Antoine Moens de Hase

Colonisation : menons des actes qui nous rendent fiers !

Antoine Moens de Hase Coordinateur du groupe INTAL CONGO

Le débat autour des statues d’anciens militaires du camp esclavagiste aux États-Unis nous rappelle la lutte que nous devons mener pour décoloniser la Belgique. Nous ne devons pas détruire les symboles du passé mais les encadrer et en construire de nouveaux.

Le Congo : un pays qui n’importe que des chaînes

Dans les années 1900, Edmund Morel, un jeune Anglais travaillant pour une société de transport anversoise, se demandait quel pouvait bien être ce pays extraordinaire. En effet, les bateaux en provenance de l’Etat indépendant du Congo revenaient chargés de caoutchouc et d’ivoire et repartaient avec dans leurs cales uniquement des armes et des chaînes.

La colonisation du Congo, menée d’abord sous Léopold II (1885-1908) et puis sous l’Etat belge (1908-1960), a été une immense entreprise de pillage. Les ressources ont été volées grâce au travail forcé, à la répression, à la violence armée, à la destruction culturelle et au massacre de masse des Congolais

Les bénéficiaires de ce pillage, qui en ont tiré des bénéfices inimaginables, étaient la famille royale et l’élite belge qui dirigeait les grandes entreprises du pays. Ces entreprises qui ont bénéficié des richesses volées au Congo existent pour certaines encore aujourd’hui telle UMICORE (ex- Union Minière du Haut Katanga)(1) ou Suez-Tractebel (ex- Société Générale de Belgique) (2).

Mais il est important de rappeler qu’en Belgique, la toute grande majorité de la population n’a pas bénéficié de la colonisation. Au contraire, les dockers du port d’Anvers qui déchargeaient les caisses de caoutchouc ne profitaient pas plus des richesses produites que les Congolais vivant le long du lac Tanganyika. Et rares étaient les mineurs limbourgeois du début du XXe siècle qui pouvaient se permettre une excursion pour profiter de l’esplanade d’Ostende ou des arcades du Cinquantenaire.

Il est aussi nécessaire de distinguer le bilan personnel des anciens colons du bilan global de l’entreprise coloniale. A côté des pilleurs, il y a aussi eu bon nombre de gens qui travaillaient durement par idéalisme. Parmi les administrateurs territoriaux, il y avait certainement des gens qui abusaient de leur pouvoir et position, mais il y en avait aussi des hommes généreux qui travaillaient jour et nuit dans des conditions extrêmement difficiles pour améliorer la vie des gens. Que ce soit les religieux et religieuses, qui partaient en 1910 pour le Congo afin de lutter contre la maladie du sommeil, sachant qu’ils ne rentreraient peut-être jamais chez eux. Ou ces syndicalistes belges qui appuyaient la grève de leurs collègues congolais de l’Union Minière et qui en étaient gravement punis. Sans oublier ces personnalités qui ont dénoncé toutes les exactions de l’entreprise coloniale. Or tous ces gens n’ont pas de statues ni de rues à leurs noms. Les statues qui existent chez nous représentent bien l’entreprise coloniale en tant qu’entreprise de pillage et injuste envers le peuple congolais.

En Belgique il n’y a pas eu de décolonisation jusqu’au bout

Depuis l’indépendance du Congo, la Belgique n’a pas fait son travail de conscience sur la colonisation. L’espace public est truffé de références à la période coloniale. Nous avons une « Rue des colonies » dont la plaque bénéficie du sous-titre « En souvenir de l’annexion du Congo »(3).

Encore tout récemment, notre attitude douteuse vis-à-vis de notre passé colonial a refait surface. L’armée a décidé, 55 ans après l’indépendance du Congo, de rendre inaccessibles les archives de la Sûreté coloniale(4).

Il est clair que ceux qui sont au pouvoir en Belgique ne veulent pas reconnaître les méfaits de la colonisation du Congo et que le travail de décolonisation n’a pas été mené jusqu’à son terme.

La décolonisation est pourtant nécessaire pour notre société.

La colonisation, même si elle n’a pas bénéficié à la grande majorité de la population, a injecté le virus du racisme, le seul moyen de justifier les atrocités commises.

De ce point de vue-là, la Belgique est un des pays les plus réactionnaires. Pour ne citer qu’un exemple, en 1958, lors de l’exposition universelle, on a mis en place un zoo humain composé de Congolais, placé derrière des barrières que l’on pouvait visiter, alors que la pratique était d’un autre âge (5). Au même moment, la France avait un ministre africain issu des colonies(6).

