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Comment exister face à la N-VA ?

François Brabant
François Brabant Journaliste politique au Vif/L'Express

Quelle stratégie les partis flamands ont-ils adoptée compte tenu de la toute-puissance des troupes de Bart De Wever ? Quel est le comportement qui peut leur laisser une chance d’enrayer le raz-de-marée nationaliste annoncé ?

Contre la N-VA, ils ont tout essayé. La suivre comme son ombre. L’attaquer de front. L’ignorer. Pointer ses contradictions. La sommer de prendre ses responsabilités. Se coaliser contre elle. S’allier avec elle. Résultat ? Toujours le même. Depuis cinq ans, la règle semble immuable : la politique belge est un jeu qui se joue sur un axe gauche-droite et sur un terrain nord-sud, et à la fin, c’est la N-VA qui gagne.

Après les cuisantes défaites de 2009, 2010 et 2012, les adversaires de Bart De Wever ont-ils peaufiné leur ligne de défense ? Ont-ils enfin adopté une attitude cohérente pour contrer les nationalistes et éviter un nouveau ressac le 25 mai ? Rien n’est moins sûr. « Face à la N-VA, personne n’a de stratégie claire, constate le conseiller de l’ombre d’un parti flamand. Une multitude de stratégies coexistent, de façon parfois désordonnée. » Sur cette indécision, les indépendantistes prospèrent. La plupart des sondages les créditent aujourd’hui de presque 33 % des voix. Si ce résultat ce confirme, la Belgique pourrait à nouveau trembler sur ses bases.

Comment réagit-on au CD&V, à l’Open VLD, au SP.A, au Vlaams Belang et chez Groen ? Revue des troupes.

CD&V > Les leaders. Wouter Beke, le président, provient de l’aile droite et pro-flamande du CD&V, mais il a su gagner la confiance de toutes les tendances du parti. Kris Peeters, ministre-président flamand depuis 2007, est candidat à sa propre succession. Hilde Crevits, ministre flamande de la Mobilité et des Travaux publics. Pieter De Crem, vice-Premier ministre et ministre de la Défense. Koen Geens, ministre des Finances.

> Résultat en 2010 : 17,6 % des voix, son plus mauvais score depuis 1945.

> Meilleur résultat de l’après-guerre : 60,3 % en 1950.

> Stratégie face à la N-VA. Ne couper les ponts avec personne. N’attaquer personne. Se contenter de riposter face aux éventuelles attaques. Défendre son propre agenda, sans se soucier des partis adverses. Cette attitude semble parfois décontenancer Bart De Wever lui-même. Comme s’il ne savait pas très bien comment réagir par rapport à l’assurance tranquille de Kris Peeters… Par rapport à une N-VA perçue comme dure, froide, impitoyable, le CD&V veut se positionner comme un parti préoccupé par la prospérité de l’économie flamande, mais tout aussi soucieux de maintenir la cohésion sociale. Le duel télévisé Peeters-De Wever, le week-end dernier, l’a encore illustré. L’objectif ? Conserver la ministre-présidence flamande et, si possible, décrocher le poste de Premier ministre. Tout le reste est secondaire. Certes, l’idéal pour le CD&V serait de rejeter la N-VA dans l’opposition, afin de redevenir d’ici cinq ans le premier parti flamand. Mais les chrétiens-démocrates savent très bien qu’au lendemain du 25 mai, ils devront selon toute vraisemblance composer avec les nationalistes. Réunis au sein d’un cartel électoral de 2004 à 2008, CD&V et N-VA entretiennent d’ailleurs un rapport ambigu. Leur union s’est fracassée, mais de part et d’autre, plusieurs leaders continuent à penser qu’ils sont amenés à se retrouver. Ce qui les anime ? La conviction que le flamingantisme démocrate-chrétien constitue, de façon quasi « naturelle », le courant dominant dans la société au nord du pays.

> Les raisons d’espérer. Un temps déstabilisé par son piètre résultat de 2010, le CD&V a aujourd’hui retrouvé une forme de fierté et de sérénité. L’ultra-populaire Hilde Crevits devrait engranger un score-canon en Flandre occidentale. Koen Geens pourrait quant à lui être la surprise du 25 mai, voire de l’après-25 mai. L’ex-professeur de droit de la KUL jouit d’une image de serviteur de l’Etat à la fois compétent, probe et désintéressé. Il peut rêver du 16, rue de la Loi.

