Christine Laurent

Combat de coqs

Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

De fait, il est doué pour agacer. Pour taper sur les nerfs. Quarante-cinq ans que cela dure. Quarante-cinq ans qu’il nous provoque avec ses torpilles, ses idées sulfureuses, ses déclarations à l’emporte-pièce. Querelleur, vantard, pourfendeur « convulsif »…

Depuis 1968, Cohn-Bendit le surdoué occupe le devant de la scène médiatique et politique en « l’ouvrant ». Ne veut-il pas depuis toujours ré-enchanter la société ? A sa sauce, bien sûr. Mais dont les ingrédients ne sont pas nécessairement frelatés. Loin de là. Ainsi, ce dernier opus qu’il nous livre à 68 ans, au seuil de sa retraite. Un essai percutant au titre qui percole. Pour supprimer les partis politiques ! ? Réflexions d’un apatride sans parti (Indigène Editions). Trois euros pour 40 pages qui tombent dru et qui nous plongent dans les méandres de l’imagination de « Dany le Rouge », c’est donné !
L’ex-militant d’Europe Ecologie Les Verts (dont il s’est exclu, écoeuré) n’y va pas par quatre chemins. Il sonne la charge. Aujourd’hui, les partis politiques sont « dans l’incapacité de penser les changements du xxie siècle, encore moins d’y contribuer », assène-t-il. Ainsi, ils ne s’intéresseraient pas à l’avenir, tant ils sont englués « dans une structure fermée, un blindage presque hermétique à la société ». Résultat : ils passent à côté des aspirations totalement nouvelles des peuples. Fichtre, l’analyse, rédigée à l’encre du vitriol, ferait presque froid dans le dos. Du Cohn-Bendit pur jus !

De fait, à bien observer la gauche comme la droite en Belgique et ailleurs, on se pose de plus en plus de questions. Promesses en peau de lapin, débats oiseux, querelles stériles, quelle fatigue ! Pour preuve, les bisbilles du week-end dernier entre le PS et le MR qui laissent pantois. Noms d’oiseaux, clichés, les présidents et autres ministres socialistes et libéraux se sont lâchés. Tout ça pour quoi ? Poursuivre main dans la main, dès le lendemain, la même politique au sein du gouvernement fédéral ! Ambiance, ambiance. Quelle mouche les a piqués ? Que voulait prouver Paul Magnette, à l’origine de cette rixe aussi inattendue qu’insignifiante ? Et que dire de ses adversaires, tout aussi sensibles de la gâchette ? Mais que croient-ils donc ? Nous passionner ? Nous captiver ? Récolter des voix ? A côté de la plaque ! Car mis à part leurs états-majors et les irréductibles de chaque bord, ces joutes fratricides laissent les citoyens de marbre.
Pis. On en a marre de voir nos élus frôler le bas-côté de la politique. Ils méritent mieux que ce grand-guignol médiatique. Mais arc-boutés sur leurs dogmes, ils font de la résistance. Alors que nous rêvons de tout autre chose. En moins de cinquante ans, nous nous sommes extirpés d’un ancien monde pour plonger vers un tout autre univers. Vertigineux. Quels caps pour demain ? Quelles perspectives, quel souffle, quelle espérance malgré la grisaille de la crise ? Et pourquoi pas un « réformisme moderne, imaginatif et subversif », comme le suggère Cohn-Bendit ?

Les partis politiques, piliers indispensables de la démocratie sous toutes ses formes, auront-ils le courage de s’engager résolument dans cette voie ? Oui, s’ils se libèrent de « leurs camisoles mentales », comme les y invite le député européen franco-allemand. Insurmontable ? Bien sûr que non. Dans leur grande majorité, nos élus sont des personnes de qualité. Quand ils regardent vers le haut. Quand ils visent le long terme et pas l’immédiateté. Quand ils ont l’esprit ouvert et qu’ils accompagnent les aventures citoyennes du xxie siècle. Bref quand, soucieux de nous décrocher la Lune, ils arrêtent leur baratin.

CHRISTINE LAURENT

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