Aujourd’hui, le racisme perdure. Les discriminations que vivent les gens issus des anciennes colonies font injure à notre société démocratique. Plus grave, il est un facteur de division des travailleurs de notre pays. Nous souhaitons tous avoir un travail et un salaire correct pour vivre dignement et élever nos enfants dans une société sans violence. Mais le racisme et ses stéréotypes nous empêchent de nous unir pour obtenir cette société.

Colonisation: u0022Nous ne devons pas détruire les symboles du passé, mais les encadrer et en construire de nouveaux.u0022

Décoloniser la Belgique c’est aussi dénoncer l’injustice passée.

Que voulons-nous? Que nos enfants jouent ensemble dans la rue Général Wangermée(7) , qui porte le nom d’un militaire qui a dirigé le pays où des mains étaient coupées pour du caoutchouc, ou sur la place Lumumba, un homme qui s’est battu pour une société plus juste?

Les symboles sont importants, car ils marquent notre culture commune.

Comment décoloniser l’espace public ?

Cette décolonisation ne se fera pas en enlevant les statues de Léopold II, il ne faut pas faire disparaître le passé.

Tout d’abord, nous devons encadrer tous ces symboles de la colonisation. Permettre à la génération actuelle et future de comprendre ce qui a été fait au nom de la Belgique. Par exemple, sous la statue de Léopold II, on pourrait ajouter une plaque qui indiquerait :

« Léopold II a été le deuxième roi des Belges entre 1865 et 1909. Durant son règne, il a pris l’initiative de conquérir le Congo et a géré ce pays comme sa propriété privée de 1885 à 1908. Pendant son règne, il a organisé l’exploitation brutale du pays, entre autres avec l’extraction obligatoire du caoutchouc. Des millions de Congolais ont souffert de la faim et des privations, d’autres ont dû fuir le pays. Le démographe Léon de Saint Moulin a calculé sur la base de recensements administratifs et de corrections mathématiques qu’en 1880, la population congolaise était comprise entre 15 et 20 millions d’habitants. En 1930, il n’y en avait plus que 10 millions. (8) »

Ensuite, il est important de donner une place aux victimes et à ceux qui se sont battus contre le colonialisme. Une place Patrice Lumumba et une statue pour les victimes de la colonisation seraient une bonne manière de mener ce processus. Patrice Lumumba a été le premier Premier ministre du Congo et a été assassiné avec l’aide de la Belgique. Avoir une place Lumumba c’est reconnaître la justesse de son combat. Lumumba a été mis en prison et assassiné par notre gouvernement car il luttait contre la colonisation. Lui donner une place, c’est une manière de dire : « C’est lui qui avait raison à l’époque ». Les Britanniques ont agi de même en faisant une statue de Gandhi, militant pour l’indépendance de l’Inde, juste devant le parlement à Londres.

Enfin nous pouvons voir au cas par cas, s’il est possible de remplacer certains noms de rues ou de places. Toujours en restant sur le thème de la colonisation, pour garder la trace de cette histoire, nous pouvons les renommer avec des noms de gens dont nous sommes fiers et qui représentent les valeurs que nous défendons aujourd’hui car ils se sont battus contre le colonialisme.

En agissant ainsi et en décolonisant notre espace public, nous passerions alors d’une histoire dont nous devrions avoir honte à un combat pour lequel nous pouvons être fiers.

Par Antoine Moens de Hase, Coordinateur du groupe INTAL CONGO

  1. https://fr.wikipedia.org/wiki/Union_mini%C3%A8re_du_Haut_Katanga
  2. https://fr.wikipedia.org/wiki/Soci%C3%A9t%C3%A9_g%C3%A9n%C3%A9rale_de_Belgique
  3. https://m.facebook.com/photo.php?fbid=10155557277280055&id=888075054&set=a.10150716984990055.717161.888075054&source=43
  4. http://www.levif.be/actualite/belgique/l-armee-veut-recuperer-les-archives-de-la-force-publique/article-normal-618567.html
  5. http://www.bruzz.be/nl/nieuws/op-expo-58-ging-koloniaal-congo-aan-het-wankelen
  6. https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Félix_Houphouët-Boigny
  7. https://en.wikipedia.org/wiki/%C3%89mile_Wangerm%C3%A9e
  8. Léon de Saint Moulin, revue Zaire-Afrique, 217, 1987, pp.391-393

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