Toujours membre du CDH, Claude Rolin a néanmoins décidé de "prendre un certain recul". © BELGAIMAGE

Claude Rolin : « Mon CDH se retrouve collé à la Super Glue au MR »

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Député européen CDH depuis 2014, Claude Rolin se met en grève de son parti. L’ancien patron de la CSC condamne l’opération lancée par Benoît Lutgen le 19 juin dernier. Et veut lancer une « alternative progressiste », avec des socialistes, des écologistes et des humanistes que le virage à droite du CDH indispose.

Dans L’Avenir du 25 juillet dernier, vous disiez  » ne pas être heureux de la situation actuelle « . Vous n’étiez pas, le 9 septembre, au Festival des projets organisé par le CDH au Cinquantenaire, à Bruxelles, mais vous serez, ce samedi 16 septembre, à la Fête de l’Huma, à Paris. Un signe ?

Je suis, c’est clair, en désaccord avec la décision qui a été prise. Si je n’étais pas au Festival des projets, c’est parce que ma présence aurait pu être interprétée comme une approbation de cette nouvelle ligne politique. Je considère que je suis toujours membre du CDH, mais je prends un certain recul. Concrètement, j’ai signifié, au lendemain de cette décision du 19 juin, que je suspendais ma participation à toutes les instances, pour prendre le temps de réfléchir à la situation. Et, pour moi, cette situation est très négative.

Pourquoi alors en rester membre ?

Je me suis présenté aux élections européennes sur la base d’un programme que je continue à défendre. C’est ce qui me paraît le plus important. Cela étant dit, ma priorité personnelle, tout en restant au CDH, c’est d’aider à des rapprochements entre toute une série de personnes qui viennent d’organisations différentes. Des démocrates-chrétiens, des socialistes, des écologistes, qui ne sont pas satisfaits de l’offre politique actuelle. La décision du CDH rend impossible, à court ou moyen terme, toute recomposition politique. Des ponts se sont brisés, et j’ai l’intention de les reconstruire en créant des lieux où se rassembleraient ces gens d’horizons différents, de façon à rendre possible, demain, une alternative progressiste.

N’est-il pas paradoxal de travailler à cette alternative depuis le CDH ?

Ça l’est, mais je suis convaincu que le CDH reste un parti démocratique, qui laissera un espace à des points de vue divergents et minoritaires…

Que pense Benoît Lutgen de ces intentions ?

Je ne suis pas convaincu qu’il en soit heureux. Mais c’est une question de cohérence par rapport à mes engagements. Je me suis engagé sur le terrain européen pour y mener un combat social, et je tiens à le poursuivre. Je reste un humaniste. Ma vision des choses, c’est le personnalisme d’Emmanuel Mounier, ou, plus tôt, de Marc Sangnier. Ce qu’on retrouve aujourd’hui dans la revue Esprit, dont je suis un fidèle lecteur. C’est là que je me situe.

Et le CDH d’aujourd’hui trahirait cet héritage-là ?

Le virage pris conduit le CDH au centre-droit. Et l’action de la gauche chrétienne ne va pas du tout dans ce sens-là. La direction du CDH a pris cette décision à la suite de certaines dérives en matière de gouvernance et d’éthique. Il est important de gouverner de manière éthique. Mais gouverner de manière éthique ne peut ni résumer ni remplacer un programme politique. On peut mener des politiques de gauche radicale ou de droite radicale avec des pratiques tout ce qu’il y a de plus éthique… Et puis, même si certains membres du PS ont été impliqués dans ces dérives, on ne peut pas considérer qu’à cause des comportements inadmissibles de ces personnes, qui n’étaient du reste plus membres du PS le 19 juin, c’est l’ensemble d’un parti qui serait infréquentable. Et ça va encore plus loin : ces derniers jours, j’ai entendu que l’idée même de socialisme était inacceptable. Certains, au MR mais aussi au CDH, soutiennent que le socialisme, c’est le communisme… On entre dans une dérive lourde, là.

Récemment, Rudy Demotte appelait à un rassemblement des progressistes. Il s’adressait à la gauche du CDH. Intéressé ?

Non. Mais je sais gré à Rudy Demotte d’avoir précisé qu’il ne voulait pas lancer une opération de débauchage. Le débauchage, c’est du Meccano, ça ne change fondamentalement rien. Ce qu’il faut, c’est que les progressistes de bonne volonté trouvent des lieux pour discuter, et pour réfléchir ensemble aux réponses à apporter aux problèmes de ceux qui souffrent et de ceux qui ont peur. Il faut le faire de façon transversale. Aujourd’hui, au Parlement européen, je siège dans un groupe de centre-droit, le PPE. Mais je travaille en permanence à construire des compromis entre des chrétiens sociaux, des socialistes, des écologistes, voire certains libéraux.

Mais si votre idée d’une plate-forme progressiste se concrétise, notamment dans les parlements, à quoi serviraient encore les partis, alors ?

Je ne pense pas qu’il faille un et un seul parti qui représenterait ces courants. Mais il faut des partis qui seraient en capacité de travailler ensemble sur un projet social pour la Région wallonne, pour la Communauté française, et au niveau fédéral. Aujourd’hui, ce qui me fait le plus réagir, c’est que je comprends pourquoi la direction du CDH a pris cette décision, mais que je vois à quoi elle conduit. Puisque le CDH ne peut plus travailler avec le PS, il se retrouve collé à la Super Glue au MR ! En excluant le PS de toute majorité, ça signifie qu’une majorité n’est possible qu’avec le MR. Pour faire quoi ? Des politiques de droite. Et ça, je ne peux pas l’accepter…

Vous ne serez donc pas sur une liste CDH aux élections de 2019…

Tous les matins, en me rasant, je ne pense pas, mais pas du tout, à ce qui m’arrivera dans deux ans. Je me poserai les questions au moment venu. Mais je ne suis pas un politicien professionnel.

Doit-on s’attendre à une sortie, dans les prochaines semaines, de ces personnalités avec lesquelles vous souhaitez lancer cette alternative progressiste ?

Ce n’est pas à l’ordre du jour. Jesuis au début de ce travail. Il y a plusieurs lieux qui sont en train de se constituer, et pas mal de gens qui le demandent. Je reçois beaucoup de coups de fil et de mails de copains et de connaissances de la CSC ou du MOC, des gens qui sont restés assez proches du CDH, qui me disent à quel point ils sont mal à l’aise. Malheureusement, la situation d’aujourd’hui me paraît figer les choses pour quelques mois, voire quelques années. Il faut y travailler sur le long terme, construire une réflexion collective de fond, à l’extérieur des partis, comme dans le mouvement Tout Autre Chose. Mais aussi à l’intérieur, au sein du CDH, d’Ecolo ou du PS, où je pense à quelqu’un comme Pierre-Yves Dermagne. Il y a des choses qui bougent. Je veux en être un activateur, tout en restant membre du CDH. En prenant du recul parce que je ne suis pas en accord avec certaines orientations. Pour moi, les valeurs humanistes restent importantes. Mais je ne conçois pas un humanisme de droite.

Vous avez cité Pierre-Yves Dermagne. Y en a-t-il d’autres avec qui vous envisagez de travailler ?

Je ne vais pas vous faire la liste, hein. Mais il y en a de tous les bords.

NDLR : Cette interview a été réalisée avant le décès du bourgmestre CDH de Mouscron Alfred Gadenne.

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