit en plusieurs étapes. D’abord, on demande ce que la vidéo illustre comme problématique. Ensuite on met en avant les parties prenantes dans une interaction. On utilise des textes pour formuler les problèmes en terme éthique et juridique. On met le tout en commun et les policiers ont des pistes. On est toujours confronté à des dilemmes et il est difficile de choisir telles ou telles options. Donc j’explique aux policiers ce qui entre en jeux pour pouvoir faire ces choix même s’il n’y a pas de solutions toutes prêtes« , insiste le commissaire.

La formation initiale des policier est basée essentiellement sur l’aspect juridique ne comprend pas d’aspects communicationnels. « Il faut mettre en évidence ce qu’on a à gagner en ayant un lien positif avec la population. Par exemple, si on malmène des suspects de terrorisme, ils ne vont pas vouloir parler lors des interrogatoires. Tandis que si la relation est bonne, on aura davantage d’informations pour mieux protéger la population. Instaurer une relation de confiance c’est primordial pour pousser à la collaboration ».

On a le monopole de la violence et on doit l’utiliser

Usage de la
Usage de la « violence policière » lors d’arrestations.© BELGA

Ce que l’on reproche aux médias, c’est l’image négative qu’ils livrent de la police« , explique le commissaire. « Nous on a le monopole de la violence. On doit l’utiliser. Alors quand les médias parlent de « violence policière » ça ne veut pas dire grand-chose. Souvent, des événements sont sortis de leur contexte et cela nous frustre de voir que des faits sont analysés de manières isolée et immédiate. Ça peut blesser certains policiers et donner une mauvaise image. Ce qu’on déplore, ce sont les généralités sur la police. Souvent, à cause d’un seul policier qui peut commettre une erreur, les gens remettent tout le corps policier en doute. Au final, une grande partie des interactions se passent relativement bien. Après, chaque intervention est différente, il n’y a pas de mode d’emploi, mais la clé c’est d’être capable de communiquer. Je dois avouer qu’on souffre également d’un manque de reconnaissance et de confiance de la part des citoyens. C’est vrai qu’après un attentat ou un événement comme l’attaque envers les policières à Liège, les gens nous soutiennent, mais on aimerait aussi être soutenu en dehors de cela. Il arrive que l’on reçoive des fleurs ou des pralines et ça fait toujours plaisir. « 

Une immersion dans la zone de police d’Ixelles

Luc Poplimont, policier en charge de la zone de Bruxelles-Ixelles, fait figure d’exemple en termes de bonne relation avec les citoyens. Le régisseur de quartier, à la tête d’une cellule de dix policiers, joue le rôle d’intermédiaire entre la police et les autorités locales. Il jette aussi des ponts entre la police et le voisinage en amenant des solutions aux problèmes de nuisance, d’insécurité et d’insalubrité.

Son village, comme il aime l’appeler, il le connait par coeur.  »Moi je gère un quartier de 3,15 km2 comprenant 7600 habitants, 600 commerces, onze hôtels, quatre boites de nuit, un théâtre et des rénovations permanentes depuis quatre ans avec d’énormes chantiers« .

Chaque jour, il patrouille quelques heures pour vérifier les déclarations de résidence, mettre à jour sa base de données, s’assurer de la tranquillité du quartier, mais surtout être vu par les citoyens et les commerçants. « La confiance, ça se travaille au jour le jour. Moi, j’ai mis deux années à tisser mon réseau et à établir cette relation de confiance et ce lien avec la population. La confiance est quelque chose qui se gagne. Si je patrouille, c’est aussi pour que les citoyens me voient et se sentent en sécurité« .

Ce que préconise le policier Luc Poplimont, c’est avant tout une présence active et visible des policiers dans sa zone. « Je demande à mes hommes d’être présents et de bien connaitre leur zone. Avec les attentats de 2015, les choses ont changé. Maintenant on doit trouver des solutions avant que les problèmes ne surviennent. Ensuite, il faut rassurer les citoyens qui ont eu très peur. Après il ne faut pas oublier de faire la police. À ce sujet, j’aime dire que je suis une main de fer dans un gant de velours. »

L’agent Luc Poplimont, discutant avec une commerçante lors de sa patrouille journalière.

Luc Poplimont discute avec une commerçante lors de sa patrouille journalière.
Luc Poplimont discute avec une commerçante lors de sa patrouille journalière. © Félicia Mauro

Réseautage et communication

Lorsqu’il patrouille, Luc Poplimont entre dans chaque commerce de son « village ». « Il faut rentrer dans chaque magasin pour dire bonjour. Les conseils que je donne à mes hommes, c’est tout d’abord de commencer par dire bonjour quand ils interpellent une personne. Il faut privilégier une approche courtoise et moins rigide », préconise-t-il.

La deuxième clé d’une bonne communication pour le policier, c’est le réseautage.  »Je suis parvenu à tisser un vrai réseau en allant sur le terrain. Ça permet d’avoir des informations sans passer par des intermédiaires en cas de besoin ».

Que ce soit avec les élus locaux, les commerçants, les restaurateurs, les agents de sécurité, les vendeurs de fruits et légumes, ou même les commerces ambulants, Luc Poplimont s’arrête pour saluer chaque personne et prendre des nouvelles. « C’est à moi d’aller vers les citoyens pour briser la glace. Un bonjour, un sourire et la relation se passe toujours cordialement. C’est du donnant-donnant. Quand quelqu’un a un souci, il sait qu’il peut venir me trouver. C’est important d’être le référent des gens et de faire le lien avec l’administration par exemple. »

Il faut toujours se mettre à la place des gens.

Pour l’agent de quartier, le policier est un personnage public à part entière. « Les gens attendent de toi que tu viennes à leur rencontre. Quand je suis arrivée, il y a une dizaine d’années, je suis venu avec une approche différente. Je ne travaille pas sur le quantitatif, mais sur le qualitatif. C’est une manière de procéder qui tient compte du citoyen. En fait, il faut toujours se mettre à la place des gens. Bien sûr, tout cela prend du temps, mais il faut le faire, car au final, ça permet de faciliter le travail. Si quelqu’un se fait cambrioler par exemple, je n’ai qu’un coup de fil à passer pour avoir accès aux caméras. Ensuite j’ai des informateurs dans le quartier. Cela est possible uniquement parce que les gens ont confiance en nous ».

Pour Luc Poplimont, devenu au fil du temps ami avec quelques personnes du quartier, il faut quand même fixer des limites.  »Le piège ce serait de trop rentrer dans l’intimité des gens, de copiner. Moi, j’ai un principe : je paie toujours mes consommations et je ne fais jamais sauter de PV. Quand quelqu’un commet une infraction, je verbalise. Ce que j’aime répéter c’est qu’il faut faire preuve d’empathie sans jamais tomber dans l’emphase. »

Félicia Mauro

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