> Les raisons de trembler. Jusqu’ici, la campagne électorale tourne autour d’une seule question : qui triomphera, du modèle PS ou du modèle N-VA ? Cet enjeu éclipse totalement le CD&V. Les débats télévisés entre les présidents des deux partis ennemis, Paul Magnette et Bart De Wever, sont un cadeau énorme pour les nationalistes flamands, un cauchemar pour leurs adversaires chrétiens-démocrates.

Open VLD > Les leaders. La présidente, Gwendolyn Rutten. Le vice-Premier ministre, Alexander De Croo, qui restera célèbre pour avoir fait tomber le gouvernement en avril 2010, et précipité ainsi le pays dans une crise de 500 jours. Maggie De Block, secrétaire d’Etat à l’Asile et à l’Immigration et nouvelle star de la politique belge. Naturelle, sans complexe, elle a mené « l’air de rien » une politique assez dure vis-à-vis des sans-papiers.

> Résultat en 2010 : 13,7 %, soit le plancher historique du parti.

> Meilleur résultat de l’après-guerre : 24,4 % en 2003.

> Stratégie face à la N-VA. Revenir aux sources du libéralisme. Durcir le discours, en exigeant moins de taxes, moins d’impôts, moins de fonctionnaires, bref moins d’Etat, afin de ne pas (trop) se laisser déborder sur la droite par la N-VA. « Le XXIe siècle sera le siècle de l’individu », clame partout Gwendolyn Rutten. Sous-entendu : le socialisme, la démocratie-chrétienne mais aussi le nationalisme sont des idéologies du passé.

> Les raisons d’espérer. Ultralibéral, l’Open VLD ? C’est à voir. Ultra-individualiste ? C’est certain. A tel point que le parti a longtemps ressemblé au plus grand panier de crabes de Belgique. Après une décennie de vendettas entre les Verhofstadt, Dewael, De Gucht et autre Somers, Rutten a réussi l’exploit (pas mince) de ramener la paix au sein de sa propre formation. Grâce à elle, les libéraux parlent à nouveau d’une seule voix.

> Les raisons de trembler. L’effet Maggie De Block jouera en Brabant flamand, mais guère au-delà. De plus, l’Open VLD se voit constamment accusé par la N-VA d’avoir collaboré avec le gouvernement Di Rupo, qui a accru la pression fiscale. Un gouvernement qui, selon la vulgate nationaliste, pompe l’argent des travailleurs flamands afin d’entretenir le « modèle PS ». Gwendolyn Rutten affirme que si l’Open VLD fait partie du prochain gouvernement, il exigera des baisses d’impôt. « Pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ? » a beau jeu de répliquer la N-VA. Les libéraux flamands souffrent d’un grave handicap : de nombreux électeurs ne leur font plus confiance.

SP.A > Les leaders. Bruno Tobback, président et fils de Louis Tobback, qui a lui-même présidé les socialistes flamands de 1994 à 1998. Johan Vande Lanotte, vice-Premier ministre et ministre fédéral de l’Economie.

> Résultat en 2010 : 15,3 %, la pire défaite dans l’histoire du parti. Le SP.A est peut-être, aujourd’hui, le parti socialiste le plus faible d’Europe.

> Meilleur résultat de l’après-guerre : 28,6 % en 1954. Et, plus récemment, 24,3 % en 2003.

> Stratégie face à la N-VA. Une stratégie ? Quelle stratégie ? Le discours des socialistes flamands vis-à-vis de la N-VA est particulièrement cacophonique. Johan Vande Lanotte s’est longtemps complu à étaler ses bons contacts avec Bart De Wever (« un ami »), à qui il a même offert de rédiger la préface de son livre, en 2011. Plus récemment, le vice-Premier ministre a annoncé qu’il ne citerait pas une seule fois le nom de De Wever de toute la campagne électorale. Une attitude qui contraste avec la virulence de Bruno Tobback à l’égard des nationalistes. Il y a peu, le président du SP.A taxait de « vautour » son homologue de la N-VA.

> Les raisons d’espérer. Il n’y en a guère…

> Les raisons de trembler. Depuis que leur ancien président Steve Stevaert a quitté la vie politique, imité ensuite par les ex-gloires Frank Vandenbroucke et Patrick Janssens, les socialistes flamands n’ont plus jamais retrouvé de dream team. La seule figure majeure qu’abrite encore le SP.A, Johan Vande Lanotte, souffre d’une image écornée par plusieurs petits scandales. Plus grave encore, le projet défendu par le parti apparaît nébuleux. Le SP.A entend-il rester le relais politique de la FGTB ? Ou se positionne-t-il comme un parti « démocrate », façon Tony Blair ou Barack Obama ? Mystère. Sur la plupart des sujets de société importants dans le débat flamand, à commencer par le vivre-ensemble, le SP.A présente une attitude ambiguë, voire contradictoire. Le bourgmestre socialiste de Gand, Daniel Termont, était ainsi opposé à l’interdiction du port du voile pour les employées communales, alors que le bourgmestre socialiste d’Anvers, Patrick Janssens, y était favorable. Enfin, le SP.A risque de souffrir de la montée en puissance du PTB, présent au nord du pays sous le sigle PVDA.

Vlaams Belang > Les leaders. Filip Dewinter incarne l’extrême droite traditionnelle, jusqu’à la caricature, avec son discours anti-étrangers agressif. Gerolf Annemans, l’autre figure de proue du parti, tient un discours un chouïa plus subtil, indépendantiste radical.

> Résultat en 2010 : 12,6 %. Le Vlaams Belang (ex-Vlaams Blok) est resté relativement marginal jusqu’au « dimanche noir » de 1991. Cette année-là, il a recueilli 10,3 % des voix. D’élection en élection, il n’a ensuite cessé de croître, au point d’atteindre 18,9 % en 2007. Après ce pic, le parti a entamé une lente décrue.

> Stratégie face à la N-VA. Tout comme la N-VA, le Belang est issu d’une dissidence de la Volksunie, la formation historique du nationalisme flamand. Au parlement, une certaine connivence s’est parfois manifestée entre élus des deux partis. Il arrive que des députés N-VA applaudissent après les interventions de leurs collègues d’extrême droite. La plupart du temps, toutefois, le VB attaque avec violence les positions de Bart De Wever, l’accusant de n’avoir pas utilisé sa popularité pour provoquer la scission de la Belgique.

> Les raisons d’espérer. Les sondages sous-estiment souvent le poids de l’extrême droite. La structure du parti reste solide. Ses militants se singularisent par une forte culture de groupe. Le Vlaams Belang reste en outre le refuge des flamingants purs et durs. Il est aussi le seul parti flamand à jouer la carte anti-européenne. Or le courant eurosceptique gagne du terrain aux Pays-Bas, et de là, il percole dans l’opinion publique belge néerlandophone.

> Les raisons de trembler. L’époque où les blokkers faisaient trembler tout le paysage politique belge est bel et bien révolue. Même si le VB se maintient au-dessus des 10 %, son influence est désormais proche de 0 %. La vague N-VA l’a éclipsé. Et le cordon sanitaire a fonctionné.

Groen > Le président. Wouter Van Besien, un Anversois à la popularité en hausse.

> Résultat en 2010 : 7,1 %.

> Plus mauvais résultat : 4 % en 2003, soit le même score que lors de sa première participation électorale, en 1981.

> Meilleur résultat : 11,3 % en 1999.

> Stratégie face à la N-VA : Groen plaide pour la création d’une circonscription fédérale. A la Chambre, ses députés siègent au sein d’un groupe bilingue, commun avec Ecolo. Bref, le parti se situe aux antipodes de la N-VA. De quoi irriter Bart De Wever ? Même pas. Le leader nationaliste tient les écologistes pour quantité négligeable.

> Les raisons d’espérer. Autour de 7 ou 8 %, c’est un score honorable, comparé aux autres partis écologistes européens. Tous les sondages annoncent par ailleurs Groen en (légère) progression, alors que l’ensemble de ses adversaires s’écrasent, hormis la N-VA. Le nombre d’affiliés est lui aussi en hausse : en cinq ans, il est passé de 5 000 à 7 500. Enfin, les écologistes bénéficient de l’appui croissant d’une fraction de l’ACW (le mouvement ouvrier chrétien flamand), qui s’éloigne du CD&V, où l’aile droite domine à nouveau, avec Kris Peeters et Pieter De Crem.

> Les raisons de trembler. Le 25 mai, une partie de l’électorat vert sera tenté de voter SP.A ou CD&V, pour faire barrage à la N-VA. Si, dans la dernière semaine avant le scrutin, Bruno Tobback martèle que « l’enjeu, c’est un gouvernement avec ou sans les socialistes », ce sera mortel pour Groen. De plus, le parti souffre de la concurrence du PTB-PVDA.

François Brabant

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