Le gouvernement provisoire en 1831, une poignée de ministres. © Belga

Cinq ministres en 1830, un casting très confédéral

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Affaires étrangères, Guerre, Justice, Intérieur, Finances : les premiers cabinets belges auraient suffi au bonheur de Bart De Wever et de la N-VA. C’était avant la flambée des portefeuilles et la valse des étiquettes ministérielles. Entre valeurs sûres et gadgets passagers, Michel Ier apporte sa touche sécuritaire.

On ne se bouscule pas autour d’une table de conseil des ministres, au temps héroïque des premiers attelages gouvernementaux. Catholiques ou libéraux, les cabinets homogènes se contentent de peu au XIXe siècle. Les titres portés par leurs ministres affichent la même sobriété. Un casting gouvernemental on ne peut plus « conforme aux missions de l’Etat, telles qu’elles existent sous l’Ancien Régime », note l’historien Michel Dumoulin (UCL). La gouvernance à la sauce napoléonienne fait encore la loi. Il n’y en a que pour les départements d’autorité.

Affaires étrangères, Guerre, Justice, Intérieur, Finances : 183 ans et 107 gouvernements nationaux/fédéraux plus tard, le noyau dur est toujours fidèle au poste, incontournable. Du beau monde l’a rejoint au fil du temps. Le premier à se manifester, en 1837, apporte dans la corbeille le portefeuille des Travaux publics. Créneau porteur : à l’ère des progrès techniques, le paquet est mis sur les investissements publics en faveur des réseaux routier, ferroviaire, fluvial.

Onze gouvernements se succèdent de 1840 à 1878, avec un casting ministériel inchangé. Jusqu’à ce qu’un ministre de l’Instruction publique vienne jouer les trouble-fête. Comme l’école est un sujet qui fâche libéraux et catholiques, le nouveau venu n’est pas forcément le bienvenu et ne s’attarde guère.

La Belgique a les ministres qu’il faut pour assumer son statut de nation industrielle et industrieuse, de puissance coloniale et de pionnière du rail. Manque toujours à l’appel un quelconque ministre à vocation sociale.

Le cataclysme de 1914-1918 répare « l’oubli ». « Dans les domaines de l’économie, de la culture et de la politique, la masse devient le mot-clé », souligne Emmanuel Gerard, historien à la KUL. Impossible de rester sourd à ses revendications. L’Etat est de plus en plus sollicité, le gouvernement met davantage les mains dans le cambouis. En 1921, un zeste de santé publique est confié au ministre de l’Intérieur qui devient aussi celui de… l’Hygiène. Puis c’est l’introduction de la touche sociale avec l’apparition, en 1924, d’un portefeuille de la Prévoyance sociale accolé à celui de l’Industrie et du Travail.

La physionomie d’ensemble reste raisonnable. Jusqu’à Eyskens IV. Au départ une banale bipartite sociale-chrétienne-libérale, au pouvoir de septembre 1960 à avril 1961. « Ce gouvernement, au coeur de la tempête africaine mais aussi économique et sociale avec la grève de l’hiver 1960, marque un tournant que reflète sa composition », relève Michel Dumoulin. Eyskens IV prend à la fois congé du ministre des Colonies, accueille « un vice-président du Cabinet » précurseur des vice-Premiers ministres, engage un ministre du Budget après un faux démarrage en 1946, charge un ministre de la Coordination des réformes… institutionnelles. Il s’offre en prime quatre ministres sous-secrétaires d’Etat. Cette espèce inconnue jusque-là du biotope gouvernemental va mettre dix ans à se trouver une identité : ministres-adjoints, puis ministres secrétaires d’Etat, enfin secrétaires d’Etat à partir de 1972.

Dès lors, le domaine s’abandonne à une joyeuse anarchie. Léopold Ier n’y retrouverait plus ses petits, lui qui n’avait que cinq portefeuilles à mémoriser. Affaires étrangères, Justice, Intérieur, Guerre, Finances : un vrai casting de gouvernement confédéral, comme en rêve Bart De Wever. A fortiori quand il est outrageusement flamand, sous le pavillon de la suédoise : seule la diplomatie reste francophone. Avant-gardiste, la formule de 1830 ?

Le dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec :

– la galerie des portefeuilles

– les attributions ministérielles les plus singulières

– chaque époque a ses marottes

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire