Christophe Leroy

Christophe Lacroix, le sauvé des ombres

Christophe Leroy Journaliste au Vif

Sa loyauté envers le PS l’a propulsé dans une arène qu’il n’attendait pas. Désigné à la surprise générale en tant que ministre wallon du Budget, Christophe Lacroix s’est bâti une carrure politique sur les vestiges de rêves contrariés. Avec l’humilité si souvent décisive qui a régi son ascension.

21 juillet 2014, dans l’après-midi. Alors qu’il s’apprête à prendre la route vers Oreye Plage, Christophe Lacroix reçoit un appel inopiné. Au bout de la ligne, la voix solennelle d’Elio Di Rupo, encore Premier ministre et président en titre du PS. L’espace d’un instant, le socialiste de Wanze pense qu’il s’agit une blague. Mais les propos semblent crédibles. « Christophe, es-tu libre à 18 heures ? J’aimerais que tu viennes au boulevard de l’Empereur. Je t’y attends. Je te souhaite un bon après-midi et je te demande la discrétion absolue. » Perplexe, l’intéressé s’interroge : bonne nouvelle ou sérieuse mise au point ? Le temps de demander l’avis d’un militant d’expérience, Christophe Lacroix se rend à Bruxelles, le coeur à peine plus léger. Lorsqu’il arrive, tout le casting socialiste du futur gouvernement wallon est là. En quelques minutes, sans que personne ne l’ait anticipé, Elio Di Rupo vient de faire de lui le nouveau ministre du Budget et de la Fonction publique.

Saisissant retournement de situation. Deux mois plus tôt, après trois jours de suspens intense autour des résultats manquants du canton d’Eupen, Christophe Lacroix est victime de l’effet dévolutif du scrutin. Malgré ses 15628 voix de préférence amassées dans l’arrondissement de Huy-Waremme, il apprend qu’il n’est pas élu à la Chambre. Lors de la confection des listes, ce partisan du compromis avait lui-même proposé de reculer de deux places, jusqu’à la 5ème position : une première fois au profit de la fédération de Liège, minée par ses querelles internes, une deuxième fois pour favoriser celle de Verviers, où le PS était fragilisé. Ecoeuré par le verdict final, Christophe Lacroix songe à arrêter la politique, après trois années passées à la Chambre. Mais le sacrifice du pacificateur, soutenu par les trois fédérations de la province, remonte jusqu’au boulevard de l’Empereur, qui le désigne sénateur coopté, puis chef de groupe dans la même assemblée. Si ce premier sauvetage lui suffit à recouvrer la loyauté absolue envers son parti, le sacre ministériel ravivera définitivement la flamme politique.

Le crédit de l’humilité

Aujourd’hui, Christophe Lacroix règne avec autorité sur les 15 milliards d’euros du budget wallon. Depuis son grand bureau namurois, dont l’atmosphère aseptisée contraste avec sa passion enflammée pour l’art, cet esthète de 48 ans a gagné le respect de personnalités au pedigree politique bien plus étoffé que le sien. Même au MR, pourtant très critique à l’égard de la gestion budgétaire de la Wallonie ou de la politisation de l’administration, les députés saluent ses qualités humaines. « Il se montre très respectueux de l’opposition et reconnaît la difficulté de la tâche qui lui incombe, souligne Pierre-Yves Jeholet, chef de groupe du MR. Son humilité tranche avec le style de son prédécesseur (André Antoine, CDH, désormais président du parlement wallon, NDLR). » Le député Ecolo Stéphane Hazée est du même avis. « Christophe Lacroix se distingue positivement par rapport à ses collègues. Même s’il lui arrive de se prendre les pieds dans le tapis dans certains dossiers. »

La modestie que ses collègues du parlement lui reconnaissent trouverait ses fondements dans une trajectoire professionnelle exempte de toute ambition machiavélienne, assurent ses proches. « Avec son charisme et son autorité naturelle, il pouvait évidemment envisager un parcours ambitieux », nuance toutefois Guy Coëme, figure majeure du PS de Huy-Waremme et véritable père spirituel pour Christophe Lacroix. L’ancien vice-Premier ministre en est d’ailleurs l’un des acteurs décisifs. Lorsqu’il se présente aux élections fédérales en 2010, à 64 ans, ce dernier voit en Christophe Lacroix son digne successeur. Au-delà de la complicité politique, les deux hommes partagent le même humour et le même goût pour l’expression artistique. En toute discrétion, ils passeront un accord pour assurer le passage de témoin à la Chambre.

Deux ans plus tard, lorsque Guy Coëme atteint la limite d’âge, Christophe Lacroix prend ainsi son envol à la Chambre. Il intègre notamment la commission Défense. « Parce que personne au PS ne voulait y aller », se rappelle-t-il. Un nouvel adoubement qui le sort de l’ombre, poussiéreuse mais sécurisante, de l’institution provinciale de Liège, où il officiait depuis 2006 en tant que député en charge du Budget, du Sport et du Personnel. Au-delà de son travail de fond à la Chambre, son discours condamnant l’évasion fiscale de la Reine Fabiola, via la fondation Fons Pereos, contribuera à asseoir sa crédibilité sur le plan médiatique.

Les vocations avortées

Rien ne le prédestinait pourtant à investir de si hautes fonctions. « Si je suis ministre aujourd’hui, c’est le fruit du hasard, concède-t-il posément. C’est l’un des grands paradoxes de ma vie. Ce que j’ai voulu construire ne s’est pas réalisé, et inversement. » Quand il entre à l’université à la fin des années 80, Christophe Lacroix opte pour l’Histoire, une matière qui le fascine depuis l’école secondaire. Plus tard, le jeune homme se voit professeur, quitte à concilier sa profession avec un mandat politique communal. Mais, après avoir milité avec ferveur contre les mesures d’économie drastiques imposées par la Communauté française, il croise la route d’enseignants désabusés lors de ses stages d’agrégation. « Ces rencontres m’ont durablement refroidi, confie-t-il. Je peux sembler réservé et discret, mais je brûle de façon incandescente au fond de moi-même. Et si ce feu n’est pas entretenu, c’est une mort lente qui survient dans mon processus émotionnel. »

A la même époque, sa prudence s’illustre tout autant à l’égard du monde artistique. En marge de ses études, Christophe Lacroix se montre brillant sur les planches d’un théâtre comme sur la scène d’un opéra. En 1986, ses talents de baryton s’expriment jusqu’en demi-finale du concours des « Jeunes solistes », diffusé sur la RTBF. Au conservatoire, ses professeurs l’encouragent à faire carrière dans le domaine. Mais, face à la galère que vivent les artistes qu’il côtoie, il ne franchira jamais le cap. « C’est l’une de mes plus grandes frustrations dans la vie, admet-il aujourd’hui. Faire carrière dans le chant m’aurait apporté cette sensibilité artistique à fleur de peau que je ne parviens pas à exprimer en politique. »

Cet engagement, qu’il concrétise à 22 ans en intégrant le conseil communal de Wanze, n’a toutefois rien d’une surprise. A 7 ans, le petit Christophe Lacroix suit avec fascination la campagne présidentielle française de 1974. Aux côtés de son papa, syndicaliste à la FGTB, il assiste aux discours passionnés d’Edmond Leburton, socialiste incontournable de la fédération, lors de la Fête du 1er mai. Et répète la même phrase à son petit frère lorsqu’il rentre à la maison : « Il faut que les riches soient moins riches et que les pauvres soient moins pauvres. » Mais le combat syndical, qu’il juge nécessaire pour combattre l’austérité du gouvernement Martens-Gol de l’époque, ne sied guère à son tempérament. « Les syndicats sont davantage dans la confrontation, estime-t-il. Je ne pense pas que cette posture permette d’obtenir des résultats dans la durée. Je préfère ce qui réunit à ce qui divise. »

De l’ombre à la lumière

Sauvé d’un monde de l’enseignement qui l’aurait rongé à petit feu. Sauvé de la « course aux petits cachets » qui régit la sphère artistique. C’est au hasard d’un emploi en tant que fonctionnaire à l’ancien Ministère de l’Equipement et des Transports qu’il intégrera successivement les cabinets de Van Cau, Michel Daerden et Philippe Courard. Tout imposant sa silhouette de gendre idéal au chevet de la population à Wanze, dont il deviendra le premier échevin dès son deuxième scrutin communal. « Il allie à la fois l’élégance, une grande faculté à s’exprimer en public, le travail et la sympathie », synthétise le socialiste Marc Tarabella. « En politique, ceux qui restent au comptoir ne s’imposeront jamais, analyse Guy Coëme. Quand Christophe serre des mains, il le fait naturellement. Sans pour autant taper sur l’épaule de quelqu’un qu’il ne connaît pas. »

Certains y voient une forme de clientélisme camouflée de bonnes manières. Un observateur Ecolo pointe du doigt une tendance, lorsqu’il était à la Province de Liège, à favoriser le recrutement de personnes habitant sa commune. Plus récemment, peu après sa prise de fonction ministérielle, Christophe Lacroix avait convié plusieurs Wanzois à l’accompagner lors d’une pêche aux crevettes à Coxyde, faisant suite à une invitation qui lui était adressée en tant que premier échevin. « Le clientélisme, c’est quelque chose que j’abhorre, conteste l’intéressé. C’est tout à fait contraire à mon projet politique visant à émanciper le citoyen. En revanche, je suis pour la proximité. Elle permet d’éviter le recours aux tentations de l’extrême et de maintenir un dialogue constant. »

La loyauté récompensée

Si sa désignation surprise comme ministre wallon a fait naître diverses théories quant à une éventuelle proximité avec Elio Di Rupo, ses proches contestent fermement les accusations de catapultage. « Christophe n’est pas un homme de relais », assure son amie Ann Chevalier, ancienne députée MR à la Province de Liège et aujourd’hui maire de la petite commune de Couziers, dans la région de la Loire. « Je ne lui connais pas d’ennemis. La structure du PS est telle que son investissement sur le terrain, tout comme sa loyauté, est remonté jusqu’au boulevard de l’Empereur. »

L’émergence de Christophe Lacroix aura en revanche condamné la consécration de Christophe Collignon, autre personnalité d’envergure de la fédération qu’il côtoie depuis plus de 20 ans. Leader du PS de Huy-Waremme sur la liste régionale en 2014, ce dernier se voyait ministre wallon. Au-delà de cette déception qui ne sera jamais réellement digérée, les « twins », comme on les surnomme de temps à autre dans la fédération en référence à leur prénom, affirment avoir surmonté cette concurrence au profit de l’intérêt commun de leur région. Le rééquilibrage géographique des forces socialistes dans l’attelage gouvernemental, combiné aux tensions à la fédération de Liège, aura par ailleurs joué un rôle important dans la mise en avant d’un représentant de Huy-Waremme.

Tout comme la capacité de Christophe Lacroix à trancher avec autorité dans les matières qui lui incombent. Son tempérament de feu et son exigence constante ont suscité plusieurs départs dans son cabinet. « Il est très dur avec lui-même, et dès lors avec les autres également », témoigne Serge Manzato, président du PS de Huy-Waremme. Mais, à l’image des moments de solitude qu’il s’octroie pour réfléchir à son parcours, depuis les rives de la Loire jusqu’aux plages discrètes de la Galice en Espagne, le personnage se remet constamment en question. Et peut présenter ses excuses à une collègue avec un grand bouquet de roses, une heure à peine après l’y avoir envoyée.

Apprécié par ses pairs pour sa propension à accepter les arguments des uns et des autres, Christophe Lacroix avance sur l’échiquier politique avec la même vigilance qui l’a finalement propulsé à la lumière, sans l’avoir véritablement cherchée. « Le seul rêve dont il ne parle jamais, c’est d’être bourgmestre de sa commune », ajoute Ann Chevalier. A en croire son ami Guy Coëme, Christophe Lacroix n’a pas terminé son ascension. « S’il réussit le défi du budget, il réussira tout. Sa volonté intrinsèque, vu ce qu’il montre aujourd’hui, peut lui laisser espérer de plus hautes fonctions encore. »

« La beauté, lorsqu’elle est alliée au sublime, permet d’accéder à la vérité. » Ce postulat du philosophe Kant, que Christophe Lacroix se plaît à citer, résonne comme un ultime paradoxe. S’il en a fait une conviction personnelle dans ses moments de méditation, c’est plutôt dans la réalité aride des ajustements budgétaires qu’il trouvera sa redoutable épreuve de vérité.

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